Québec: syndicats et gouvernement complotent dans le dos des travailleurs de la santé et de l’éducation

Au Québec, province canadienne la plus touchée par la pandémie de COVID-19, la colère gronde parmi les quelque 550.000 travailleurs du secteur public dont la convention collective est arrivée à échéance le 31 mars. Ils ont subi des années d’appauvrissement alors même que leur charge de travail augmentait sans cesse, résultat d’une suite ininterrompue de coupes budgétaires et de concessions imposées au nom de l’austérité capitaliste. À cela, s’ajoute aujourd’hui une série de conditions qui les précipitent vers une collision frontale avec le gouvernement de droite de la CAQ (Coalition Avenir Québec).

Il y a le danger omniprésent de la contamination au coronavirus à cause du manque d’équipements de protection individuelle: plus de 5000 travailleurs de la santé ont déjà été infectés et quatre préposés aux bénéficiaires en sont morts. Il y a les arrêtés ministériels pour décréter leurs conditions de travail, les obliger à faire plus d’heures, mettre fin aux congés et aux fériés, et bouleverser leur horaire et le lieu de travail où ils sont affectés. Et, pour couronner le tout, il y a cette campagne intense – menée conjointement par le gouvernement de François Legault et les centrales syndicales – pour imposer rapidement une nouvelle convention collective, pleine de reculs majeurs sur les salaires et les conditions de travail, à plus d’un demi-million d’employés du secteur public.

C’est ce qui alimente la colère palpable partout sur les réseaux sociaux où s’expriment des infirmières, des enseignants, des préposés aux bénéficiaires ou d’autres employés du secteur public. Sentant la pression monter de la base, les syndicats du secteur public – qui se sont politiquement rangés derrière le premier ministre Legault avec la crise du coronavirus – se sont sentis obligés la semaine dernière d’organiser quelques actions de protestation.

Mercredi passé, des dizaines d’infirmières membres de la FIQ (Fédération interprofessionelle de la santé) ont manifesté devant une résidence pour aînés du quartier montréalais de Ahuntsic-Cartierville contre les efforts du gouvernement pour annuler leurs vacances cet été, ou les limiter à deux semaines, après des mois éreintants à combattre la pandémie de COVID-19. Jeudi, c’était au tour d’une centaine de membres de la CSN (Confédération des syndicats nationaux), œuvrant dans les réseaux de la santé et des services sociaux et de l’éducation, de manifester à Montréal devant les bureaux du premier ministre Legault. Le même jour, des dizaines de travailleurs du Centre de santé de la Montérégie-Ouest participaient à une manifestation organisée par les quatre syndicats de l’établissement afin de réclamer du répit et une normalisation de leurs conditions de travail.

Les syndicats, toutefois, n’ont aucune intention de mobiliser les travailleurs du secteur public du Québec, ni faire appel à toutes les sections de la classe ouvrière du Canada, pour se joindre à leurs frères et sœurs de classe des États-Unis dans une contre-offensive commune contre l’austérité capitaliste. Leur objectif est plutôt d’aider la classe dirigeante à faire payer les travailleurs pour les centaines de milliards de dollars en plans de sauvetage accordés à la grande entreprise et à l’aristocratie financière par le gouvernement fédéral libéral de Justin Trudeau.

La «négociation» dans le secteur public a été de nouveau démasquée comme une fraude avec le refus du gouvernement Legault de bouger d’un iota sur ses «offres» de départ. Québec veut imposer à tous les employés du secteur public une augmentation salariale de 5% sur trois ans (soit une baisse du salaire réel, en tenant compte de l’inflation), assortie de quelques centaines de dollars par année en montants forfaitaires.

Rien ne sera fait au niveau des conditions de travail – manque chronique de personnel dans les hôpitaux et les écoles, temps supplémentaire obligatoire pour les infirmières, ratios patients/soignant et élèves/enseignant trop élevés, etc. Leur dégradation continuelle depuis de nombreuses années a causé chez les employés un niveau élevé de stress et des problèmes chroniques de santé liés au surmenage. Pour la population, elle s’est traduite par une chute massive dans la qualité des services publics. L’ensemble de ces questions cruciales et litigieuses a été, d’un commun accord entre le gouvernement et les syndicats, complètement écarté du blitz actuel de «négociations» et relégué à de futurs forums de discussions, c’est-à-dire aux oubliettes.

