Tout en feignant la sympathie pour les manifestants, les géants technologiques américains aident à la militarisation de la police et à la surveillance

Au cours de la semaine dernière, les entreprises technologiques, de la Silicon Valley à New York, ont publié des déclarations exprimant leur sympathie pour les manifestations de masse qui ont lieu dans le monde entier pour demander la fin des violences policières et du racisme. Ces déclarations ont inclus des contributions financières de millions de dollars à des organisations de défense des libertés civiles et à des causes de justice sociale.

Dans certains cas, des dirigeants ont posté des tweets personnels – comme Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, Sundar Pichai, PDG de Google et Bill Gates, fondateur de Microsoft – qui évoquaient la mémoire de George Floyd, Breonna Taylor et Ahmaud Arbery et s'opposaient à l'injustice dont sont victimes les Noirs en Amérique.

Un homme vérifie son téléphone portable pendant une pause cigarette devant le siège de Verizon, dans le Lower Manhattan. (AP Photo/John Minchillo)

Alors qu'ils expriment maintenant publiquement leur soutien aux millions de personnes qui réclament une véritable égalité, la vérité est que les entreprises technologiques font partie intégrante de la militarisation de la police qui s'est développée au cours des deux dernières décennies. De plus, l'appareil de répression de haute technologie qu'elles ont activement contribué à développer a été utilisé contre les manifestants depuis que George Floyd a été assassiné par des policiers de Minneapolis le jour du Memorial Day.

Un exemple typique est le rôle des sociétés de télécommunications Verizon et AT&T, qui ont publié des déclarations la fin de semaine dernière dans lesquelles elles s'engagent à soutenir «la diversité et l'inclusion» et «l'égalité», alors qu'elles financent toutes deux un groupe dédié à la militarisation de la police locale et travaillent avec l'État pour étendre la surveillance secrète du public sans mandat.

Selon un reportage publié sur le site internet de lutte contre la corruption Sludge le 4 juin, Verizon et AT&T sont des «partenaires platine» de l’Association nationale des shérifs (National Sheriff's Association, NSA), un groupe de pression basé à Alexandria, en Virginie, et fondé en 1940.

Le reportage de Sludge note que «les deux plus grandes compagnies de télécommunications américaines sont parmi les plus importantes sociétés qui s'associent à la NSA. Verizon est également l'un des trois “partenaires diamants” de la NSA, le niveau de partenariat le plus élevé du groupe, ce qui lui donne droit à un dîner privé avec le comité exécutif de la NSA. Une brochure indique que “ce cadre intime vous permettra de passer un temps précieux avec les principaux décideurs de l'organisation.”»

L'un des principaux objectifs de l’Association nationale des shérifs est de rendre permanent le programme 1033 de surplus militaires qui permet aux forces de l'ordre civiles d'acquérir auprès du gouvernement fédéral des armes et des équipements conçus à l'origine pour la guerre.

Comme l'explique Sludge dans son reportage, «Dans le cadre du programme 1033 du département de la Défense, les services de police des États et municipaux peuvent obtenir des véhicules blindés résistants aux mines, des lance-grenades, des hélicoptères, des véhicules aériens et terrestres sans pilote, des baïonnettes et d'autres armes de guerre. Les forces de l'ordre des États et locales détiennent actuellement pour 1,75 milliard de dollars de matériel militaire qu'elles ont acquis dans le cadre de ce programme.»

Le programme 1033 a été lancé en 1997 sous l'administration Clinton et est géré par la Defense Logistics Agency qui approuve les demandes de transfert des services de police locaux et leur livre le matériel. Le programme a été accéléré dans le cadre des attaques contre les droits démocratiques aux États-Unis dans les années qui ont suivi les attentats terroristes du 11 septembre 2001.

