L’acquittement d’un fasciste québécois pour intimidation ira en appel – mais pas sur le fond

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), un organisme du ministère de la Justice du Québec qui agit comme procureur de la Couronne, a décidé de ne pas porter en appel l’acquittement du néo-nazi Raphaël Lévesque sur les chefs d’accusation d’intimidation et de harcèlement à l’égard d’un journaliste. L’appel logé par les avocats du DPCP ne vise que les chefs d’accusation moins significatifs de méfait et d’introduction par effraction.

Le 23 mai 2018, Lévesque et six autres membres d’Atalante, un groupe d’extrême-droite de Québec, avaient envahi les locaux montréalais du média Vice Québec. Les hommes, portant tous, à l’exception de Lévesque, un masque aux couleurs du drapeau québécois, avaient remis un prix dérisoire pour le «média poubelle 2018» au journaliste Simon Coutu et lancé des tracts dépeignant, selon la Couronne et plusieurs témoins, le mot «Vice» dégoulinant de sang.

Ils reprochaient à Coutu d’inciter à «une guerre» à la suite de la publication d’une série d’articles faisant état d’affrontements dans les rues de Montréal et de Québec entre Atalante (et d’autres groupes d’extrême-droite) et des soi-disant «Antifas».

Le 10 juin dernier, la juge Joëlle Roy de la Cour du Québec a acquitté Lévesque de toutes les accusations qui pesaient contre lui. Dans un jugement erroné en droit, politiquement biaisé et débordant de sympathie pour l’accusé, la juge Roy a déclaré «qu’aucun acte criminel n’avait été commis» puisque le geste de Lévesque était «justifié et légitime», l’accusé étant venu «livrer un message et communiquer de l’information» sans «intention de menacer ou d’intimider».

Lévesque et Atalante y sont présentés comme des victimes d’une campagne injuste menée par un journaliste au style agressif. Le témoignage de l’accusé est cru sans la moindre réserve alors que la juge fait preuve de mépris à l’endroit de la victime et des autres employés de Vice Québec appelés à témoigner. Le récit de ces personnes, qui ont toutes confirmé s’être senties intimidées par Lévesque et ses «six fiers à bras», est traité de façon cavalière, et même ridiculisé par la juge.

Les lacunes juridiques du jugement sont évidentes et ne se limitent pas aux questions soulevées dans l’appel du DPCP. L’acquittement de Lévesque sur les accusations d’intimidation et de harcèlement repose sur la conclusion qu’il n’avait pas d’intention criminelle. La juge tire cette conclusion du témoignage de Lévesque et du «contexte déterminant». Or, elle a limité ce contexte aux quelques minutes qu’a duré le coup d’éclat du 23 mai 2018: les paroles de Lévesque, son ton apparemment poli (qualifié plutôt de sarcastique par un témoin), le fait qu’il soit resté souriant et qu’il avait des fleurs à la main.

Mais l’essentiel a été passé sous silence. Lévesque est un néo-nazi notoire, le chanteur du groupe de musique Légitime Violence, performant sous le nom de Raf Stomper des chansons ouvertement violentes prônant l’assassinat des «gauchistes» et l’extermination des juifs. Le groupe qu’il a fondé, Atalante, est une organisation ultra-nationaliste, xénophobe et anti-immigration qui oblige ses membres à pratiquer la boxe pour pouvoir «défendre ses idées sur le terrain». Son logo s’inspire de celui de l’infâme organisation nazie, les SS.

Bien que ces éléments soient pertinents dans un procès pour intimidation et fassent partie du «contexte déterminant», ils n’ont pas été considérés par la juge Roy. Dans un accès de colère et en utilisant un langage hostile à l’égard du procureur, la juge a refusé durant le procès que ce dernier mette l’activité politique violente et haineuse de Lévesque en preuve ou même évoque l’extrême-droite ou la similitude des sigles d’Atalante et des SS.

La juge a également exclu du «contexte déterminant» les témoignages des victimes, dont certaines ont dû s’absenter du travail ou ont affirmé avoir fait des attaques de panique dans les jours ayant suivi les évènements du 23 mai 2018.

Au final, le jugement banalise l’activité violente d’un groupe d’extrême-droite en traitant ce qui était clairement une tentative d’intimidation d’un journaliste comme un simple «message humoristique».

Comme l’a écrit le WSWS, l’acquittement de Lévesque s’explique par le tournant de l’establishment dirigeant vers le chauvinisme anti-musulman et la xénophobie, ce qui entraîne une légitimation de l’extrême-droite.

«Au Québec et dans l’ensemble du Canada, comme partout dans le monde», écrivions-nous, «la classe dirigeante cultive l’extrême-droite comme arme contre la classe ouvrière parce qu’elle craint que les immenses tensions sociales provoquées par les inégalités sociales et … la pandémie de COVID-19, n’émergent en un mouvement anti-capitaliste de masse.»

