Dans le Journal officiel du 2 juin, le président sri-lankais Gotabhaya Rajapakse a annoncé la création d'un groupe de travail dirigé par des militaires, doté de pouvoirs étendus et ne rendant compte qu’à lui.
Ce groupe de travail de treize membres est présidé par le secrétaire du ministère de la Défense, le major général à la retraite Kamal Gunaratne. Il comprend les chefs d’état-major de l'armée, de la marine et de l’armée de l’air – le lieutenant-général Shavendra Silva, le vice-amiral Piyal de Silva et le maréchal de l'air Sumangala Dias, respectivement. Parmi les autres membres figurent les chefs du renseignement des trois armes et des officiers supérieurs à la retraite récemment nommés par Rajapakse à des institutions gouvernementales clés, ainsi que l'inspecteur général de police par intérim et deux autres officiers supérieurs de la police.
Le Socialist Equality Party, SEP (Parti de l'égalité socialiste) prévient que ce groupe de travail représente une étape majeure vers une dictature présidentielle basée sur l'armée pour préparer un affrontement avec la classe ouvrière sur fond de la crise économique et politique et de tensions sociales intensifiées par la pandémie du COVID-19.
Rajapakse a déclaré que la principale responsabilité du gouvernement était de «donner la priorité à la sécurité nationale et de créer une société vertueuse, disciplinée, qui respecte l'état de droit et la justice». L’organisme nouvellement créé est chargé d'imposer ce programme sinistre et réactionnaire.
Pour atteindre ces objectifs, a déclaré Rajapakse, ce groupe de travail prendra « des mesures immédiates pour freiner les activités illégales de groupes sociaux qui violent la loi et qui apparaissent comme nuisibles à l'existence libre et pacifique de la société ». Il engagera également «des actions en justice contre les personnes responsables d'activités illégales et antisociales menées au Sri Lanka, tout en étant basées dans d'autres pays».
Il sera dirigé contre la classe ouvrière, qui entre maintenant en lutte pour la défense de ses droits, et contre les opposants politiques, y compris le SEP. Le gouvernement qualifiera leurs activités d’«illégales, antisociales et nuisibles à la coexistence pacifique de la société».
Le groupe de travail, affirme le président, prendra des «mesures de prévention contre la menace de la drogue» et «enquêtera et empêchera toute activité illégale et antisociale dans et autours des prisons».
Les médias bourgeois ont promu sans critique la position de Rajapakse sur la drogue et les activités illégales. C’est là une opération de camouflage. Le groupe de travail n'a rien à voir avec la lutte contre la drogue et d'autres activités criminelles, mais est une cabale militaire dotée de pouvoirs autoritaires.
Ce groupe dirigé par les militaires peut «adresser des instructions ou des demandes» aux fonctionnaires de n'importe quel ministère, département, entreprise ou institution similaire, pour «une assistance dans la prestation de services».
Ces fonctionnaires de l'État seront tenus de répondre à ses demandes et tout retard ou manquement de leur part sera signalé au président et considéré comme de la désobéissance entraînant de possibles sanctions.
Au Sri Lanka, les fonctionnaires de l'État sont considérés comme faisant partie de l'administration civile. Maintenant, ils peuvent être placés sous le contrôle de cet organisme militaire ayant le pouvoir de passer outre aux ministres et au Parlement.
Ces mesures violent la constitution et en particulier le 19e amendement introduit par le précédent gouvernement de Sirisena-Wickremesinghe, qui restreignait certains pouvoirs de l’exécutif présidentiel.
Bien que le gouvernement Sirisena-Wickremesinghe eut abandonné sa promesse d'abolir l’exécutif présidentiel, son 19e amendement établissait que le président devait prendre acte des conseils du Premier ministre et du cabinet, ne pouvait pas occuper un poste ministériel et était responsable devant le Parlement.
Rajapakse s'est adressé aux militaires et aux responsables du gouvernement le jour de son annonce au Journal officiel et a publié plus tard un tweet déclarant: « Je n'hésiterai pas à exercer le pouvoir qui m'est conféré par le peuple pour prendre les décisions nécessaires en vue d’un pays meilleur ». Ces affirmations du président sont clairement une violation de la constitution.
La marche rapide de Rajapakse vers une dictature s’effectue parallèlement aux mesures prises par les classes dirigeantes des autres pays en réponse à l'aggravation de la crise économique et politique.
Aux États-Unis, centre de l'impérialisme mondial, le président Donald Trump encourage les forces fascistes et mobilise l'armée en réponse aux manifestations de masse qui ont éclaté contre la violence policière et le meurtre de George Floyd par la police.