Selon certaines estimations, la valeur du matériel militaire transféré au fil des ans s'élève à 7,4 milliards de dollars. Un exemple particulièrement pertinent de la manière dont le matériel provenant du programme 1033 peut être utilisé dans la situation actuelle contre les manifestants est l'acquisition par la ville de Santa Maria, en Californie, d'un dispositif acoustique à longue portée (LRAD), un «canon sonore» conçu pour disperser les foules en émettant un bruit fort et douloureux.

Selon le reportage de Sludge, en 2012, Verizon a équipé un Humvee acquis par l’Association nationale des shérifs d'une technologie mobile qui permet à la police «d'accéder aux dossiers et de gérer la paperasse sur le terrain, d'exploiter la surveillance vidéo avant d'arriver sur une scène de crime, de communiquer avec les répartiteurs et plus encore.»

Une autre des priorités législatives de la NSA est l'opposition à la réforme de l'Electronic Communications Privacy Act (ECPA), une loi fédérale qui permet à la police d'obtenir sans mandat les enregistrements de communications de sociétés de télécommunications comme AT&T et Verizon. Selon les informations figurant sur le site internet du groupe de pression, «la NSA est consciente de la menace croissante que représente le fait de "disparaitre" pour sa capacité à obtenir de manière efficace et efficiente des documents numériques susceptibles de sauver des vies.»

La NSA décrit l'ECPA comme «une loi essentielle qui vise à garantir que les entreprises de télécommunications travaillent correctement en collaboration avec les forces de l'ordre.» Dans son lobbying passé sur la question, la NSA a pressé le Congrès d'autoriser l'accès illimité des entreprises de télécommunications aux données de communications privées en partenariat avec les forces de l’ordre.

Comme l'a démontré Edward Snowden, ancien sous-traitant pour les services de renseignement, la collaboration entre Verizon et AT&T pour la surveillance gouvernementale sans mandat des communications électroniques 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 est une pratique bien établie. Compte tenu de ces révélations, il est tout à fait logique que les entreprises de télécommunications soutiennent des groupes de pression comme la NSA, qui sont favorables à la légalisation de la surveillance électronique sans mandat du public.

L'histoire publiée par Sludge prouve qu'une telle surveillance illégale est en cours et identifie le projet C, également connu sous le nom d'Hemisphere, dans lequel «AT&T conserve et analyse des milliards d'enregistrements d'appels nationaux et internationaux qui passent par ses réseaux et met les informations à la disposition de la Drug Enforcement Agency et de plusieurs autres autorités policières, sans ordonnance judiciaire.»

D'autres exemples d'entreprises technologiques collaborant aux méthodes avancées des autorités policières qui violent les droits fondamentaux sont l'utilisation de technologies de reconnaissance faciale liées à une base de données nationale d'images de visages, l'utilisation d'informations de géolocalisation sur les appareils mobiles pour localiser les individus et le suivi des conversations sur les médias sociaux basé sur des recherches par mots clés.

Quelles que soient les opinions des dirigeants d'entreprises concernant les meurtres commis par la police et la discrimination raciale aux États-Unis, le fondement à la fois de l'inégalité et de la militarisation de la police est le système capitaliste. L'intégration de l'industrie technologique américaine avec la police et les services de renseignements s'est intensifiée au cours des deux dernières décennies, parallèlement à la multiplication des guerres impérialistes américaines au Moyen-Orient et en Afrique.

Sous le capitalisme, les réalisations techniques les plus avancées – indépendamment de leur capacité à améliorer et à prolonger la vie de milliards de personnes dans le monde – sont subordonnées à la recherche du profit et utilisées en fin de compte comme instruments de répression et de guerre. La lutte contre la militarisation de haute technologie des forces de l'ordre ainsi que la brutalité et le meurtre par la police sont inséparables de la lutte de la classe ouvrière pour la réorganisation socialiste de la société et l'utilisation planifiée de la science et de la technologie pour les besoins humains et non pour le profit.

(Article paru en anglais le 13 juin 2020)

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