La crise du COVID-19 s'aggrave, les syndicats français collaborent avec les employeurs pour imposer des licenciements collectifs

Alors que la vague de licenciements, de baisse de salaires et de fermetures d'usines déclenchées à l’international par la pandémie touche France, les syndicats français travaillent en étroite collaboration avec le gouvernement Macron et les employeurs pour réprimer l'opposition des travailleurs à cette offensive.

Jeudi dernier, la direction d'Airbus a rencontré les principaux syndicats pour discuter du projet de licencier 5 000 salariés en France. Ces licenciement font partie d'une restructuration internationale de la société qui détruira 15 000 emplois, dont 5 100 en Allemagne et 1 700 en Grande-Bretagne.

Sur les 5 000 suppressions d'emplois en France, 3 500 auront lieu à Toulouse où Airbus fabrique cinq grands modèles d’avions sur cinq chaînes de production. Il s’agit de 2 398 postes d'assemblage et 900 postes de cols blancs. 484 postes seront supprimés à l'usine de Nantes qui fabrique les caissons centraux de tous les avions Airbus et 386 à l'assemblage de fuselages de Saint-Nazaire.

Il est déjà clair que les licenciements auront un impact dévastateur sur des régions entières. Selon la Chambre de commerce et d'industrie d'Occitanie, 85 000 emplois et 800 entreprises dépendent de l'industrie aéronautique dans cette région, qui comprend Toulouse ; on estime que jusqu'à 40 000 emplois y sont immédiatement menacés. Ce mois-ci, Scalian, un sous-traitant, a annoncé son intention de licencier 140 de ses 225 employés.

Airbus a prédit que la demande ne retrouverait pas son niveau d'avant 2020 avant trois ou même cinq ans.

Les syndicats ont réagi à l'annonce d'Airbus par de vaines lamentations, la décrivant comme «cataclysmique» et «catastrophique» pour les travailleurs, tout en montrant qu'ils ne feraient rien pour s'y opposer. Dominique Delbouis, le coordinateur de Force ouvrière (FO) pour le groupe Airbus, a annoncé que « pour FO [majoritaire], la ligne rouge était de diminuer ce chiffre qui nous paraît excessif et de mettre en place toutes les mesures possibles pour ne pas avoir à déplorer le moindre licenciement contraint ».

Cela signifie seulement l’imposition des licenciements par d'autres moyens, comme les soi-disant «départs volontaires» où les travailleurs sont harcelés et poussés à quitter leur emploi. Cela, dans des conditions de récession générale où ils ne retrouveront probablement pas d'emploi pendant des années.

Dans la mesure où FO avait des critiques, c'était du point de vue nationaliste et corporatiste d'Airbus. Le délégué FO Jean-François Knepper a averti que pour Airbus « cette crise est conjoncturelle, (...) Airbus a suffisamment de ressources pour rebondir une fois la crise sanitaire passée. Et Airbus a d'autant plus de chances de rebondir qu'il est seul au monde, Boeing étant au tapis et les Chinois pas encore sur le marché ».

Il a ajouté: « Les départs naturels dans le groupe, c’est 6.000 par an au niveau mondial, donc si on le fait sur deux ans, on peut absorber une partie de ce plan par l’érosion naturelle ».

En d'autres termes, les syndicats soutiennent le cadre de suppressions massives d'emplois au milieu de la pandémie pour stimuler la compétitivité mondiale d'Airbus ainsi que la dévastation sociale qui frappera les communautés de la classe ouvrière. Leur objectif est d'y parvenir tout en empêchant une explosion d'opposition parmi leurs membres. À cette fin, il y aura quatre mois de négociations à huis clos sur ce dernier plan de restructuration.

Un rôle identique est joué par les syndicats des autres pays européens. Au Royaume-Uni, un rapport publié par la New Economics Foundation, en consultation avec le Congrès national des syndicats (TUC), a révélé que le syndicat Unite avait déjà accepté un « plafond de licenciement » (article en anglais) de 10 pour cent de tous les postes dans l'industrie aéronautique, ce qui équivaut à des dizaines de milliers d'emplois.

En Allemagne, Verdi et d'autres syndicats ont appelé à des manifestations pour soutenir un plan de sauvetage du gouvernement allemand de 9 milliards d'euros pour Lufthansa, lié à l'élimination de 20 000 emplois et dégradations des conditions de travail (article en anglais).

Mais le rôle des syndicats dans l'imposition de licenciements collectifs s'étend bien au-delà de l'industrie du transport aérien. Un rapport publié vendredi dernier par Le Monde pointe l'ampleur de la catastrophe sociale en cours dans le secteur de l'habillement. Procos, une fédération professionnelle pour le commerce spécialisé qui comprend la restauration, le commerce de détail et d’autres petits commerces, a averti que de 150 000 à 300 000 emplois étaient menacés.

Ces emplois ont peu ou pas de protection, sont à bas salaires et beaucoup de ceux qui perdent leur poste ne pourront pas trouver de travail. Selon une étude réalisée par le syndicat CGT, sur les 2100 salariés de l’enseigne de vêtements et chaussures La Halle, licenciés entre 2015 et 2017, de 35 à 40 pour cent n'avaient toujours pas trouvé d'emploi en février.

Des dizaines de marques de mode ont déjà déposé leur bilan et seront soit rachetées avec des fermetures de magasins et des licenciements, soit carrément liquidées. Il s'agit notamment de Camaïeu (3 300 employés), La Halle (5 809 employés), André, Celio, Damart et Devianne, qui emploient ensemble plus de 16 000 personnes en France.

Un mécanisme clé pour la mise en œuvre des licenciements est la soi-disant rupture collective conventionnelle (RCC) créée par Macron dans le cadre de la Loi travail de 2017. Cette loi a soudé encore plus étroitement les syndicats au gouvernement et aux entreprises dans les restructurations. Contrairement à ce qui se passait auparavant, elle permet aux entreprises de procéder à des suppressions d'emplois massives sans même avoir à avancer la nécessité financière. A présent, seule suffit une signature d'approbation des syndicats représentant la majorité des effectifs et celle du ministère du Travail.

Les syndicats ont déjà signé de nombreux RCC au cours du dernier mois. La semaine dernière, le géant pharmaceutique Sanofi a annoncé qu'il supprimerait 1 700 emplois dans toute l'Europe, parmi ceux-ci entre 750 et 1 060 en France, ce qu'il entend réaliser par deux accords RCC. Mercredi dernier, le Syndicat national des pilotes de ligne a annoncé que sa direction avait convenu d'un RCC avec Air France qui supprimera plus de 400 emplois de pilotes d'ici la fin de l'année.

(Article paru en anglais le 5 juillet 2020)