Introduction de «La Quatrième Internationale et la perspective de la révolution socialiste mondiale: 1986-1995»

Ce livre est disponible en anglais sur mehring.com.

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Ce livre se compose de conférences présentées lors de l’université d'été du Parti de l’égalité socialiste (PES) américain qui s'est tenue du 21 au 28 juillet 2019. Les conférences examinent le développement de la perspective et du programme du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) à la suite de la scission avec le Workers Revolutionary Party (WRP) britannique en février 1986. L'annexe du volume comprend plusieurs résolutions et documents critiques cités dans les conférences.

La scission avec le WRP compte parmi les événements les plus significatifs de l'histoire de la Quatrième Internationale. L'enjeu était la survie du mouvement trotskyste et la continuité de son programme internationaliste révolutionnaire.

La conférence d'ouverture de ce volume, prononcée par le président national du PES, David North, replace la scission et les tâches actuelles du CIQI dans le contexte de l'histoire du trotskysme, en remontant à la formation de l'Opposition de gauche en Union soviétique en 1923. North identifie quatre phases distinctes dans l'histoire du mouvement trotskyste.

La première phase, de 1923 à la fondation de la Quatrième Internationale en 1938, a englobé la lutte menée par Trotsky contre les trahisons et les crimes du régime contre-révolutionnaire dirigé par Staline. Ces quinze années ont été marquées par la dépression mondiale, l'arrivée au pouvoir du fascisme en Allemagne, l'éclatement de la guerre civile en Espagne, la terreur meurtrière de Staline contre les restes du bolchevisme en Union soviétique et l'approche de la Seconde Guerre mondiale impérialiste. Trotsky, vivant en exil persécuté sur «la planète sans visa», a défendu et développé, en opposition implacable à la théorie stalinienne anti-marxiste du «socialisme dans un seul pays», la théorie de la révolution permanente comme fondement stratégique de la Quatrième Internationale.

La deuxième phase, entre 1938 et 1953, a englobé la Seconde Guerre mondiale, l'assassinat de Trotsky, les premières années de la restauration du capitalisme après la guerre et le déclenchement de la guerre froide. Ces quinze années ont été marquées par des divisions croissantes au sein de la Quatrième Internationale, qui ont eu tendance à se concentrer sur les désaccords concernant la définition de Trotsky de l'Union soviétique comme «État ouvrier dégénéré» et, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, sur le rôle révolutionnaire indépendant de la Quatrième Internationale dans un monde politiquement dominé par le conflit de la Guerre froide entre l'impérialisme américain et le régime stalinien en Union soviétique.

À la fin des années 1940, une tendance dirigée par Michel Pablo et son proche associé, Ernest Mandel, a développé une position politique qui attribuait à la bureaucratie soviétique et aux partis staliniens un rôle révolutionnaire. En opposition à l'appel de Trotsky pour une révolution politique contre le régime stalinien, Pablo et Mandel ont envisagé un processus d'autoréforme bureaucratique. De plus, les organisations staliniennes revigorées seraient obligées, sous la pression de la classe ouvrière, de mener à bien le renversement révolutionnaire du capitalisme. Le résultat de ces révolutions dirigées par la bureaucratie serait l'établissement d'États ouvriers «déformés» qui, après une période de plusieurs siècles, céderaient la place à un véritable socialisme. Dans cette perspective bizarre, la Quatrième Internationale n'avait aucun rôle indépendant à jouer.

En conséquence, Pablo et Mandel ont soutenu que les sections existantes de la Quatrième Internationale devaient se dissoudre dans les partis staliniens de masse. En développant cette orientation essentiellement défaitiste, Pablo et Mandel ont adopté une orientation tout aussi opportuniste à l'égard du régime maoïste en Chine et des nombreux mouvements nationalistes bourgeois qui avaient acquis des adeptes en masse au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

En dehors de la Quatrième Internationale, Trotsky avait écrit en 1938, «il n'existe pas, sur cette planète, un seul courant révolutionnaire qui mérite réellement ce nom». La Quatrième Internationale, poursuit-il, «s'oppose irréductiblement à tous les groupements politiques liés à la bourgeoisie». [Leon Trotsky, The Death Agony of Capitalism and the Tasks of the Fourth International, The Transitional Program (New York: Labor Publications, 1981), p. 42]

