Sur fond de grèves de masse en Biélorussie, le régime de Loukachenko est au bord du gouffre

Alors que des travailleurs dans toute la Biélorussie se mettent en grève après l’élection présidentielle disputée du 9 août, le gouvernement du président Aleksandr Lukachenko est au bord de l'effondrement. Des usines étaient en grève dans tout le pays lundi suite à des manifestations de centaines de milliers de personnes dans la capitale, Minsk. Loukachenko a été conspué alors qu'il s'exprimait dans une usine de tracteurs de Minsk, combinant menaces et tentatives de vouloir apparemment tendre la main aux partis d'opposition de droite soutenus par l'OTAN, qui appuient la candidate Svetlana Tikhanovskaya.

Sur fond d'appels à une grève générale nationale, les travailleurs de dizaines d'entreprises industrielles ont débrayé lundi. Celles-ci comprenaient l'usine de tracteurs de Minsk, l'usine métallurgique biélorusse, Naftan (produits chimiques et pétroliers), GrodnoAzot (produits chimiques), les Chemins de fer biélorusses, le métro de Minsk, l'Usine automobile biélorusse, l'Usine automobile de Minsk, l'Usine électrotechnique de Minsk, Terrazut (fenêtres et portes), Belaruskali (engrais, extraction et transformation), Belteleradiokompania (télécoms).

Ils ont été rejoints par des travailleurs de la santé en grève, des enseignants, des mineurs, des employés de la télévision publique, des travailleurs du pétrole, du textile et d'autres secteurs clés. La colère sociale monte à cause de la gestion du coronavirus par Loukachenko, qu'il a précédemment qualifié de «psychose». Le virus a infecté près de 70 000 personnes à ce jour en Biélorussie. Loukachenko a dit allègrement aux Biélorusses de boire de la vodka et de «rester positifs».

Les grévistes réclament l'éviction de Loukachenko et la tenue de nouvelles élections. Tentant de s'adresser aux grévistes de l'usine de tracteurs hier, Loukachenko a été confronté à des cris de « Dégagez ! » – le slogan qui prédomine désormais dans les grandes manifestations socialement hétérogènes du pays.

Loukachenko, qui a évoqué ce week-end le déploiement de parachutistes contre des grévistes, a répondu que pour que ses adversaires le révoquent, «ils devraient me tuer». Sur un ton nationaliste, il a affirmé que son régime autoritaire et sa gestion désastreuse de la pandémie du COVID-19 étaient tous une défense de la nation biélorusse: «Vous connaissez ma dureté. Vous savez que si je n'avais pas été dur, le pays n’existerait pas. »

Cependant, Loukachenko a également indiqué qu'il pourrait considérer les appels lancés plus tôt dans la journée par Tikhonovskaya pour qu'il mène un «dialogue» avec l'opposition, adopte une nouvelle constitution et organise de nouvelles élections. Tikhonovskaya espérait que cela garantirait que «le pays revienne au calme et à la normalité».

À l'usine de tracteurs de Minsk, Loukachenko a déclaré: «Nous devons adopter une nouvelle constitution. Il faudrait la ratifier lors d'un référendum, puis, en vertu de la nouvelle constitution, si vous le souhaitez, organiser des élections parlementaires, des élections présidentielles et des élections pour les responsables locaux. »

Les puissances de l'OTAN interviennent dans un effort pour faire en sorte que l'éruption de la colère de la classe ouvrière reste sous le contrôle de l'opposition de droite, qui domine actuellement les manifestations avec des promesses «d'élections libres et équitables», de démocratie et de fin de la violence d'État en Biélorussie.

Tikhanovskaya, qui a fui la Biélorussie après avoir dénoncé le résultat des élections, est désormais sous la protection du gouvernement lituanien. Avec les autres États baltes, celui-ci exige que Loukachenko se subordonne à un conseil national de réconciliation qui négocierait les conditions de la tenue de nouvelles élections.

Les concessions de Loukachenko à l'opposition surviennent au milieu de signes que le soutien à son règne est en train de s’effondrer au sein de la machine d'État. Le ministère de l'Intérieur a présenté ses excuses à la fin de la semaine dernière pour les violentes attaques contre les manifestants et a commencé à libérer certains des manifestants emprisonnés. Selon certaines informations, des membres de l'OMON, les forces de sécurité intérieure paramilitaires biélorusses, avaient déposé leurs armes en réponse aux appels des manifestants.

Le dernier chef d'État de l'OTAN à parler de la Biélorussie a été le président français Emmanuel Macron, méprisé dans son pays et à l'étranger pour sa répression policière brutale des Gilets jaunes. Il a déclaré: « L'Union européenne doit continuer de se mobiliser aux côtés des centaines de milliers de Biélorusses qui manifestent pacifiquement pour le respect de leurs droits, de leur liberté et de leur souveraineté. »

L'UE, qui a annoncé qu'elle ne reconnaîtrait pas la victoire électorale écrasante revendiquée par Loukachenko et a condamné le gouvernement biélorusse pour ses violentes attaques contre des manifestants pacifiques, met Svetlana Tikhanovskaya en avant comme la gagnante. Celle-ci a déclaré lundi qu'elle était prête à rentrer en Biélorussie pour servir de «leader national». Le même jour, le gouvernement allemand a confirmé qu'il était en communication régulière avec Tikhanovskaya.