Comme l’explique la déclaration publiée par notre parti frère, le SEP aux États-Unis: La classe ouvrière doit intervenir! Empêchons le coup d’État de Trump!:
« La cible de la conspiration à la Maison-Blanche est la classe ouvrière. L’oligarchie de la finance et des grandes sociétés est terrifiée à l’idée que l’éruption de manifestations de masse contre la violence policière se conjugue avec l’immense colère sociale des travailleurs face à l’inégalité sociale. Celle-ci s’est énormément intensifiée suite à la réaction de la classe dirigeante à la pandémie de coronavirus et à la campagne homicidaire de retour au travail».
L'économie sri-lankaise est en ruine. Le tourisme, les exportations et les rentrées de devises des travailleurs migrants se sont taris ; les investissements internationaux dans les obligations souveraines du pays sont en baisse constante et la croissance économique devrait baisser cette année à 1 pour cent ou moins. La baisse des réserves internationales a créé la perspective d'un défaut de paiement de la dette extérieure.
Alors que le gouvernement Rajapakse prévoit de faire peser tout le poids de cette crise sur les masses, la colère de la classe ouvrière monte contre la destruction de centaines de milliers d'emplois et l’attaque des salaires et des retraites par les employeurs. Les travailleurs des industries de l'habillement, des secteurs de la santé et de l’aide sociale ont déjà protesté et fait grève contre ces attaques.
Rajapakse est devenu président en novembre dernier à la suite de la vague croissante de grèves et de manifestations des travailleurs qui fait éclater le régime de Sirisena-Wickremesinghe. Rajapakse a promis à la grande entreprise une gestion «forte et stable», mais lui et son gouvernement minoritaire dirigé par le Sri Lanka Podujana Peramuna (SLPP) savent très bien qu'ils ont assis sur une poudrière politique.
La réaction de Rajapakse à la pandémie de coronavirus a été de saper davantage les droits démocratiques et d'étendre les pouvoirs des militaires. Il a nommé le chef de l'armée, le général Shavendra Silva, à la tête du Centre national d'opérations pour la prévention du COVID-19 et a mobilisé en grand nombre l'armée et son appareil de renseignement à Colombo. Des généraux ont été nommés à la tête de l'autorité portuaire, des douanes et du ministère de la Santé, et nommés gouverneurs de plusieurs provinces. Le gouvernement attise également délibérément des tensions communautaristes anti-tamoules et anti-musulmanes pour diviser et faire dérailler l'opposition sociale montante.
Aucun parti d'opposition ne s'est opposé au groupe de travail de Rajapakse dirigé par l'armée ni à son programme dictatorial. Ces trois derniers mois, le Parti national uni (UNP), Samagi Jana Balavegaya (SJB), Janatha Vimukthi Peramuna, l’Alliance nationale tamoule (TNA) et les partis musulmans ont tous participé à deux réunions multipartites avec le Premier ministre Mahinda Rajapakse et ont promis leur soutien à la soi-disant lutte du gouvernement contre la pandémie.
Le mois dernier, l'UNP, le SJB, la TNA et les partis musulmans ont également signé une lettre exhortant Rajapakse à convoquer à nouveau le Parlement, dissous en raison des élections nationales imminentes. Ils se sont engagés à ne pas renverser le gouvernement et à adopter toute législation requise par lui. Aucun des partis d'opposition du Sri Lanka ne défend les droits démocratiques des travailleurs et des pauvres.
Qu’ils participent ou non au gouvernement, tous ces partis pro-impérialistes ont imposé des mesures d'austérité dictées par le Fonds monétaire international, attaqué les droits de tous les travailleurs et mobilisé l'armée et la police pour réprimer toute résistance.
Chaque faction politique de l'élite dirigeante possède une histoire sanglante. Elles ont toutes soutenu la guerre communautariste sanguinaire de 30 ans menée contre les séparatistes des Tigres de libération de l'Eelam tamoul dans le Nord et l'Est, et commis nombre d’autres crimes.
Les élites dirigeantes sont unies dans leur crainte de l'agitation croissante des travailleurs et des pauvres et dépendent toutes de l'armée pour maintenir le pouvoir capitaliste.
La classe ouvrière ne peut vaincre la menace croissante de la dictature qu'en mobilisant sa force révolutionnaire indépendante au-delà de toutes les divisions ethniques et religieuses, et en s'unissant à la classe ouvrière internationale qui entre en lutte maintenant dans tous les pays.
Cela nécessite la création de comités d'action sur les lieux de travail et dans les quartiers pour mobiliser la classe ouvrière, les jeunes et les pauvres de la campagne en défense de leurs emplois et de leurs droits fondamentaux. Cette lutte ne peut avancer que dans le cadre de la lutte pour un gouvernement ouvrier et paysan, qui saisisse la propriété capitaliste et réorganise rationnellement la société sur une base socialiste et internationaliste.
C’est là le programme du SEP, la section sri-lankaise du Comité international de la Quatrième Internationale. Nous pressons nos lecteurs de rejoindre et de construire ce parti.
(Article paru en anglais le 10 juin 2020)