Au début des années 1950, Pablo avait rejeté l'opposition révolutionnaire de Trotsky aux agences politiques de la bourgeoisie. «Ce qui nous distingue plus encore du passé [c'est-à-dire de Trotsky]», écrit-il, «ce qui fait la qualité de notre mouvement aujourd'hui et constitue la plus sûre garantie de nos victoires futures, c'est notre capacité croissante de comprendre, d'apprécier le mouvement de masse tel qu'il existe – souvent confus, souvent dominé par des directions traîtres, opportunistes, centristes, bureaucratiques et même bourgeoises et petites-bourgeoises – et nos efforts pour trouver notre place dans ce mouvement avec pour but de le faire parvenir de son niveau actuel à un niveau plus élevé.». [Cité dans David North, L’héritage que nous défendons :Une contribution à l'histoire de la Quatrième Internationale, Chapitre 15 :https://www.wsws.org/francais/heritage/heritage/chapitre1-35/15janv02_heritage15.shtml]

En 1953, il était devenu évident que la perspective et la pratique liquidationnistes de Pablo et Mandel menaçaient la Quatrième Internationale de destruction. James P. Cannon, le fondateur du mouvement trotskyste aux États-Unis et toujours le leader central du Socialist Workers Party (SWP), a publié une lettre ouverte qui appelait les organisations trotskystes à rompre irrévocablement avec Pablo, Mandel et leurs partisans. Cannon et d'autres signataires de la lettre ouverte, dont Gerry Healy, le leader du mouvement trotskyste en Grande-Bretagne, ont formé le Comité international de la Quatrième Internationale. Cette scission historique a mis fin à la deuxième phase de l'histoire de la Quatrième Internationale.

La troisième phase s'est étendue sur plus de trois décennies, de la publication de la lettre ouverte en 1953 à la rupture du Comité international avec le WRP en 1985-1986. Le trait dominant de cette période de trente-deux ans a été la lutte prolongée du mouvement trotskyste contre l'influence continue du pablisme, qui était l'expression politique de la pression idéologique, politique et organisationnelle exercée par l'impérialisme et le stalinisme sur la Quatrième Internationale.

Le pablisme était une forme d'anti-marxisme qui, en dernière analyse, reflétait à la fois la perspective des grandes bureaucraties ouvrières (tant staliniennes que social-démocrates) et des myriades de formes de politique petite-bourgeoise radicale, et s'y adaptait. Les conditions spécifiques et particulières du boom économique de l'après-guerre – l'apparente consolidation des régimes staliniens, l'amélioration du niveau de vie des travailleurs en Amérique du Nord et en Europe occidentale, la montée au pouvoir du régime maoïste en Chine et de nombreux régimes et mouvements nationaux bourgeois, qui débitent souvent des phrases à consonance marxiste, et l'éruption du radicalisme étudiant dans les années 1960 – ont créé un environnement politiquement hostile pour la Quatrième Internationale. Le mouvement pabliste, qui s'oriente vers la petite-bourgeoisie, a fait tout ce qu'il a pu – avec le soutien ouvert et caché des staliniens et des organismes d'État de l'impérialisme – pour isoler politiquement les trotskystes orthodoxes de la Quatrième Internationale.

L'influence du révisionnisme pabliste ne s'est pas seulement manifestée sous la forme de pressions organisationnelles extérieures sur le Comité international. C'est précisément en raison de la base sociale objective du pablisme et du rapport de forces défavorable, que les conceptions politiques proches de celles des pablistes ont eu tendance à trouver un public au sein de sections de la direction et des cadres du Comité international. Le Socialist Workers Party, affirmant que la montée au pouvoir de Castro prouvait qu'une révolution socialiste était possible sous la direction de guérillas petites-bourgeoises, a rompu avec le Comité international en 1963 et a formé le Secrétariat unifié avec les pablistes. L'opposition à la trahison du trotskysme par le SWP a été continuée par les sections britannique et française du Comité international, qui ont rejeté la réunification avec les pablistes. La lutte de principe du CIQI, dans laquelle Gerry Healy a joué un rôle central, a conduit à la formation de la Workers League aux États-Unis (1966) et de la Revolutionary Communist League au Sri Lanka (1968), prédécesseurs des Partis de l’égalité socialiste.

