«Manifestations corona» en Allemagne: les néo-nazis main dans la main avec les libéraux, les chrétien-démocrates et le Parti de gauche

Trois mois après l'élection de Thomas Kemmerich, du Parti libéral-démocrate (FDP), en tant que ministre-président du Land de Thuringe avec le soutien du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), les événements montrent une fois de plus à quel point les partis de l'establishment collaborent à présent étroitement avec les néo-nazis.

Le 9 mai, le chef du FDP en Thuringe, Kemmerich, a participé à une manifestation contre les mesures mises en place pour limiter la propagation du coronavirus. Comme d'autres mobilisations à travers le pays, elle était dominée par des extrémistes de droite.

La déclaration de la manifestation auprès des autorités était au nom de Peter Schmidt, chef de l'agence de recrutement Jenatec Industriemontagen, membre du conseil d'administration du ‘Conseil économique’ de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) en Thuringe. Le vice-président de cet organisme est Friedrich Merz, en lice pour devenir le prochain dirigeant de la CDU et remplacer Angela Merkel en tant que chancelier.

Les deux principaux organisateurs de la manifestation étaient deux néonazis locaux bien connus, Vanessa P. et David S. Selon une information du Tagesspiegel, ils font partie du cercle d'amis de Schmidt et travaillent pour lui au château d'Osterstein. Ce château, situé au-dessus de Gera, la ville où la manifestation a eu lieu, appartient en partie à Schmidt depuis plusieurs années et est actuellement agrandi à des fins commerciales.

Vanessa P. se décrit comme une «fille émeutière» de droite. Son partenaire, David S., rapporte le Tagesspiegel, recueille des dons – selon son propre aveu – pour le membre des Reichsbürger (mouvement d'extrême droite rejetant la légitimité de l'État allemand moderne) et ancien Monsieur Allemagne, Adrian Ursache. Celui-ci fut condamné à sept ans de prison en 2019 pour avoir tiré sur un policier des forces spéciales.

David S. distribue également des vidéos du journal du parti néonazi NPD Deutsche Stimme et partage des commentaires sur Facebook décrivant la fin de la guerre en 1945 comme une «défaite totale» et une «soumission». Des appels de Stefan Brandner, député de l'AfD au Parlement fédéral, appelant à l'opposition à la «vaccination forcée» ont également été partagés par S. Il serait proche du mouvement d'extrême droite Thügida et aurait pratiqué le salut nazi lors d’une mobilisation de l’extrême droite à Gera en septembre 2016.

Lors de la dernière manifestation à Gera, qui a attiré environ 750 participants, Vanessa P. et David S. ont traversé le centre-ville côte à côte avec Kemmerich et Schmidt. Vanessa P. portait une grande Étoile de David.

Des «Étoiles juives» comme celle-ci et des inscriptions comme «CoV- 2» et «non vacciné» ont été brandies à des manifestations dans d'autres villes. Le président du Conseil central juif, Josef Schüster, a considéré comme un signe alarmant que les extrémistes de droite utilisent la peur déclenchée par le coronavirus pour propager des mythes antisémites.

Schmidt lui-même n'a laissé aucun doute sur le fait qu'il partageait les vues d’extrême droite de ses protégés. Il a souhaité la bienvenue à Kemmerich, le principal orateur de la manifestation, comme «notre seul ministre-président légitime actuellement», qui a été «évincé par un appel téléphonique d'une femme assoiffée de pouvoir depuis l’Afrique du Sud ». Il a décrit le Parlement fédéral comme le représentant des intérêts des «politiciens corrompus», des «éco-profiteurs internationaux», du «lobby pharmaceutique» et de « ténébreuses fondations».

Kemmerich avait été élu ministre-président de la Thuringe avec les voix de l'AfD, dirigée dans le Land par le fasciste Björn Höcke, de la CDU et du FDP. Après qu'un mouvement de protestation international s’était développé contre le «ministre-président à la merci de Höcke», Kemmerich fut contraint de démissionner. La chancelière allemande Merkel, préoccupée par l'opposition de masse, s'était exprimée là-dessus lors d'une visite en Afrique du Sud et avait critiqué l'élection de Kemmerich. Puis, le 4 mars, le prédécesseur de Kemmerich, Bodo Ramelow, fut élu ministre-président d'un gouvernement minoritaire avec les voix du Parti de gauche, du Parti social-démocrate (SPD) et des Verts.

