Plan de relance du gouvernement allemand: cinquante milliards pour les sociétés automobiles et un milliard pour l‘aide aux enfants

Après deux jours de pourparlers, les partis de la Grande coalition gouvernementale en Allemagne ont convenu d'un plan de relance de 130 milliards d'euros pour les années 2020 et 2021.

Il vient s'ajouter à une série d'autres programmes existants, comme le programme de sauvetage adopté en mars et s’élevant désormais à près de 1,200 milliards d'euros, le programme d'achat d'obligations de la Banque centrale européenne (BCE) qui dépassera les 1 000 milliards euros d’ici la fin de l'année, et les mesures de sauvetage de 750 milliards d'euros de l'Union européenne (UE) dont un certain montant sera attribué à l'Allemagne.

Les principaux bénéficiaires de tous ces programmes seront la grande entreprise et les bourses. Depuis son effondrement en mars, causé par le coronavirus, le DAX allemand a connu des gains massifs et s'approche du record historique atteint avant la crise. En conséquence, la richesse des actionnaires de toutes les sociétés cotées au DAX a augmenté de 360 milliards d'euros sur deux mois et demi, près de trois fois plus que le plan de relance.

Angela Merkel et Olaf Scholz lors de la réunion ministérielle mercredi dernier (Michael Kappeler/DPA via AP, Pool)

«Le boom actuel des marchés boursiers est le meilleur boom boursier que l'on puisse acheter», a commenté Gabor Steingard, ancien rédacteur en chef du quotidien financier Handelsblatt , dans son podcast Morning Briefing. «Les trésors de Washington, Londres, Berlin et Paris sont grands ouverts, et le champagne coule à flot sur les places financières […] Les marchés financiers du monde entier ont compris depuis longtemps que le coronavirus ne représentait pas une imposition, mais plutôt une injection de liquidité. Les investisseurs y figurent parmi les plus grands profiteurs des efforts de lutte contre la pandémie. »

Le dernier plan de relance correspond tout à fait à cette évaluation.

La grande coalition, et les sociaux-démocrates en particulier, font de leur mieux pour le vendre comme un formidable acte d’aide sociale. Avec un œil sur les grandes luttes de classe qui se développent aux États-Unis et dans d'autres pays, ils tentent de soigner leur image de partis du compromis social. En cela, ils reçoivent le soutien d'économistes et des médias. Par exemple, la Süddeutsche Zeitung aaffirmé que les mesures de relance renforcaient «les personnes socialement vulnérables».

C'est là un mensonge éhonté. Comme les précédents renflouements, les dernières mesures inondent les riches d’argent ; elles sont juste maquillées par quelques bribes d’aide aux familles. De plus, il est déjà clair que les sommes considérables engagées seront prélevées sur la classe ouvrière dans la période à venir par le biais de mesures d'austérité, comme ce fut le cas après la crise financière de 2008-2009. Il est à noter qu’un financement de ce programme par une augmentation des impôts des plus hauts revenus et des individus les plus riches n'a même pas été envisagé.

En conséquence, le plan de relance entraînera une nouvelle augmentation des inégalités sociales en enrichissant les super-riches aux dépens de la grande majorité. Et cela dans des conditions où de grandes entreprises comme Lufthansa, ZF et tous les constructeurs automobiles ont déjà dévoilé des plans pour de vastes suppressions d'emplois. Les chiffres du chômage en avril et mai ont déjà considérablement augmenté. Plus de 7 millions de personnes sont actuellement en chômage partiel et craignent de perdre leur emploi. En outre, la menace d'une deuxième vague de la pandémie se profile en raison de la politique irresponsable de lever toutes les restrictions du confinement.

Le caractère socialement équilibré de l'ensemble aurait été prétendument démontré par la réduction de la TVA pendant cinq mois de 19 à 16 pour cent, ou de 7 à 5 pour cent pour le taux réduit, au coût de 20 milliards d'euros. « Les personnes à revenus faibles et moyens, qui dépensent l'essentiel de leur salaire net en biens de consommation, bénéficient notamment d'une baisse de la TVA », écrit le quotidien de droite FAZ.

Mais les prix de biens de consommation de base, comme les aliments, ont déjà augmenté d'une marge beaucoup plus grande pendant la pandémie, qui ne saurait être compensée maintenant par une baisse de la TVA. Les prix des légumes ont augmenté de 26,3 pour cent entre janvier et mars. Les fruits, le lait et le beurre ont également fortement augmenté.

Dans ces conditions, la réduction de la TVA bénéficiera principalement aux grandes entreprises et aux commerces. Gabriel Felbemayr, président du Global Economic Institute, basé à Kiel, a déclaré à Handelsblatt : « Il n'est pas clair pour moi si les entreprises vont réduire leurs prix pendant cette courte période ou simplement empocher eux-mêmes la réduction de TVA. » Les entreprises avec une forte position sur le marché pouvaient simplement laisser passer les six mois sans réduire leurs prix.

Les sommes minuscules conçues pour aider les plus durement touchés par la crise relèvent plus de l’insulte que de l'aide.