Par ailleurs, le gouvernement a déjà profité de la crise du coronavirus pour s’arroger par décrets ministériels de nouveaux pouvoirs sur l’organisation du travail, qui lui permettent d’affecter arbitrairement les employés du secteur public à des tâches quelconques, ce qui va empirer des conditions de travail déjà pénibles.

Tout cela n’empêche pas les syndicats de «négocier» à huis clos avec le gouvernement Legault et de se préparer à signer une nouvelle entente de trahison. Ils acceptent entièrement le cadre financier dicté par Legault et la classe dirigeante, à savoir que des ententes de concessions doivent être rapidement adoptées en ces temps de pandémie pour garantir la «paix sociale» – c’est-à-dire l’exploitation accrue et débridée des travailleurs au bénéfice des super-riches et des marchés financiers.

Dans un communiqué envoyé à ses membres, par exemple, la CSN a justifié son abandon de demandes démagogiques qu’elle avait faites en décembre dernier. Reprenant les arguments du gouvernement, les bureaucrates de la CSN notent entre autres une «incertitude quant à l’évolution de la crise sanitaire», un déficit prévu dans les «finances publiques», un taux de chômage de 17 pour cent, ainsi qu’un «rapport de force modifié par la crise… et des règles qui interdisent les rassemblements».

Les demandes syndicales pour cette ronde de «négociations» s’alignent essentiellement sur les demandes gouvernementales. Le gouvernement offre 1,75% de hausse salariale pour chacune des deux premières années et 1,5% pour la troisième année d’un contrat de trois ans. La FTQ (Fédération des travailleurs du Québec) demande 2% chacune des trois années et quelques miettes de plus pour les «bas salariés». La CSQ (Centrale des syndicats du Québec) demande 1,75% la première année, 2,05% la deuxième année, et 2,20% la troisième année. Pour la CSN, c’est en gros 2,2% les deux premières années et 3% la troisième année. La FIQ n’a pas dévoilé ses demandes.

On peut résumer le tout en citant cette déclaration émise par l’une des centrales syndicales, mais qui est vraie pour tous les syndicats: «La CSQ rappelle que, en réponse à l’offre décevante du Conseil du trésor, le 6 mai dernier, elle a soumis au gouvernement une contre-proposition qui respectait le cadre de négociation exigé par le gouvernement». Autrement dit, il existe un accord tripartite entre gouvernement, patronat et syndicats sur la question essentielle de maintenir le cap sur l’austérité et de faire payer les travailleurs du secteur public – et la classe ouvrière en son ensemble – pour la crise du système capitaliste.

Les chefs syndicaux supplient seulement le gouvernement de faire un geste pour donner l’impression d’être à l’écoute de la base et pour les aider ainsi à faire passer un contrat de travail qui ne fait visiblement rien pour redresser, et en fait accentue, la chute continuelle du salaire réel et des conditions de travail. Ils sont ensuite «choqués» de constater que leur partenaire gouvernemental ne se gêne pas pour leur compliquer la tâche en transformant chaque promesse de «bonbon» en nouveau mécanisme pour accroître la pression sur les travailleurs. C’est ce qui s’est passé avec l’augmentation promise du salaire d’entrée des enseignants, qui a été soudainement assortie d’une nouvelle demande gouvernementale: la hausse du nombre d’heures de travail obligatoires de 32 à 40 heures par semaine, pour tous les enseignants, et ce, sans rémunération.

