Tandis que plane la menace d’autres licenciements et fermetures d’usine

Les négociations contractuelles canadiennes s'ouvrent entre Unifor et les trois constructeurs automobiles de Detroit

Les négociations pour de nouveaux contrats couvrant environ 17.000 travailleurs canadiens de l'automobile ont commencé cette semaine entre les trois constructeurs automobiles de Detroit et Unifor. Les contrats de concession actuels, qui ont été ratifiés à contrecœur par les travailleurs en 2016, expirent le 21 septembre. Le président d'Unifor, Jerry Dias, devrait annoncer quelle entreprise, parmi Ford, Fiat-Chrysler (FCA) et General Motors, sera ciblée pour commencer la négociation du contrat de base le 7 septembre. Certains analystes ont suggéré que Ford sera choisi comme cible initiale en raison de leurs installations de moteurs à Windsor, qui fournissent un produit crucial aux opérations d'assemblage de Ford aux États-Unis.

Dias a fait de la défense des emplois l'objectif clé des syndicats au cours de ce tour de négociations. Pourtant, il a pris soin, lors de sa conférence de presse de 23 minutes le 12 août, de ne pas mentionner une seule fois le mot «grève». En tant que partenaire junior des entreprises automobiles dans le contrôle de la main-d'œuvre des usines, Dias tient avant tout à s'assurer que la rentabilité des constructeurs automobiles ne soit pas compromise par une quelconque offensive des travailleurs pour rétablir les emplois, les salaires et les avantages qui leur ont été retirés dans une série de contrats de concession imposés par le syndicat au cours des vingt dernières années.

Lors d'une interview accordée en mai à Automotive News Canada, qui présentait un avant-goût des négociations contractuelles, Dias a fait tout son possible pour proclamer son opposition à une grève. Si «après des mois et des mois et des mois de réduction de volume en raison de la pandémie», les choses «commencent à redevenir à un semblant de ce qu'elles étaient avant la crise, personne ne voudra d'une perturbation», a déclaré Dias. «Et je veux dire personne, tant les travailleurs que les constructeurs automobiles».

Même avant la pandémie, les entreprises automobiles du monde entier avaient commencé à appliquer des mesures de réduction des effectifs, annonçant des centaines de milliers de licenciements et plus d'une douzaine de fermetures d'usines. Au Canada, cela s'est traduit par la fermeture des activités d'assemblage de GM Oshawa, avec la perte de 2200 emplois, et la suppression de plus de 2000 emplois chez FCA et Ford.

La chute drastique des ventes de voitures suite à la pandémie COVID-19 n'a fait qu'aiguiser l'appétit des trois grands de l'automobile pour une nouvelle série de concessions radicales. Cela est considéré comme essentiel pour garantir que les primes soient versées aux actionnaires et que les constructeurs automobiles restent «rentables» et «compétitifs». La crise à laquelle sont confrontées les entreprises automobiles mondiales n'est pas seulement due à un effondrement des ventes et à une «surcapacité» mondiale, mais aussi au fait que les constructeurs automobiles rivaux sont déterminés à augmenter considérablement le niveau de profit par véhicule, afin d'attirer les investissements dont ils ont besoin pour financer le développement des véhicules électriques et autonomes.

À cet égard, Dias a fait part de son intention d'encourager les engagements d'investissement à long terme des trois constructeurs de Detroit dans les véhicules électriques, y compris à Oshawa, en s'appuyant sur le lobbying du syndicat auprès du gouvernement fédéral libéral et du gouvernement conservateur provincial de l'Ontario pour qu'ils allongent des fonds publics et accordent des allégements fiscaux aux transnationales. Dans le cadre de sa politique nationaliste réactionnaire, qui divise les travailleurs de l'automobile au Canada de leurs frères et sœurs de classe dans toute l'Amérique du Nord, Unifor cherchera également à tenter les trois grands constructeurs en leur promettant des avantages en termes de coûts de main-d'œuvre par rapport aux États-Unis et au Mexique. Comme l'a déclaré John D'Agnolo, président de la section locale 200 d'Unifor, qui est le principal négociateur avec Ford, «Nous avons besoin que les gouvernements s'impliquent. Nous avons d'énormes avantages sur les États-Unis en termes de coûts des soins de santé, de valeur du dollar, de main-d'œuvre et de qualité des produits. Ce sont les autres subventions que les États du sud des États-Unis et le Mexique offrent qui rendent la concurrence difficile».

On s'attend à ce que la production de véhicules au Canada de la part des trois constructeurs automobiles de Detroit diminue encore de 27 % sur la durée du prochain contrat. Les derniers licenciements seront utilisés comme une menace par les trois constructeurs de Detroit pour intimider les travailleurs de l'automobile et les pousser à accepter une nouvelle série de reculs.

