Fiat Chrysler a soudoyé l’UAW à coups de dizaines de millions, selon un nouveau dossier judiciaire de GM

Fiat Chrysler (FCA) a donné aux responsables du syndicat UAW des dizaines de millions de dollars en pots-de-vin, non déclarés jusque là. Selon des documents soumis au tribunal par les avocats de GM lundi, ces fonds, distribués via des comptes bancaires offshore, visaient à garantir la participation du syndicat à une tentative de FCA de miner General Motors et de forcer une fusion avec ce dernier.

Ces nouvelles accusations font partie des efforts de GM pour rouvrir son procès contre FCA et allèguent que son rival basé en Italie a utilisé des pots-de-vin pour convertir le syndicat en «entreprise contrôlée par FCA». La procédure d’origine avait été rejetée par un juge fédéral le mois dernier, qui avait noté que «les victimes directes du prétendu système de corruption des défendeurs [étaient] les travailleurs de FCA», et non GM.

Les nouveaux documents déposés au tribunal contiennent de loin les accusations les plus importantes contre l’UAW, que ce soit au procès civil de GM ou dans l’enquête criminelle parallèle du FBI, qui a déjà fait tomber 14 dirigeants de FCA et fonctionnaires de l’UAW. Selon GM, l’argent du «silence» s’est élevé à des dizaines de millions, un montant «exponentiellement plus élevé» que ce qui avait été révélé jusque là dans les inculpations criminelles lancées contre les responsables syndicaux et les dirigeants de FCA.

Les vice-présidents de l’UAW Joe Ashton, Jimmy Settles, Cindy Estrada et General Holiefield aux côtés du président Bob King et du secrétaire-trésorier Dennis Williams après leur élection à Detroit, le 16 juin 2010. (AP Photo/Carlos Osorio)

Alors que dans sa plainte initiale, GM s’était efforcé d’insister pour dire qu’il ne visait que FCA et non l’UAW, la nouvelle plainte adopte une position beaucoup plus agressive à l’encontre du syndicat automobile. Désormais, on désigne officiellement comme accusé l’ex-président de l’UAW Dennis Williams, dans cette affaire. Les avocats de GM affirment que Williams a placé l’ancien vice-président de l’UAW Joe Ashton, qui avait déjà plaidé coupable à des accusations de blanchiment d’argent et de fraude électronique, au conseil d’administration de GM pour servir de «taupe» à FCA.

Le dossier contient également les premières allégations publiques contre Ron Gettelfinger, président de l’UAW de 2002 à 2010, qui a dirigé l’UAW pendant la restructuration de l’industrie automobile sous le président Obama. C’est en vertu de cet accord, qui a réduit de moitié les salaires des nouveaux employés et détruit des dizaines de milliers d’emplois, que l’UAW a gagné des milliards de dollars en actions de GM et un siège au conseil d’administration. Selon le dossier, Gettelfinger tenait des comptes à l’étranger, en Suisse et à Panama, qui lui avaient été donnés par FCA au nom d’un membre de sa famille.

Ces allégations signifient que quatre des cinq derniers présidents de l’UAW se trouvent impliqués dans cet énorme scandale de corruption. Gary Jones qui était président de 2018 jusqu’au moment où il fut contraint de démissionner à la fin de l’an dernier, a déjà plaidé coupable à des accusations de conspiration avec d’autres hauts responsables pour détourner plus d’un million de dollars de cotisations des travailleurs. Le prédécesseur de Jones, Williams, est un co-conspirateur anonyme dans l’inculpation de Jones, et son successeur, Rory Gamble, qui l’a remplacé à titre provisoire, serait lui-même la cible des enquêteurs fédéraux.

Complexe et de grande envergure, le projet, baptisé «La ville aux pots-de-vin», comportait des comptes bancaires offshore en Italie, en Suisse, à Panama, à Singapour, au Liechtenstein et aux îles Caïmans. Selon le dossier, il a été autorisé par le feu PDG Sergio Marchionne et d’autres hauts responsables. En plus de Williams et Ashton, elle impliquait également le vice-président de l’UAW pour Fiat Chrysler, General Holiefield, qui n’a échappé aux poursuites qu’en raison de son décès en 2015.

L’objectif du plan, selon les avocats de GM, était de fournir à FCA des «détails confidentiels sur la stratégie de GM en matière de travail». L’objectif était d’imposer à General Motors des coûts de main-d’œuvre moins favorables que ceux de Fiat Chrysler et à faire pression sur GM pour qu’il fusionne.

Selon GM, Alphons Iacobelli, ancien cadre de FCA, a plaidé coupable en 2018 pour son rôle dans la corruption de hauts fonctionnaires de l’UAW afin d’obtenir des concessions dans les contrats de 2009 et 2015. Ce dernier «a réduit son plaidoyer criminel pour s’assurer que la véritable portée de la conspiration ne soit pas révélée». Iacobelli a continué à couvrir d’autres dirigeants de FCA et des responsables de l’UAW même après son plaidoyer de culpabilité, allègue GM.