Le refus de la réunification n'a pas signifié un règlement définitif des comptes avec le pablisme. En 1966, les trotskystes français de l'Organisation communiste internationaliste (OCI) prônent une «reconstruction» de la Quatrième Internationale, qui, en termes politiques concrets, s'oriente vers un alignement sur le Parti socialiste français dirigé par François Mitterand. L'orientation de l'OCI vers la social-démocratie française et le développement de relations tout à fait opportunistes avec diverses tendances pablistes et petites-bourgeoises en Amérique latine ont conduit à une scission avec le Comité international en 1972. Malgré ses critiques politiques à l'égard de l'OCI, la Socialist Labour League (SLL) en Grande-Bretagne a commencé à manifester des tendances similaires dans les années 1970. Cette orientation est devenue de plus en plus prononcée à la suite de la transformation de la SLL en Workers Revolutionary Party en novembre 1973.

Au sein du Comité international, une opposition politique à la politique nationaliste de la SLL/WRP a émergé. En 1971, Keerthi Balasuriya et la direction de la section sri-lankaise du CIQI, la Ligue communiste révolutionnaire, ont exprimé leur opposition au soutien de la SLL à l'invasion indienne du Pakistan oriental. Ces critiques ont toutefois été réprimées par la direction de la SLL, qui n'a pas permis leur diffusion pour discussion au sein du Comité international.

La lutte politique contre la politique nationaliste du WRP

Une critique plus soutenue et plus complète de la divergence politique du WRP par rapport au trotskysme et des conceptions théoriques utilisées pour le justifier a été développée par David North, le secrétaire national de la Workers League, entre 1982 et 1985.

Dans ses premières critiques de la ligne politique du WRP, North a attiré l'attention sur le recul du WRP par rapport aux principes fondamentaux du trotskysme. Dans «Une contribution à la critique des ‘Études en matérialisme dialectique’ de G. Healy,» écrit en octobre-novembre 1982, North a mis à nu la distorsion idéaliste du marxisme de Healy et sa relation avec l’abandon par le WRP de la théorie de la révolution permanente de Trotsky. Citant l'adaptation du WRP aux régimes nationalistes bourgeois, North a écrit:

«Le travail du CI au Moyen-Orient, qui n'a jamais été guidé par une perspective claire de construction du Comité international dans cette région du monde, a maintenant dégénéré en une série d'adaptations pragmatiques aux courants politiques changeants. La défense marxiste des mouvements de libération nationale et de la lutte contre l'impérialisme a été interprétée de manière opportuniste, avec le soutien sans critique de divers régimes nationalistes bourgeois...

«Au cours des six années pendant lesquelles le CI a mené des travaux au Moyen-Orient, il n'y a pas eu une seule déclaration dans laquelle les relations de classe dans cette région du monde ont été analysées. Il n'y a pas eu un seul article dans lequel l'évolution de la classe ouvrière a été analysée. À toutes fins utiles, la théorie de la révolution permanente est considérée comme inapplicable aux circonstances actuelles. David North, «Political Summary of Critique of G. Healy's 'Studies,» (Fourth International, vol. 13 no. 2, Automn 1986), p. 23]»

En janvier-février 1984, North a présenté une analyse complète de l'adaptation du WRP aux positions historiquement associées au pablisme.