Des informations de presse indiquent que le gouvernement américain – qui dans une stupéfiante déclaration d'hypocrisie a condamné Loukachenko pour violence policière – est en train de décider si elle poussera à un arrangement entre lui et l’opposition et les encouragera à rompre avec la Russie; ou s’il doit faire tomber Loukachenko et orchestrer un changement de régime à Minsk dans le cadre du renforcement militaire de l'OTAN en Europe de l'Est contre la Russie.

Selon un article publié le 12 août dans Foreign Policy, les désaccords au sein du Congrès sur la politique américaine concernant la Biélorussie portent sur la poursuite ou non des plans d'avant la crise consistant à poursuivre une restauration des relations diplomatiques avec le pays.

L'une des raisons de la confusion à Washington est sans aucun doute que plusieurs dirigeants de l'opposition biélorusse ont des liens étroits avec Moscou. Viktor Babariko a dirigé Belgazprombank, une banque appartenant à la société d'État russe Gazprom, jusqu'en mai dernier. Valery Tsepkalo, un homme d'affaires ayant eu des liens de longue date avec le régime biélorusse avant de devenir politicien de l'opposition, a fui en avril en Russie après qu’on l’ait empêché d’être candidat à la présidence.

La question cruciale à laquelle sont confrontés les travailleurs de Biélorussie est la nécessité de lutter indépendamment et contre toutes les factions de la kleptocratie capitaliste post-soviétique et leurs alliés internationaux. Loukachenko a pris le pouvoir en 1994 au milieu de l'effondrement économique déclenché par la restauration capitaliste du régime stalinien et sa dissolution de l'Union soviétique en 1991. Mais l'opposition parle pour une faction dissidente de la même oligarchie corrompue, sortie du vol et du pillage par la bureaucratie stalinienne des biens d’État pendant la restauration capitaliste.

Bien qu'il soit généralement présenté dans les médias anti-russes comme l'allié indéfectible de Poutine, Loukachenko a longtemps essayé d’osciller entre la Russie et l'impérialisme occidental. En 1996, il a commencé à créer des zones économiques franches de libre marché à travers le pays, garantissant aux entreprises privées étrangères l’accès libre d'impôt à sa main-d'œuvre à bas salaires. En 2020, 270 entreprises s'étaient installées dans ces zones. Au milieu des années 2000, son gouvernement a mis en œuvre coupes budgétaires et privatisations afin d'obtenir un prêt du Fonds monétaire international (FMI).

Le salaire mensuel moyen du pays n'est que de 500 dollars, parmi les plus bas d'Europe. Une «taxe sur les fraudeurs des allocations chômage » introduite en 2015 inflige des amendes aux personnes sans emploi pendant plus de six mois. Si l'amende n'est pas payée et que la personne est toujours au chômage, elle encourt une peine de six mois de prison. Les experts estiment que le taux de pauvreté, qui, selon le gouvernement n'est que de 5 pour cent, est en réalité proche de 20 pour cent.

À la mi-avril, le ministre biélorusse des Finances, Maxim Yermolovich, annonça que la Biélorussie s'était tournée vers le FMI pour faire face à la pandémie de Covid-19 et recevrait un prêt de 500 à 900 millions de dollars. Des coupes budgétaires majeures suivront, au milieu de la pandémie qui fait rage.

Les différents banquiers, hommes d'affaires et agents politiques de l'opposition anti-Loukachenko ne représentent pas les griefs de la classe ouvrière ; ils veulent la poursuite des mêmes politiques que celles qui ont conduit à la gestion désastreuse de la pandémie et à la montée de la colère de la classe ouvrière.

Toutes les forces politiques à la manœuvre en Biélorussie – l'opposition officielle, l'UE, les États-Unis, l'Ukraine et le régime russe – sont terrifiées de voir éclater les griefs économiques et sociaux de longue date de la classe ouvrière biélorusse. Les grèves de masse dans le pays sont d'autant plus alarmantes pour la bourgeoisie que les mêmes causes sont à l'origine de grèves et de manifestations croissantes dans toute l'Europe et au-delà. Les pays de l'OTAN, y compris surtout les États-Unis, ont également répondu à la pandémie avec un mépris total pour la vie des travailleurs.

L'obtention des ressources nécessaires pour lutter contre le COVID-19, la nécessité d’empêcher la marche vers la guerre de l'OTAN contre la Russie et l'établissement d'un régime qui sauvegarde les droits démocratiques, nécessitent une lutte internationale commune de la classe ouvrière pour le pouvoir. Celle-ci doit être basée sur une opposition au règlement politique issu de la restauration capitaliste en Union soviétique. Cela signifie se tourner vers la lutte socialiste et internationaliste du mouvement trotskyste contre l'héritage nationaliste et contre-révolutionnaire du stalinisme dans l'ex-Union soviétique et à l’international.

(Article paru en anglais 18 août 2020)

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