Les parents recevront une augmentation unique de l'allocation familiale de 300 € pour chaque enfant de moins de 18 ans. Le coût total étant d'environ 4,3 milliards d'euros. C'est une somme ridiculement faible si l'on considère que de nombreux parents ont été contraints de renoncer à une grande partie de leur revenu pendant plusieurs semaines ou de payer des frais élevés pour la garde d'enfants alors que les écoles et les garderies étaient fermées.

Un autre milliard d'euros est mis à disposition dans tout le pays pour rénover les maternelles délabrées et améliorer les mesures d'hygiène. Cela représente un neuvième du montant déboursé pour sauver Lufthansa.

L'ensemble du plan ne comprend « pas un centime » pour les pauvres sans enfants, comme l'a commenté Ulrich Schneider, le chef de l'organisation de protection sociale Paritätische Wohlfahrtsverband. Le mot «soins» n'apparaît même pas dans la présentation des mesures. Cependant, la crise du coronavirus a mis à nu les terribles conditions dans les maisons de retraite et de soins, qui ont entraîné d’innombrables décès évitables.

Les communes, qui ont vu leur budget systématiquement pillé par le gouvernement fédéral, ne recevront que 6 milliards d'euros. Et cela malgré qu'elles aient été particulièrement touchées par l'effondrement des recettes fiscales des entreprises, l'augmentation des dépenses d’aide sociale et une baisse importante des revenus des organismes culturels. La proposition d'annuler les dettes impayées des municipalités a été abandonnée. Au lieu de cela, le gouvernement fédéral paiera une partie des coûts de l'hébergement des personnes bénéficiant de l'aide sociale.

La plus grande partie du plan de relance de 130 milliards d'euros ira directement sur les comptes des grandes entreprises. Onze milliards d'euros sont destinés à réduire le supplément à payer pour les énergies renouvelables. Bien que cela se traduise par une baisse minimale des paiements de factures pour les ménages, les principaux bénéficiaires en seront les gros clients industriels.

Vingt-cinq milliards d'euros de financement transitoire seront accordés aux petites et moyennes entreprises des secteurs particulièrement touchés pour couvrir l'effondrement des revenus. En plus des allégements fiscaux, le plan comprend des rabais sur les frais d'exploitation des entreprises jusqu'à un plafond de 150 000 € pour les hôtels et restaurants, les bars et clubs, les agences de voyage, les artistes itinérants et les clubs sportifs professionnels des ligues inférieures. Pour réduire le fardeau de la crise du coronavirus sur les organismes culturels, un tout petit milliard d'euros est prévu.

Le plan comprend 5,3 milliards d'euros pour plafonner les cotisations de charges sociales à 40 pour cent du revenu total. La moitié de cette somme ira directement dans les poches du patronat.

La plus grande partie du plan, 50 milliards d'euros, est réservée aux investissements dans le changement climatique et les nouvelles technologies. Cette rubrique à consonance présomptueuse cache un flot d’argent pour l'industrie automobile.

Malgré un lobbying intensif, les constructeurs automobiles n'ont pas réussi à persuader le gouvernement d’accorder une prime d'achat pour les voitures à essence et diesel. Au lieu de cela, ils bénéficieront d'une prime encore plus élevée pour les véhicules électriques. L'achat d'un véhicule électrique sera financé à l'avenir par une prime de 6 000 € au lieu des 3 000 € actuels.

En outre, d'autres programmes de financement pour les constructeurs automobiles sont inclus: 2,5 milliards d'euros seront investis dans l'extension du réseau de charge des batteries pour les véhicules électriques et 2 milliards d'euros supplémentaires seront consacrés à la production de batteries. Et les constructeurs automobiles bénéficieront également de la réduction de la TVA sur les voitures à essence et diesel. Pour une voiture milieu de gamme d'une valeur de 30 000 €, l'économie s'élève à 900 €.

Le gouvernement a également l'intention d'augmenter de 5 milliards d'euros le capital dont dispose la compagnie ferroviaire Deutsche Bahn. Un montant supplémentaire de 2,5 milliards d'euros est réservé au soutien des transports en commun.

Le plan de relance a été salué par tous les instituts économiques et toutes les associations patronales. Le président de l'Institut Ifo, Clemens Fuest, l'a qualifié d’«équilibré». Le directeur de l'Institut de l’économie allemande pro-employeurs, Michael Hüther, l'a salué comme «étonnamment important » et « financièrement responsable». Le directeur scientifique de l'Institut syndical pour la recherche macroéconomique (IMK), Sebastian Dullien, a déclaré qu'il fallait « se féliciter que le gouvernement se soit mis d'accord sur un plan de relance d'une taille substantielle ».

Parallèlement à de nouvelles attaques contre la classe ouvrière, le plan vise à assurer un avantage aux grandes entreprises allemandes dans les guerres commerciales avec leurs rivaux européens et internationaux. C'est pourquoi il bénéficie du soutien sans réserve des associations patronales et des syndicats.

(Article paru en anglais le 8 juin 2020)

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