Dans une lettre du 23 janvier 1984 adressée au secrétaire général du WRP, Michael Banda, North écrit que le CI, sous la direction du WRP, «travaille depuis un certain temps sans perspective claire et politiquement unifiée pour guider sa pratique. Plutôt qu'une perspective pour la construction de sections du Comité international dans chaque pays, le point central du travail du CI depuis plusieurs années a été le développement d'alliances avec divers régimes nationalistes bourgeois et mouvements de libération. Le contenu de ces alliances a de moins en moins reflété une orientation claire vers le développement de nos propres forces comme élément central de la lutte pour établir le rôle principal du prolétariat dans la lutte anti-impérialiste dans les pays semi-coloniaux». [Lettre de David North à Mike Banda, (Fourth International, vol. 13 no. 2, Automn 1986), p. 35]

Dans un rapport politique présenté au Comité international de la Quatrième Internationale le 11 février 1984, North a déclaré «Le développement du CI s'est fait à travers la lutte contre le révisionnisme. ... Précisément parce que le révisionnisme a des racines matérielles dans le développement actuel de la lutte de classe dont nous faisons nous-mêmes partie, parce qu'il reflète la pression de forces de classe étrangères sur la classe ouvrière et son avant-garde révolutionnaire, notre réponse au révisionnisme trouve sa plus haute expression dans l'analyse de notre propre développement politique».

North a poursuivi:

«C'est pour cette raison que nous pensons que le moment est venu d'examiner l'ensemble du développement du CI au cours de la dernière décennie. Nous sommes fermement convaincus que nous nous sommes progressivement éloignés des positions pour lesquelles nous nous sommes battus avec ténacité pendant plus de 20 ans après la scission initiale avec Pablo. Dans une lettre au camarade Banda, écrite le 23 janvier 1984, j'ai suggéré que le moment était venu de dresser un bilan de toute l'expérience du CI par rapport aux mouvements de libération nationale. Je pense qu'un tel bilan est nécessaire parce qu'il n'y a vraiment pas eu d'examen objectif de notre expérience – en tant que Parti mondial – avec les différents régimes bourgeois nationalistes et les mouvements de libération avec lesquels nous avons établi des relations. Nous estimons que ce bilan mérite une critique sérieuse, afin de défendre la continuité du CI et de former les cadres de chacune des sections. [David North, «Political report to the International Committee of the Fourth International», 11 février 1984, (Fourth International, vol. 13 no. 2, Autumn 1986), p. 42]»

La direction du WRP a refusé de s'engager dans une discussion sur ces désaccords, répondant aux critiques politiques de la Workers League en brandissant la menace d'une scission. En un peu plus d'un an, cependant, le WRP a été plongé dans une crise organisationnelle qui était le résultat de ce recul politique de la décennie précédente par rapport aux principes du trotskysme. La crise a culminé avec la suspension du WRP par le Comité international le 16 décembre 1985. Le CIQI a proposé de restaurer les droits d'adhésion au WRP sur la base de son acceptation explicite des fondements programmatiques de la Quatrième Internationale. Le WRP a rejeté cette condition et a répudié sa promesse d'accepter l'autorité politique du Comité international. Le 8 février 1986, la direction du WRP a complété sa rupture avec le Comité international en convoquant la police pour interdire aux membres soutenant le CIQI – qui constituait une partie substantielle des membres de l'organisation – d'entrer dans la salle où le WRP tenait son congrès. Quelques années seulement après cette rupture, le WRP avait cessé d'exister.

La scission de 1985-86 avec le WRP a mis un terme à la troisième phase de l'histoire de la Quatrième Internationale. Après plus de trois décennies de lutte politique intense, les trotskystes orthodoxes avaient infligé une défaite politique décisive aux pablistes et avaient repris la direction politique et organisationnelle de la Quatrième Internationale.

La quatrième phase de l'histoire du mouvement trotskyste: le rétablissement et le développement de la perspective marxiste internationale

Les conférences présentées dans ce volume portent principalement sur la quatrième phase de l'histoire du mouvement trotskyste, qui a débuté en 1986. Au lendemain de la scission, le CIQI a été confronté à toute une série de problèmes complexes dans un contexte de changement rapide de la situation politique mondiale. Parmi ces problèmes figuraient l'aggravation de la crise et la dissolution finale de l'Union soviétique et des régimes staliniens d'Europe de l'Est, l'accélération de la restauration des relations capitalistes en Chine à la suite du massacre de la place Tien Anmen en 1989, l'évolution vers la droite des régimes nationalistes bourgeois et la prolifération des mouvements séparatistes alignés sur l'impérialisme, la pleine intégration des syndicats dans l'appareil de gestion des entreprises et de l'État, ainsi que l'éruption de l'impérialisme américain et la guerre sans fin qui a commencé avec la première invasion de l'Irak en 1990-1991.

