«Les enseignants veulent faire la grève, mais les syndicats ne font rien»

La cofondatrice du groupe Facebook «Refuse to Return» décrit l'explosion de l'opposition à la réouverture dangereuse des écoles

«Aucun enseignant n’est d’accord avec ça», a déclaré Tracy Campbell, une enseignante de musique du Colorado qui a 35 ans d'expérience, au World Socialist Web Site, à propos dela demande de retour des éducateurs en classe en pleine pandémie de COVID-19. «Ce qu’on laisse de côté dans la couverture médiatique est qu’on n’a pas demandé l’avis des enseignants.»

«Pourquoi les syndicats ne se sont-ils pas organisés en mars? S'ils étaient forts, nous n'aurions pas à faire cette organisation», a-t-elle déclaré, expliquant pourquoi elle et plusieurs autres ont créé un groupe indépendant sur Facebook, «Colorado Schools for Safe Openings -14 Days No New Cases».

Leur groupe «Refuse to Return» («Refusez de retourner») a attiré 9.469 membres et a contribué à inspirer au moins 35 autres groupes à travers les États-Unis, notamment dans l'Illinois (32.555 membres), l'Indiana (13.392 membres), l'Oregon (13.565 membres), le Tennessee (6.133 membres), la Pennsylvanie (7.831 membres), le Mississippi (2.210 membres) et plus encore.

L'opposition dans les médias sociaux a éclaté au niveau national, tandis que les éducateurs ont organisé des protestations, des pétitions et des arrêts de travail pour s'opposer à la campagne de la classe dirigeante visant à rouvrir les écoles. Les groupes Facebook opposés à cette campagne meurtrière sont devenus des centres d'organisation de protestations, de partage des développements scientifiques et politiques, d'évacuation de l'anxiété et de la frustration, et de plus en plus de discussions sur les actions de grève locales, nationales et d'État pour stopper la réouverture des écoles.

Comme l'a rapporté le World Socialist Web Site, le Comité de sécurité des éducateurs a été lancé le 15 août pour unifier les éducateurs, les travailleurs scolaires, les parents et les étudiants indépendamment des syndicats afin de s'opposer au retour forcé au travail et à l'école par les démocrates et les républicains.

La déclaration qui accompagnait l'annonce appelait à une grève générale à l'échelle nationale, soulignant que «la leçon centrale de la vague de grèves sauvages de 2018-19 en Virginie-Occidentale, en Oklahoma et dans d'autres États, ainsi que des grèves à Los Angeles, Oakland et Chicago, est qu'il est essentiel que les enseignants ne comptent, pour se battre, que sur leurs propres forces indépendantes».

Contrairement à tous les médias traditionnels, le WSWS a couvert de près l'explosion de l'opposition sur les médias sociaux. Ayant vu l'un de nos articles, Tracy nous a contactés afin de nous raconter son histoire. Elle est professeur de musique depuis 35 ans et vit près des réserves de la nation Navajo qui ont été dévastées par le COVID-19.

Comme d'autres éducateurs, Tracy suit attentivement la science de la pandémie et est très consciente des immenses dangers que représente la réouverture des écoles. Lorsqu'on lui a demandé de revenir pour un enseignement en personne dans son école, elle a refusé. «J'ai décidé de ne pas accepter de contrat d'enseignement cette année, car j'ai des petits-fils et ma santé est plus importante», a-t-elle déclaré au WSWS.

Tracy a enseigné à une époque où l'éducation publique a été continuellement attaquée par les deux partis du patronat, où le financement par élève a été réduit, le nombre d’élèves par classe, réduit et des bâtiments scolaires ont été laissés à l'abandon. «Le traitement des enseignants n'a fait qu’empirer, empirer, et empirer», a déclaré Tracy. «Tous les cours optionnels sont réduits. J'ai dû me battre pour mon programme toute ma vie en tant que directrice de groupe. Ils voulaient toujours l’éliminer.»

Commentant la pandémie et la campagne de réouverture des écoles, Tracy a déclaré: «Le gouverneur démocrate ici, Jared Polis, a déclaré que ‘c'est au contrôle local’ de faire ou non un apprentissage en personne, ce qui ne fait que donner du pouvoir à ces petites forces à la Betsy DeVos dans les petites zones rurales. Les districts scolaires ont donné carte blanche à ces gens qui pensent que tout cela n'est qu'un canular et qui commencent maintenant à ouvrir des écoles. C'est exactement ce que Betsy DeVos voulait, démanteler tout le système d'éducation publique».

En conséquence, «les gens démissionnent à gauche et à droite. Ils disent aux professeurs de musique qu'ils doivent enseigner en personne, avec des enfants qui soufflent dans les instruments. C'est dingue!»

Tracy a noté que depuis le début de la pandémie, «les enseignants ne savent pas quoi faire», ajoutant que «s'ils avaient organisé l'apprentissage en ligne, nous aurions pu avoir des laboratoires informatiques mobiles pour les endroits les plus touchés. Pourquoi ne demandent-ils pas à des experts de trouver des solutions?»

Elle a fait remarquer que dans son district et dans l'ensemble des États-Unis, la pandémie a aggravé des conditions qui étaient déjà terribles pour la classe ouvrière et les communautés appauvries. «J'ai perdu six étudiants une année où j'enseignais dans la réserve. Six ont été tués ou sont morts dans des accidents de voiture, et c'est très dur pour les enfants.»