Bien qu’il n’y ait aucune raison de douter de la base factuelle du dossier, il a le caractère d’une action désespérée de GM, qui suggère un climat de plus en plus acrimonieux et amer dans les conseils d’administration des entreprises, alors qu’elles se battent pour leur survie dans une situation économique pleine de grands dangers.

Alors que les constructeurs automobiles se préparaient déjà à une longue récession avant même la pandémie de coronavirus, les trois constructeurs de Detroit ont enregistré d’énormes pertes au deuxième trimestre en raison de l’effondrement des ventes et d’un arrêt de production de deux mois imposé par une série de grèves sauvages.

GM a dépensé près de 8 milliards de dollars en liquide et enregistré une perte de 806 millions de dollars alors que les ventes chutaient d’environ un tiers. Chez Ford, où les actionnaires exigent depuis longtemps des coupes plus importantes, le PDG Jim Hackett a annoncé son départ à la retraite quelques jours seulement après que la société ait enregistré une perte de 1,9 milliard de dollars.

Avant le dépôt de dossier de lundi, il y avait des signes croissants que le gouvernement se préparait à mettre fin aux révélations sur la corruption de l’UAW, de peur que plus de publicité du lavage de linge sale du syndicat n’encourage encore plus une rébellion des travailleurs. Mais la nouvelle plainte de GM, basée sur un travail approfondi d’enquêteurs privés, effectué après le rejet de la plainte initiale le mois dernier, menace de discréditer totalement l’UAW et de mettre fin à toute prétention que le syndicat puisse être réformé

Paul Borman, le juge fédéral dans le procès GM-FCA, avait émis une ordonnance extraordinaire et nerveuse en juin, demandant aux deux sociétés de se rencontrer pour régler leur différend à l’amiable. «Si cette affaire va de l’avant, il y aura des années de litige», a déclaré Borman, alors que la pandémie de coronavirus «requiert notre attention, ici et maintenant!» Lorsque les avocats de GM ont refusé, le juge Borman a rejeté la plainte le 8 juillet.

En même temps, les procureurs fédéraux ont entamé une série de réunions avec le président de l’UAW, Gamble. Leur objectif était d’élaborer un accord qui permettrait de clore l’enquête fédérale et de préserver le syndicat d’une mise sous séquestre fédérale.

Il n’est pas clair si le tribunal acceptera les arguments de GM et si le procès sera rouvert. Toutefois, si les allégations de GM sont fondées, elles devraient servir de dernier clou dans le cercueil des idées entretenues sur le fait que l’UAW resterait, malgré sa corruption endémique et universelle, une «organisation de travailleurs». La description, dans ce dossier, d’une pègre sordide, de comptes bancaires offshore et d’espionnage d’entreprise, est celle d’une organisation entièrement fixée dans l’orbite de l’élite financière et perçues correctement par les entreprises automobiles mêmes, non comme adversaire mais comme outil d’élaboration de politiques d’entreprise. C’est le résultat de décennies de trahisons de l’UAW, qui ont détruit des centaines de milliers d’emplois alors que les revenus des hauts responsables syndicaux ont grimpé en flèche avec la hausse de la bourse.

Pour les travailleurs de l’automobile, si le prétendu plan FCA-UAW pour forcer une fusion avec GM avait réussi, des désastres encore plus grands en résulteraient que ceux que les concessions des syndicats leur ont déjà infligé. Le but ultime d’une telle fusion aurait été de fermer d’innombrables installations et de licencier des dizaines de milliers de travailleurs comme «redondants», un objectif que le défunt Marchionne déclarait fréquemment en public. Mais pour l’UAW, les dizaines de millions en pots-de-vin n’auraient été qu’un acompte pour les milliards en actions et autres incitations financières qu’elle aurait pu espérer récolter comme récompense pour avoir négocié un tel accord.

De telles transactions dégoûtantes démontrent l’urgence de l’appel lancé par le «World Socialist Web Site» et du Parti de l’égalité socialiste pour la création de nouvelles organisations de travailleurs, totalement indépendantes des gangsters de l’UAW. On ne peut absolument pas faire confiance à cette organisation.

Les dernières révélations montrent, une fois de plus, que les travailleurs de l’automobile doivent rompre avec l’UAW et prendre l’initiative. Le Bulletin d’information des travailleurs de l’automobile du «World Socialist Web Site» aide les travailleurs à y parvenir en créant des comités de sécurité sur les lieux de travail dans tout le pays. Pour obtenir de l’aide afin de former un comité dans votre usine, contactez-nous à l’adresse autoworkers@wsws.org.

(Article paru d’abord en anglais le 5 août 2020)

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