L’intervention de Kemmerich à Gera souligne le fait que sa démission n'était qu'une manœuvre. Bien que la direction du FDP se soit sentie obligée de prendre ses distances avec sa présence à la manifestation, cela n'a pas eu de conséquences à long terme pour lui. Une vidéoconférence de la direction du FDP, avec Kemmerich, tenue mercredi a simplement convenu qu’il se retirerait de son poste à l'exécutif du parti jusqu'à la fin de l'année. Il conservera la direction du parti en Thuringe et du groupe parlementaire au parlement du Land.

Des personnalités de premier plan du FDP avaient auparavant célébré l'élection de Kemmerich au poste de ministre-président avec les voix de l'AfD. Ce n'est qu'après que le parti a chuté dans les sondages et perdu sa représentation au Sénat de Hambourg que la direction a effectué une retraite.

Malgré ses déclarations publiques de colère, la coalition gouvernementale dirigée par le Parti de gauche fait également la promotion des extrémistes de droite. Alors que les politiciens du FDP et de la CDU manifestent côte-à-côte avec les néonazis contre les mesures de verrouillage dues au coronavirus, la coalition Parti de gauche/ SPD/ Verts applique leur programme dans la pratique et sacrifient les vies humaines aux profits des grandes entreprises.

Plus tôt cette semaine, le gouvernement de Thuringe a levé en grande partie les restrictions restantes. Bien que deux des cinq points chauds du coronavirus en Allemagne, les districts de Geiz et Sonneberg, soient situés en Thuringe et aient vu leur nombre de cas dépasser les 50 pour 100 000 habitants au cours des sept derniers jours, la Thuringe va plus loin avec la réouverture que la plupart des autres Länder.

Dès mercredi, des manifestations sans limite du nombre de participants étaient autorisées et presque tous les établissements publics rouverts. Cela comprend les centres de loisirs, les clubs sportifs et les visites restreintes aux hôpitaux et aux foyers d’accueil. Les restaurants, les hôtels et autres établissements touristiques ont suivi hier, et les maternelles rouvriront lundi. Le 1er juin ouvriront les gymnases et piscines en plein air, ainsi que les installations sportives et activités de loisirs en salle. Seules les piscines couvertes, les saunas, les hammams, les cinémas, les discothèques et les bordels resteront fermés jusqu'au 5 juin.

Que le Parti de gauche impose les revendications de l'extrême droite n'est pas nouveau. C'est au contraire l'une des principales caractéristiques de ses politiques lorsqu’il est au pouvoir. Avant de remplacer Kemmerich, Ramelow, le seul ministre-président du Parti de gauche en Allemagne, était fier de ce que la Thuringe avait l'un des taux d'expulsion de réfugiés les plus élevés. Il a servilement suivi les prescriptions de la grande coalition de Berlin – non seulement sur la question des réfugiés, mais aussi sur les dépenses sociales en appliquant des budgets austéritaires.

Lorsque le FDP s'est uni à la CDU et à l'AfD pour l'éliminer, Ramelow n'a pas fait appel à la la colère montante dans la population. Au lieu de cela, il a proposé de coopérer avec la CDU dans un gouvernement dirigé par elle sous la direction de Christina Lieberknecht, ancienne ministre-présidente CDU du Land. Et lorsque la CDU a rejeté cela, Ramelow lui a accordé un droit de veto sur sa politique pour s’assurer qu’elle s’abstiendrait au parlement de Thuringe, afin d'assurer sa réélection.

En pratique, cela signifie «que le gouvernement minoritaire Parti de gauche/SPD/Verts ne peut rien décider ou faire que rejetterait la CDU», avions-nous écrit à l'époque. «Et la CDU rejettera tout ce qui rencontrera une résistance de la part de l'AfD, car sinon des conflits éclateraient dans ses propres rangs.» Cela a maintenant été confirmé.

Mais Ramelow est allé encore plus loin. Réinstallé au pouvoir, il a utilisé son vote décisif pour accorder à l'AfD l'un des postes de vice-président du parlement du Land. Le soutien de Ramelow à l'AfD a souligné cette réalité que, peu importe les divergences tactiques, le Parti de gauche est un élément clé de l'alliance des partis de l'establishment contre la classe ouvrière.

Plus la crise capitaliste et les contradictions de classe s'intensifient, plus ces partis, y compris le Parti de gauche, virent vers la droite. Avec la crise du coronavirus, qui révèle aux yeux de millions de gens l'incapacité totale du système capitaliste à protéger leur vie ou assurer leurs besoins les plus élémentaires, ce processus s'accélère.

(Article paru en anglais le 15 mai 2020)

Loading