La liste des usines d'assemblage canadiennes qui sont menacées est longue. Lors de sa conférence de presse, Dias a fait remarquer: «Alors que nous lançons ici les négociations avec les trois constructeurs de Detroit, nous sommes confrontés à de sérieux, sérieux défis dans toutes nos opérations. Ford n'a pas annoncé de nouveau programme pour son usine d'Oakville; le syndicat a besoin d'un investissement majeur à l'usine FCA de Brampton; et il faudrait ajouter deux véhicules à l’usine d’assemblage FCA de Windsor pour y ramener le troisième quart de travail». L'usine de moulage d'aluminium d'Etobicoke de FCA est également menacée, ainsi que la moitié des 1600 emplois de l'usine de propulsion et de moteurs de GM à St-Catharines.

En ce qui concerne les salaires et les avantages sociaux, les entreprises ont déjà signalé que toute augmentation minimale des salaires ou toute légère réduction de la période actuelle de 10 ans de «progression» à deux niveaux pour des milliers de travailleurs dépendra des concessions importantes qui seront accordées dans les règles de travail. Ces concessions comprennent une augmentation du rythme de travail en usine, un nouveau renforcement des procédures disciplinaires déjà pénibles et une augmentation du recours à des travailleurs temporaires à temps partiel et à bas salaire.

Les travailleurs de l'automobile verront avec mépris la déclaration mensongère de Dias selon laquelle le syndicat va garantir qu’il y ait un minimum d’engagements de production dans les usines canadiennes menacées. Ils n'oublieront pas de sitôt que Dias a tristement qualifié le contrat de 2016 d'accord «historique» pour protéger la «présence» de la production au Canada. Deux ans plus tard seulement, GM a annoncé son plan de fermeture de l'usine d'Oshawa, basé sur les clauses standard des contrats Unifor qui abandonnent aux entreprises le droit d'ajuster leurs engagements opérationnels en fonction des «conditions du marché».

La campagne «Sauver GM Oshawa» menée par la suite par Dias visait en fait à étouffer toute initiative indépendante des travailleurs, y compris un certain nombre d’occupations d’usine qui ont arrêté à la production. Unifor a également lancé des appels futiles à la «moralité» de GM et a incité au nationalisme canadien et au chauvinisme anti-mexicain.

Les décennies de reculs contractuels et de pertes d'emplois massives supervisées par Unifor et son précurseur, les Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA) révèlent l'échec total de la stratégie nationaliste menée par le syndicat. Les bureaucrates des TCA se sont séparés des Travailleurs unis de l'automobile (TUA) en 1986 dans l'espoir de pouvoir conclure des accords séparés avec GM, Ford et Chrysler en se basant sur les coûts de main-d'œuvre moins élevés dont bénéficiaient les constructeurs automobiles au Canada en raison du dollar canadien moins cher et du système de santé financé par le gouvernement.

Cette «stratégie» s'est effondrée lorsque les TUA ont imposé de fortes réductions de salaire aux travailleurs de l'automobile américains, et que les constructeurs automobiles basés à Detroit se sont installés au Mexique pour une main-d'œuvre encore moins chère. Les patrons de l'automobile, avec le soutien indéfectible des syndicats, ont alors pu utiliser ces divisions nationalistes pour entrainer les emplois et les salaires au-delà des frontières dans une course sans fin vers le bas. Ce faisant, les TCA/Unifor, comme l'ensemble du mouvement syndical, se sont transformés en rien de plus que des partenaires juniors des entreprises.

Dans la lutte contractuelle à venir, les travailleurs ne peuvent avoir confiance qu'Unifor représentera leurs intérêts. Ce n'est qu'en s'organisant indépendamment du syndicat pro-entreprise pour s'opposer à un autre contrat pourri que les travailleurs pourront être en position de défendre leur emploi et leur niveau de vie. Déjà, une voie vers une telle mobilisation est en train d'être tracée dans les usines automobiles d'Amérique du Nord.

C'est le refus spontané de travailler des ouvriers de l'usine FCA de Windsor en mars dernier, en réaction à la pandémie naissante de COVID-19, qui a poussé les travailleurs américains de l'automobile à prendre les choses en main et à organiser des arrêts de travail. Les actions de grève sauvage menées par les travailleurs hautement exploités des maquiladoras dans le réseau d'usines de pièces automobiles du nord du Mexique ont compliqué encore davantage la production d'assemblage automobile, forçant les constructeurs automobiles à annoncer à contrecœur un arrêt de travail en Amérique du Nord.

Au cours de cet été, des groupes de travailleurs américains de l'automobile militants du Michigan, de l'Ohio et de l'Illinois ont franchi une nouvelle étape importante dans le rejet de l'UAW corrompue en formant des comités de sécurité de la base indépendants, opposés à la normalisation des décès liés à la COVID-19 qui est acceptée par les constructeurs et les syndicats comme un «coût nécessaire aux affaires». De tels comités doivent également être mis en place dans les usines canadiennes, non seulement pour faire respecter les normes de santé et de sécurité, mais aussi pour servir de tremplin afin de s’emparer de la direction de la lutte en la soutirant aux bureaucrates d'Unifor; forger l'unité avec les travailleurs de l'automobile aux États-Unis et au Mexique; et organiser une contre-offensive contre tous les reculs, les salaires à deux vitesses et les suppressions d'emplois.

(Article paru en anglais le 14 août 2020)

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