Sur fond de grave ralentissement économique, l'Union européenne met en place un fonds de sauvetage

La Commission européenne, la branche exécutive de l'Union européenne, a établi un plan de relance économique de 750 milliards d'euros pour tenter de contrer l'impact de la pandémie de COVID-19 sur son économie, craignant que le bloc se désintègre sans une intervention.

Dans le cadre du plan, présenté dans un discours prononcé mercredi par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, au Parlement européen à Bruxelles, les fonds seront levés par la commission sur les marchés de capitaux, puis distribués aux États membres afin de financer des plans de relance. Il serait financé soit par une taxe spéciale, soit par une contribution accrue des États membres de l'UE.

Sur les 750 milliards d'euros, 500 milliards d'euros seraient sous la forme de subventions non remboursables et les 250 milliards d'euros supplémentaires sous forme de prêts.

Mais rien ne garantit que la proposition, qui nécessite l'approbation unanime des 27 pays membres de l'UE, sera entérinée en raison de divisions importantes au sein de l'organisation.

La proposition d'accorder des subventions a été rejetée par les Pays-Bas, l'Autriche, le Danemark et la Suède. Surnommés les «quatre frugaux», ils ont insisté sur le fait qu'il devrait y avoir un fonds d'urgence financé uniquement par des prêts. Mais cela a été rejeté par les pays du sud parce que cela ne ferait qu'augmenter leurs niveaux déjà élevés de dette publique.

La décision de créer le nouveau fonds intervient alors que les effets de la pandémie sur l’économie européenne sont bien plus graves que prévu. Mercredi, lors d'un webinaire avec des étudiants, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, a déclaré que l’économie de la zone euro se rétrécirait de 8 à 12 pour cent cette année.

Cette récession, deux fois plus profonde que celle résultant de la crise financière mondiale de 2008, est le résultat de «l'arrêt brutal de l'activité» dû à la pandémie. Elle a ralenti le «rythme de vie, le rythme de croissance, la création de valeur» et aurait «des effets durables malgré toutes les mesures que nous prenons», a-t-elle déclaré.

La BCE a lancé un programme d'achat d'obligations de 750 milliards d'euros en mars et devrait augmenter ses achats de 500 milliards d'euros supplémentaires lors de la réunion de son conseil des gouverneurs le 4 juin.

Dans son examen semestriel de la stabilité financière, publié plus tôt cette semaine, la BCE a averti que l'augmentation rapide des niveaux de dette publique pourrait conduire à une réévaluation du risque souverain et «relancer les pressions sur certains pays où les niveaux de dette sont déjà élevés».

La dette publique globale agrégée dans la zone euro devrait passer de 86 pour cent du PIB à plus de 100 pour cent. La dette publique atteint déjà des niveaux record dans un certain nombre de pays, approchant 200 pour cent en Grèce, 160 pour cent en Italie, 130 pour cent au Portugal et un peu moins de 120 pour cent en France et en Espagne.

La BCE a averti qu'un ralentissement plus grave que prévu pourrait placer les finances publiques sur une «trajectoire insoutenable dans les pays très endettés» et qu'une «boucle de rétroaction négative» pourrait réapparaître en cas de dégradation des notations des banques détenant d'importants montants de dette publique qui exacerberaient les notations de dette souveraine. Cette soi-disant «boucle de ruine», qui est apparue dans la zone euro lors de la crise financière de 2012, pourrait affecter l'Italie, le Portugal et l'Espagne, «où les notations bancaires sont les plus proches de la catégorie à haut risque».

La proposition d'un mécanisme de renflouement financé par l'UE n'a été rendue possible que par une décision surprise par l'Allemagne le 18 mai de convenir avec la France d'une proposition de fonds de 500 milliards d'euros à mettre à disposition sous forme de subventions.