Pour faire face à ces défis, il a fallu rétablir et développer une perspective marxiste internationale. Les fondements politiques de cette perspective sont apparus au cours de la scission avec le WRP.

La première tâche du CIQI après la scission a été d'étudier systématiquement les causes et l'importance de la scission elle-même. Cela a été fait dans la déclaration de mai 1986 du CIQI, écrite par North et Keerthi Balasuriya, Comment le Workers Revolutionary Party a trahi le trotskysme: 1973-1985 [Fourth International, vol. 13 no. 1, Summer 1986]. En réponse à l'attaque ouverte du secrétaire général du WRP, Michael Banda, sur l'histoire entière du mouvement trotskyste, le CIQI a répondu par la publication de L’héritage que nous défendons: Une contribution à l'histoire de la Quatrième Internationale, de David North.

Il a ensuite été procédé à un examen théorique des processus objectifs à la base de la dégénérescence du WRP, qui s'inscrivait dans une crise profonde touchant toutes les organisations et tous les partis à orientation nationaliste.

Le principal défi auquel le Comité international a été confronté à la suite de la scission avec le WRP a été de renouveler le travail de la Quatrième Internationale sur la perspective politique. Le Comité international a été conditionné par l'expérience historique du mouvement trotskyste pour examiner les conditions socio-économiques objectives qui sous-tendaient la crise politique qui avait conduit à la scission de 1985-86. Depuis sa fondation en 1923, le mouvement trotskyste a fait preuve d'une sensibilité aiguë aux changements majeurs de la situation mondiale. Des conflits importants au sein de sa direction et de ses rangs ont eu tendance à survenir en réponse ou en prévision de points d'inflexion critiques dans la politique mondiale. Comme cela allait bientôt devenir évident, la lutte au sein du Comité international qui s'est déroulée entre 1982 et 1986 anticipait les changements explosifs de la politique mondiale entre 1989 et 1991.

L'urgence d'un travail théorique renouvelé a été accentuée par le fait que des années de glissement politique et d'adaptation du WRP s'étaient exprimées de la manière la plus nette dans son abandon d'un travail soutenu sur les perspectives internationales. Tout en déclamant de manière démagogique «la nature invaincue de la classe ouvrière» – une phrase vide qui ignorait commodément les défaites subies par la classe ouvrière dans le monde réel – le WRP accordait de moins en moins d'attention aux changements critiques de la structure de l'économie capitaliste mondiale et à leur impact sur la géopolitique impérialiste et la lutte internationale des classes. Aucune tentative n'a été faite pour analyser les motivations objectives qui motivaient l'offensive capitaliste mondiale contre la classe ouvrière qui a commencé au milieu des années 1970, ni pour expliquer pourquoi les organisations syndicales et ouvrières de masse existantes n'ont pas été capables d’organiser une résistance efficace à cette offensive.

Le Comité international a commencé à développer une nouvelle perspective mondiale en juillet 1987. Dans un rapport présenté lors de l'université d'été de la Workers League le 1er septembre 1987, North a attiré l'attention sur le fait que le WRP ne prenait pas en compte «les nouvelles formes économiques assumées par la croissance des forces productives au sein de l'époque impérialiste: c'est-à-dire l'internationalisation de la production à une échelle inégalée dans l'histoire et l'émergence d'une production véritablement mondiale, dans laquelle la fabrication d'une seule marchandise est le résultat d'une production transnationale intégrée». [David North, «Political Report on the Perspectives of the International Committee of the Fourth International», (Fourth International, vol. 15 no. 1, january-march 1988), p. 69]

North a souligné que le processus de mondialisation était la source objective de la crise universelle des organisations de la classe ouvrière existantes. Il a déclaré:

«Les syndicats ne sont pas équipés pour faire face à cette nouvelle situation. Ils ne peuvent pas défendre la classe ouvrière dans la mesure où ils mènent la lutte des classes exclusivement sur le sol national. En fait, le développement des organisations transnationales nécessite l'organisation internationale de la classe ouvrière. Les travailleurs américains, japonais, coréens ou allemands se trouvent dans l'impossibilité croissante de mener des luttes isolées au niveau national. Et tout comme la bourgeoisie cherche à organiser la production à l'échelle mondiale, la classe ouvrière sera obligée d'organiser ses propres luttes à l'échelle mondiale, et donc de créer des formes d'organisation nouvelles et plus avancées. [Ibid, p. 73]»

«La crise mondiale du capitalisme et les tâches de la Quatrième Internationale», adopté par le Septième Plénum du CIQI en juillet 1988, examine la signification révolutionnaire des changements dans le processus de production capitaliste associés aux sociétés transnationales et à la mondialisation, qui ont sapé la viabilité de toutes les organisations sociales et politiques ancrées dans le système de l'État-nation. La résolution, qui est incluse dans ce volume, déclare:

«C'est depuis longtemps une proposition élémentaire du marxisme que la lutte des classes ne soit nationale que dans sa forme, mais qu'elle soit, par essence, une lutte internationale. Cependant, étant donné les nouvelles caractéristiques du développement capitaliste, même la forme de la lutte des classes doit revêtir un caractère international. ... Ainsi, la mobilité internationale sans précédent du capital a rendu tous les programmes nationalistes pour le mouvement ouvrier des différents pays obsolètes et réactionnaires.» [«The World Capitalist Crisis and the Tasks of the Fourth International,» (Fourth International, vol. 15 n° 3-4, July-December 1988), p. 4]

La résolution se poursuit:

«Le caractère mondial de la production capitaliste a énormément accentué les antagonismes économiques et politiques entre les principales puissances impérialistes et a une fois de plus mis en évidence la contradiction irréconciliable entre le développement objectif de l'économie mondiale et la forme de l’État-nation dans laquelle l'ensemble du système de propriété capitaliste est historiquement enraciné. C'est précisément le caractère international du prolétariat, une classe qui ne doit d'allégeance à aucune «patrie» capitaliste, qui en fait la seule force sociale capable de libérer la civilisation des chaînes étouffantes du système de l'État-nation.

«Pour ces raisons fondamentales, aucune lutte contre la classe dominante dans un pays ne peut produire des avancées durables pour la classe ouvrière, et encore moins préparer son émancipation finale, si elle n'est pas basée sur une stratégie internationale visant à la mobilisation mondiale du prolétariat contre le système capitaliste. Cette nécessaire unification de la classe ouvrière ne peut être réalisée que par la construction d'un véritable parti prolétarien international, c'est-à-dire révolutionnaire. Il n'existe qu'un seul parti de ce type, fruit de décennies de lutte idéologique et politique acharnée. Il s'agit de la Quatrième Internationale, fondée par Léon Trotsky en 1938, et dirigée aujourd'hui par le Comité international.» [Ibid.]

La renaissance du trotskysme et la décennie de la révolution socialiste mondiale

La perspective mondiale du CIQI a établi le fondement théorique et politique de son analyse et de sa réponse aux bouleversements majeurs de la décennie suivante. Dans la conférence d'ouverture de l'université d'été de 2019, North a fait remarquer que le travail du CI au cours de la période qui a suivi la scission avec le WRP a été une réalisation monumentale pour le mouvement marxiste.

«La défaite décisive et l'éjection de l'opportunisme pabliste ont créé les conditions d'un immense développement théorique, politique et organisationnel du Comité international de la Quatrième Internationale. Le travail de clarification théorique et politique rendu possible par l'expulsion des opportunistes nationaux n'a signifié rien de moins qu'une renaissance du trotskysme.»