Le DPCP a décidé de ne pas demander la révision du comportement hostile de la juge Roy pendant le procès, ni des erreurs manifestes de son jugement en ce qui concerne les accusations d’intimidation et de harcèlement. Il renonce ainsi à soulever devant les tribunaux supérieurs le sérieux préjudice que constitue pour les droits démocratiques un jugement donnant le feu vert aux actes provocateurs et violents de l’extrême-droite.

La couverture médiatique a elle aussi été caractérisée par un effort concerté pour dissimuler les véritables enjeux de l’affaire. La majorité des articles publiés sont sympathiques à l’accusé et ne remettent aucunement en doute le bien-fondé de l’acquittement, mis à part quelques rares éditoriaux qui ont invoqué les dangers pour la liberté de la presse.

Les grands médias ont largement passé sous silence le parcours néo-nazi de Lévesque et les appels d’Atalante à la «rémigration», c’est-à-dire le retour forcé de tous les immigrants dans leur pays d’origine. Ils ont soigneusement dissimulé le lien entre le jugement et la montée de l’extrême-droite au Québec, et complètement ignoré le contexte international dans lequel survient l’affaire Lévesque.

Devant la crise mondiale du système capitaliste, partout à travers le monde des figures et des partis politiques adoptent un discours à caractère fasciste visant à mobiliser les forces les plus réactionnaires de la société pour contrer l’opposition des travailleurs et des jeunes à leurs politiques de guerre et d’austérité.

Aux États-Unis, le président milliardaire Trump, qui personnifie la criminalité de l’oligarchie financière, cherche à bâtir un mouvement extra-parlementaire d’extrême-droite par la promotion assidue du militarisme, de la police et de la xénophobie. Sa réponse aux manifestations multiraciales contre la brutalité policière – qui expriment une opposition plus large à sa gestion catastrophique de la crise du coronavirus et à tous les fléaux du capitalisme – a été de déployer l’armée sur le sol américain en violation de la constitution des États-Unis. Dans les derniers jours, des agents fédéraux sans insigne d’identification ont parcouru les rues de Portland, en Oregon et kidnappé des manifestants dans des fourgonnettes banalisées, avec la bénédiction de la Maison blanche.

Au Brésil, le président Jair Bolsonaro, un fasciste avoué qui a publiquement déclaré son admiration pour la brutale dictature militaire qui a torturé des milliers de Brésiliens entre 1964 et 1985, a qualifié de «terroristes» des manifestants et menacé d’utiliser l’armée pour réprimer des démonstrations liées au mouvement mondial de solidarité aux manifestations américaines.

En Allemagne, pour imposer ses politiques anti-immigration, militaristes et anti-ouvrières face à une vive opposition des travailleurs et des jeunes, le gouvernement de la Grande coalition s’appuie sur des forces d’extrême-droite, au premier chef le parti Alternative pour l’Allemagne (AFD). Et il protège des réseaux de néo-nazis qui infestent l’armée, les services de renseignements et les forces de police.

À cet égard, un phénomène tout aussi dangereux a été observé au Canada après la tentative d’assassinat du premier ministre Justin Trudeau par le réserviste de l’armée canadienne Corey Hurren. Les vues d’extrême-droite de l’assaillant ont été minimisées par les grands médias. Et ils ont omis de poser des questions élémentaires: les responsables militaires, qui se disent préoccupés par la diffusion d’opinions racistes dans leurs rangs, étaient-ils au courant des vues de Hurren? Ce dernier les a-t-il partagées avec ses collègues des Rangers et d'autres membres des Forces armées canadiennes?

Au Québec, l’establishment dirigeant véhicule depuis plus d’une décennie un discours axé sur le chauvinisme québécois qui s’est renforcé avec l’élection en octobre 2018 de la Coalition avenir Québec (CAQ). Celle-ci a vite fait d’adopter une série de lois pour réduire le nombre d’immigrants au Québec, interdire le port de signes religieux chez les enseignants et priver les femmes portant le voile islamique de l’accès aux services publics.

C’est ce tournant généralisé de l’élite dirigeante vers la xénophobie qui a encouragé les forces nationalistes d’extrême-droite, telles que Atalante ou La Meute, à multiplier en toute impunité les coups d’éclat et les manifestations publiques.

La décision du procureur de ne pas porter en appel les éléments les plus controversés de l’acquittement du chef néo-nazi notoire d’Atalante doit être comprise ainsi: l’attachement de l’élite dirigeante aux normes démocratiques s’érode rapidement devant la crise profonde du capitalisme et l’opposition grandissante de la classe ouvrière.

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Un tribunal du Québec acquitte un fasciste ayant cherché à intimider un journaliste [23 juin 2020]

D'autres détails émergent sur les vues d'extrême droite d'un réserviste de l'armée canadienne qui a tenté de tuer Trudeau [18 juillet 2020]

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