La décision a été prise contre une forte opposition interne en Allemagne contre toute mesure dans laquelle les pays les plus riches de l'UE financeraient les économies des plus pauvres. Cette opposition a été exprimée dans une décision de la Cour constitutionnelle allemande du 5 mai, qui a contesté la légalité de la participation de la Bundesbank du pays au programme d'achat d'actifs de la BCE.

La Cour a déclaré que le gouvernement devait effectuer une «évaluation de la proportionnalité» des achats d'actifs de la BCE pour s'assurer que leurs effets sur les politiques économiques et budgétaires relevaient du mandat de la BCE, c'est-à-dire que les achats n'impliquaient pas le financement de la dette d'autres gouvernements. Elle a menacé d'ordonner à la Bundesbank de bloquer les achats d'actifs à moins que cette évaluation n'ait été effectuée dans les trois mois.

Cette décision a suscité de grandes inquiétudes quant à l'avenir de l'Union européenne et de la BCE. Le chroniqueur économique du Financial Times, Martin Wolf, a écrit que la décision du tribunal avait «lancé un missile juridique au cœur de l'UE». Le «jugement extraordinaire» était «une attaque contre l'économie fondamentale, l'intégrité de la banque centrale, son indépendance et l'ordre juridique de l'UE».

Cela a ouvert la voie à des tribunaux d'autres pays pour décréter que leurs banques centrales nationales ne pouvaient pas participer à des politiques qu'ils n'aimaient pas et «dans un temps de rien, la BCE aura été découpée en morceaux et réduite à néant».

La décision de la Cour allemande semble avoir été au moins en partie responsable de la décision du gouvernement de la chancelière Angela Merkel d'apporter son soutien à un fonds de sauvetage soutenu par l'UE. Auparavant, Berlin s'était opposé à toute suggestion que l'argent d'un fonds devrait être distribué sous forme de subventions plutôt que de prêts.

Mais selon un «haut fonctionnaire allemand», cité dans un rapport du Financial Times, le «moment de rendre des comptes» est venu lorsque le tribunal a mis en doute la légalité du programme d'achat d'obligations de la BCE en ce qui concerne la Bundesbank et une autre politique a dû être conçue.

En avril, alors que les effets de la pandémie se répandaient, le président français Emmanuel Macron a averti dans une interview au Financial Times que la zone euro et «l'idée européenne» feraient échec si l'UE ne mettait pas en place un fonds pour émettre une dette commune et financer les États membres en fonction de leurs besoins plutôt que de la taille de leur économie.

Ces sentiments ont été repris dans les récents commentaires de Merkel selon lesquels l'impact économique du virus était si grand qu'il pouvait «mettre en danger la cohésion de l'Union européenne» et «l'État national seul n'a pas d'avenir».

La proposition de mesures de sauvetage n'a rien à voir avec la satisfaction des besoins de la masse de la population européenne, aujourd'hui confrontée aux pires conditions économiques et sociales depuis les années 1930.

Il semblerait que Paris et Berlin, qui utilisent tous les deux l'UE pour asseoir leur pouvoir économique et politique à l'échelle mondiale, ont décidé de sortir le grand jeu économique et financier pour tenter de la sauver.

Mais c’est une autre paire de manches de prédire si le plan va même recevoir l’assentiment de l’UE face à l'opposition dans son propre sein.

Le chancelier autrichien, Sebastian Kurz, a déclaré mercredi à Politico: «Nous devons prendre en compte les intérêts de chacun et il existe des groupes d'intérêts très différents: les pays du Sud, qui, fondamentalement, en veulent toujours plus; les Européens de l'Est, qui ont intérêt à empêcher que tout ne s’écoule vers le sud; et, bien sûr, ceux qui doivent tout payer, les payeurs nets. »

Un diplomate des Pays-Bas, membre avec l'Autriche des «quatre frugaux», a déclaré au Wall Street Journal: «Les négociations prendront du temps. Il est difficile d'imaginer que cette proposition sera celle qui émerge finalement de ces négociations. »

(Article paru en anglais le 29 mai 2020)

Loading