Les conférences incluses dans ce volume donnent un aperçu des discussions au sein du Comité international à la suite de la scission. En utilisant des documents internes du parti, y compris les transcriptions des discussions et de la correspondance, les conférences montrent comment la perspective et le programme politiques sont développés dans un parti marxiste-trotskyste. Les conférences se concentrent sur les questions les plus complexes auxquelles le Comité international a été confronté. Le mouvement trotskyste mondial a été contraint d'analyser et de définir son attitude vis-à-vis des syndicats, des mouvements nationaux bourgeois et de la «revendication» d'autodétermination, des politiques de perestroïka et de glasnost tant vantées entreprises par Mikhaïl Gorbatchev après qu'il soit devenu secrétaire général du Parti communiste soviétique en 1985, et des événements explosifs de la Chine post-maoïste. Dans chaque cas, il n'y avait pas de réponse toute faite aux problèmes posés par l'évolution rapide de la situation objective.

Le mouvement trotskyste est intensément conscient de l'expérience historique dont il est issu et qui a façonné son évolution politique. Toutefois, son respect de l'histoire ne consiste pas à fouiller le passé pour trouver un précédent qui puisse être cité. Trotsky s'est amèrement opposé à ce genre d'orthodoxie formaliste. «Il faut sans cesse aiguiser et appliquer l’arme de l’investigation marxiste», écrit-il. «C’est en cela précisément que consiste la tradition, et non dans la substitution d’une référence formelle ou d’une citation fortuite à l’analyse». [«The New Course», in The Challenge of the Left Opposition (1923-25), (New York: Pathfinder Press, 2017), p. 123]

Le lecteur doit garder à l'esprit que les discussions au sein du Comité international se sont déroulées en «temps réel». Dans la conférence «le CIQI et la crise du stalinisme», le camarade Barry Grey retrace l'analyse du CIQI sur le développement de l'Union soviétique entre 1986 et 1992. Il cite un important document publié par le CIQI en 1987, «What Is Happening in the USSR». Ce document avertissait que les «réformes» de Gorbatchev conduiraient, à moins d'être perturbées par un mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière, à la dissolution de l'Union soviétique. En cinq ans, cette analyse a été confirmée par les événements. Ce volume comprend le bilan de cette réaction à la dissolution de l'URSS.

Le travail sur les perspectives ne s'est pas limité aux questions d'économie et de politique. La conférence du camarade David Walsh examine l'attention portée par le Comité international au défi du renouvellement et du développement de la conscience socialiste au sein de la classe ouvrière. L'attention accordée à cette question découle du concept de «culture socialiste» du CIQI, que Walsh définit comme «tout ce qui a été organisé, construit, écrit, assimilé et réalisé dans le but conscient d'aider les travailleurs à saisir leur position objective dans la société capitaliste et leur rôle collectif en tant que force de révolution socialiste, et à se transformer de simple matière brute à exploiter en faiseurs d'histoire et en libérateurs de l'humanité».

Le travail théorique passé en revue dans ce volume a permis le développement du Comité international de la Quatrième Internationale pendant la quatrième phase de l'histoire du mouvement trotskyste, qui s'est étendue sur une période de trois décennies, de 1986 à 2019. Dans la conférence d'ouverture, North a résumé les réalisations de cette période:

«Les travaux préparatoires critiques consistant à éjecter les pablistes, à reconstruire le parti mondial sur une base internationaliste, à élaborer la stratégie internationale du CIQI, à défendre l'héritage historique de la Quatrième Internationale, à convertir les ligues du Comité international en partis et à créer le World Socialist Web Siteont été les principales réalisations de la quatrième phase. Ces réalisations ont permis une vaste expansion de l'influence politique du Comité international et une augmentation significative du nombre de ses membres. Cette étape est terminée.»

Ainsi, la cinquième étape de l'histoire de la Quatrième Internationale a commencé, explique North:

«Les processus objectifs de la mondialisation économique, identifiés par le Comité international il y a plus de trente ans, ont connu un nouveau développement colossal. Combinés à l'émergence des nouvelles technologies qui ont révolutionné les communications, ces processus ont internationalisé la lutte des classes à un degré qu'il aurait été difficile d'imaginer il y a encore vingt-cinq ans. La lutte révolutionnaire de la classe ouvrière se développera comme un mouvement mondial interconnecté et unifié. Le Comité international de la Quatrième Internationale sera construit comme la direction politique consciente de ce processus socio-économique objectif. Il opposera à la politique capitaliste de la guerre impérialiste la stratégie de classe de la révolution socialiste mondiale. C'est la tâche historique essentielle de la nouvelle phase dans l'histoire de la Quatrième Internationale.»