L’autre promesse médiatisée du gouvernement est de faire passer le salaire horaire des préposés aux bénéficiaires de 20,55 dollars à 25 ou 26 dollars. Cette mesure vise à diviser les travailleurs du secteur public en ciblant une seule catégorie, voire une sous-catégorie, d’emploi: les préposés affectés aux résidences pour personnes âgées. Elle ne s’appliquerait pas aux milliers de préposés qui travaillent dans les hôpitaux, ni à ceux du secteur privé qui gagnent à peine plus que le salaire minimum. La hausse serait sous forme de primes ou montants forfaitaires, sans être inscrite dans les grilles salariales, de sorte qu’elle puisse être facilement abolie et n’entre pas dans le calcul des rentes de retraite. Face à l’inquiétude de Legault que des infirmières ou d’autres travailleurs pourraient réclamer des hausses salariales similaires, le président de la FTQ, Daniel Boyer, a rassuré le premier ministre que les demandes syndicales n’incluent aucun «effet domino».

Le rôle que jouent les syndicats depuis des décennies pour imposer les reculs exigés par la classe dirigeante ressort clairement dans une lettre adressée au premier ministre Legault par les présidents des grandes centrales syndicales du Québec, notamment Daniel Boyer de la FTQ, Jacques Létourneau de la CSN et Sonia Ethier de la CSQ. Intitulée «Faut qu’on se parle», cette lettre représente un aveu candide de ces loyaux serviteurs de la classe dirigeante qu’ils soutiennent à 100 pour cent la féroce attaque patronale qui a commencé, et va s’intensifier, contre les emplois, les salaires, les pensions et les services publics.

«Il nous apparaît tristement évident», écrivent ces bureaucrates syndicaux avec leur indifférence habituelle pour le sort de leurs membres, «que des milliers de travailleuses et de travailleurs ne retrouveront pas l’emploi qu’ils détenaient il y a maintenant deux mois». Appelant ensuite au «dialogue social», ils offrent leurs services à la classe dirigeante pour restaurer la compétitivité du Québec inc. et

étouffer l’immense opposition sociale que va provoquer ce massacre des emplois.

Même avant la pandémie, les réseaux de la santé et de l’éducation étaient saignés à blanc par des décennies de coupes budgétaires au nom de l’austérité capitaliste. La subordination de toutes les ressources de la société aux profits de la grande entreprise signifie aujourd’hui que des millions d’emplois sont éliminés, et ceux qui ont encore un emploi sont forcés, sous peine de congédiement, de retourner au travail sans véritables mesures de protection. Face à un coronavirus mortel et plus présent que jamais, des masses de travailleurs courent ainsi le risque d’être contaminés, et de contaminer leurs proches.

Rien ne saurait mieux démontrer l’incompatibilité entre le système de profit et les besoins les plus élémentaires de la société, y compris le droit à la vie. Ce qui est nécessaire, ce n’est pas le «dialogue social» avec une aristocratie financière complètement indifférente au sort et à la vie de millions de travailleurs, mais un défi direct à l’ordre capitaliste existant. La classe ouvrière doit, par sa mobilisation politique indépendante, avancer sa propre solution à la crise actuelle, basée sur la réorganisation complète de l’économie pour satisfaire les besoins humains.

Ce qui signifie, pour les employés du secteur public, le rejet non seulement des offres bidon négociées entre le gouvernement-patron et les syndicats, mais de tout le cadre idéologique des négociations. Il faut énergiquement rejeter le principe que c’est aux travailleurs de faire «leur part» dans la crise sanitaire et socio-économique créée par la négligence criminelle de la classe dirigeante. En fait, les ressources existent abondamment pour répondre aux besoins sociaux vitaux, mais elles sont accaparées par une élite financière et patronale obsédée par les profits.

Les travailleurs doivent prendre la lutte entre leurs mains et établir des comités de base, indépendants des syndicats pro-capitalistes. Ces comités auront pour tâche de mobiliser toute la force sociale de la classe ouvrière autour des revendications suivantes: un programme d’urgence pour la construction d’hôpitaux et d’écoles; l’embauche de dizaines de milliers de nouveaux employés et une vaste expansion des services publics; des tests de dépistage et des équipements de protection individuels pour tous les employés du secteur public; l’abolition du temps supplémentaire obligatoire; et un véritable rattrapage salarial de 15% par année, et 20% pour les bas salariés, pour la durée du contrat.

La lutte pour ces demandes doit être associée à une lutte politique contre le capitalisme, dans l’unité la plus étroite avec les travailleurs dans le reste du Canada, les États-Unis et outremer.

Loading