«Je pense que la pandémie réveille les gens. Nous ferions mieux d'apprendre rapidement à nous organiser, car ce qui est en jeu, ce n'est pas seulement le bien-être émotionnel de nos enfants. Nous comprenons qu'il y a des problèmes avec l'apprentissage à distance. Mais le fait d'apprendre à distance est temporaire, la mort n'est pas temporaire. Nous allons créer plus de traumatismes pour les enfants si nous rouvrons les écoles».

Tracy a déclaré que depuis qu'elle n'avait plus de poste d'enseignement à plein temps, «j'ai réalisé que j'avais la liberté de m'organiser sans crainte de représailles, ce qui avait toujours été un problème pour moi car je ne voulais pas perdre mon emploi». Elle a pris contact avec deux autres enseignants et ils ont décidé de commencer à organiser l'opposition à la réouverture des écoles. «Nous avons dit que nous ne pouvions pas rester assis à nous plaindre sur Facebook», a noté Tracy.

«Nous avons décidé de créer ces groupes Facebook parce qu'il n'y avait pas grand-chose à l'époque. Au fil des semaines, c'était fou, parce que nos groupes ne cessaient de grandir. Les autres administrateurs de notre groupe Facebook du Colorado ont été très utiles et actifs. Nous avons commencé à trouver d'autres groupes qui n'étaient pas associés à nous, puis nous sommes allés vers d'autres endroits comme l'Iowa, le Mississippi et d'autres encore. Cela a pris feu. Il y avait tant d'enseignants qui n'avaient pas le soutien d'un syndicat. Peu à peu, les gens ont partagé leurs émotions et leurs craintes vraiment brutes.

«Nous avons commencé à planifier des actions collectives, à faire des appels téléphoniques, des caravanes de voitures. Je suis une grande partisane de l'art de protestation, alors j'ai dit à tout le monde que nous devrions commencer à faire des installations artistiques à l'extérieur de nos bâtiments. Dans le Tennessee, ils en ont fait, à Little Rock aussi. Des gens déguisés en Grande Faucheuse ont commencé à se manifester lors de manifestations dans le Colorado et partout ailleurs».

Tracy a noté que les groupes sont censés «être non seulement un système de soutien, mais aussi un moyen pour les enseignants de communiquer en toute sécurité. J'ai commencé à recevoir des courriers haineux. Ils me disaient: ‘Savez-vous que votre profil Facebook sera toujours avec vous?’ Et j'ai répondu: ‘Oui, et je veux que mes petits-enfants sachent que je me suis battu contre cela’. C'était vraiment populaire, et ça dépasse les limites de parti.»

Soulignant l'abnégation dont font preuve les enseignants et leurs inquiétudes à l'égard des questions sociales, Tracy a déclaré: «Il n'est pas nécessaire d'être socialiste pour être enseignant, mais essentiellement, nous le sommes». Un facteur de motivation important qui a conduit Tracy et d'autres à former les groupes Facebook a été l'absence totale d'une organisation plus large des syndicats d'enseignants. Alors qu'il existe un soutien croissant pour une grève nationale contre la réouverture des écoles, la Fédération américaine des enseignants (AFT) et l'Association nationale de l'éducation (NEA), qui sont depuis longtemps de connivence avec le programme d'austérité des deux grands partis, s'opposent à l'action collective et facilitent plutôt la réouverture des écoles en isolant les éducateurs district par district.

Tracy a fait remarquer que les syndicats censés représenter les concierges, les chauffeurs de bus, les employés de cafétéria et autres travailleurs scolaires ne font rien non plus pour les protéger. Elle a déclaré: «Nous parlons de tout le monde dans nos écoles, leurs syndicats ne sont pas efficaces pour eux non plus. Les concierges ont failli quitter leur réunion récemment; ils ont dû travailler dans des conditions dangereuses pendant les cours d'été».

Tracy a exprimé son soutien au Comité de sécurité des éducateurs récemment formé. Elle a déclaré: «J'aimerais aider de toutes les manières possibles; j'aimerais aider à former un comité de la base ici. Je pense qu'une grève nationale serait formidable. Cette dernière semaine avant la rentrée scolaire, je fais tout ce que je peux sur le terrain. Ces enseignants entrent et sortent en disant que la moitié du personnel ne portait pas de masque. Les enseignants veulent faire la grève, mais les syndicats ne font rien. Même en Floride, ils ont porté plainte, mais les enseignants continuent d'entrer dans les classes cette semaine.»

«Il est vraiment important d'atteindre les autres travailleurs; c'est ce que je dis à mon groupe également. Nous devons nous rapprocher de nos villes et de nos communautés».

Tous les éducateurs, travailleurs scolaires, parents et élèves qui soutiennent cette initiative devraient rejoindre la page Facebook du Comité de sécurité des éducateurs et nous contacter dès aujourd'hui pour mettre en place des comités locaux de sécurité dans votre école et votre quartier. Envoyez-nous toute information pertinente, y compris les développements importants dans votre district ou votre état, et nous la partagerons largement avec un public mondial. Nous organiserons une réunion téléphonique nationale le samedi 22 août à 15h HAE (12h HNP) pour discuter des développements et de la voie à suivre. Nous vous invitons à planifier dès aujourd'hui votre participation à cette réunion essentielle.

(Article paru en anglais le 18 août 2020)

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