Au début de l'année 2020, en passant en revue l'importance des protestations et manifestations de masse qui ont éclaté dans le monde entier au cours de l'année précédente, le World Socialist Web Sitea écrit, dans «La décennie de la révolution socialiste commence», que «Ce Nouvel An marque le début d’une décennie de montée de la lutte des classes et de la révolution socialiste mondiale.».

«À l’avenir, quand des historiens raconteront les bouleversements du 21e siècle, ils énuméreront tous les signes «évidents» déjà en présence au début des années 2020 de la tempête révolutionnaire qui allait bientôt traverser le globe. Armés d’un vaste éventail de faits, documents, graphiques et de commentaires tirés d’Internet ou des réseaux sociaux, voire d’autres informations numérisées à leur disposition, ces érudits démontreront que les années 2010 ont été une période de crise économique, sociale et politique insoluble du système capitaliste mondial. [World Socialist Web Site, 4 janvier 2020, disponible à l'adresse : https://www.wsws.org/fr/articles/2020/01/04/pers-j04.html]

Il n'a pas fallu longtemps pour que ce pronostic soit confirmé. La première moitié de 2020 a été caractérisée par l'aggravation de la crise du système capitaliste mondial déclenchée par la pandémie de coronavirus.

Le World Socialist Web Site a qualifié la pandémie «d'événement déclencheur». La réponse de la classe dirigeante à la pandémie, aux États-Unis et dans le monde entier, a été conditionnée par toute l'évolution du capitalisme au cours de la période précédente. L'oligarchie de la grande entreprise et des finances a utilisé la pandémie pour poursuivre et intensifier les politiques parasitaires qu'elle avait employées au cours des décennies précédentes pour contrer la crise systémique du capitalisme.

Depuis plus de deux décennies, les épidémiologistes et les scientifiques mettent en garde contre le danger d'une pandémie. La destruction des infrastructures sociales et sanitaires et la croissance massive des inégalités sociales ont rendu les masses de travailleurs vulnérables aux conséquences sanitaires et économiques de la pandémie.

Les élites dirigeantes, menées par l'administration Trump aux États-Unis, ont utilisé la pandémie pour remettre des billions de dollars à Wall Street dans le cadre d'un plan de sauvetage des entreprises et des institutions financières qui dépasse de loin ce qui a été fait après le krach économique de 2008-2009. La richesse des milliardaires monte en flèche, et les marchés boursiers atteignent de nouveaux sommets, alors même que des dizaines de millions de personnes ont été mises au chômage sans espoir de retrouver leur emploi.

Les efforts des élites dirigeantes aux États-Unis et dans le monde pour organiser un «retour au travail» dans des conditions dangereuses vont produire des bouleversements sociaux. L'opposition des travailleurs et des jeunes à l'indifférence et au mépris de la classe dirigeante pour leur vie coïncide avec l'opposition croissante à l'inégalité, à la guerre, à la dégradation de l'environnement et au système de profit capitaliste.

La pandémie déclenche une nouvelle étape de la lutte des classes. La source de la colère sociale aux États-Unis et dans le monde entier a trouvé une première expression après le meurtre de George Floyd par la police le 25 mai à Minneapolis, dans le Minnesota. Les manifestations multiraciales et multiethniques massives dans toutes les grandes villes américaines et sur tous les continents ont été motivées par l'opposition à la violence policière. Toutefois, cette éruption sociale est motivée par une indignation croissante face aux inégalités, à l'exploitation et au système capitaliste.

Les travaux théoriques et politiques passés en revue dans ce volume s'avéreront d'une immense importance dans l'éducation de la nouvelle génération de socialistes révolutionnaires qui rejoignent les rangs du Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article paru en anglais le 19 juin 2020)

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