Le Pérou dépasse le demi-million de cas de coronavirus, la crise politique s'aggrave

Les infections et les décès dus au COVID-19 sont monté en flèche depuis la réouverture de l’économie en juillet, les crises politiques et sociales du Pérou se sont aggravées. Des grèves ont éclaté dans le secteur minier en raison des taux élevés d’infection, et un affrontement le 9 août entre manifestants indigènes et la police dans la région amazonienne durement touchée a fait quatre morts parmi les travailleurs indigènes.

Les mineurs de MARSA se débrayent en raison des infections dues au COVID-19.

Avec 796 décès dus à la COVID-19 par million d’habitants, le Pérou a le taux de mortalité le plus élevé de toutes les Amériques et le deuxième au monde, derrière la Belgique. Son nombre total de cas a dépassé 535.000, un record de plus de 10.000 nouveaux cas ayant été enregistré dimanche. Le ministère de la santé (Minsa) a enregistré plus de 26.000 décès. Toutefois, on considère le nombre véritable comme deux fois plus élevé en raison d’un excédent de décès par rapport à la même période des années précédentes, qui n’a pas fait l’objet d’une enquête.

Depuis le début de la réouverture de l’économie, le nombre d’infections a fait un bond de 78 pour cent en six semaines, rapporte El Comercio. Il y a également eu une augmentation de 75 pour cent des infections chez les enfants et les adolescents.

En réponse à cette propagation incontrôlée de la pandémie, le président Martín Vizcarra a ordonné le rétablissement d’un confinement général le dimanche seulement. Cela signifie que «toutes les réunions familiales et sociales sont interdites» et que les parcs resteront fermés. Quant au reste de la semaine, les gens doivent travailler comme d’habitude. Cela vient s’ajouter aux confinements roulants dans 15 des 25 régions du Pérou. Dans la capitale Lima et ailleurs, des unités militarisées de la police nationale péruvienne ont été déployées pour faire respecter rigoureusement le confinement du dimanche.

Le gouvernement soutient que le virus mortel se propage principalement par le biais de réunions sociales entre amis et familles, et non en ramenant les Péruviens dans les mines et autres lieux de travail.

Dans la classe ouvrière cependant, il y a une résistance croissante aux conditions de travail meurtrières imposées par les employeurs et soutenues par le gouvernement. Les mineurs de la mine d’or et d’argent Minera Aurifera Retamas S.A. (MARSA) ont quitté le travail la semaine dernière après que 280 mineurs ont été infectés par le coronavirus au travail. Ils ont dénoncé les propriétaires de la mine, une des plus grandes mines souterraines du pays, pour ne pas avoir fourni les conditions sanitaires les plus minimales. Outre l’application des normes sanitaires de base, l’une de leurs revendications était la fin de la pratique des «lits chauds» (camas calientes), selon laquelle les travailleurs des équipes du matin et du soir sont obligés de partager les mêmes lits.

Les mineurs de MARSA ont indiqué que leur grève pourrait se poursuivre suite à l’arrestation du leader du syndicat local Luis Cerna Polo.

Les mineurs ont protesté et fait grève ailleurs encore alors que les cas de coronavirus et les décès augmentent. À Uchucchacua, à environ 150 miles au nord-est de la capitale, les travailleurs ont signalé 150 infections parmi eux. À la mine de Cerro Lindo, 700 travailleurs se trouvent en quarantaine en raison de symptômes du COVID-19, tandis qu’à la mine de Cerro Corona, 150 travailleurs ont été évacués après avoir contracté la maladie. Dans les deux mines, les mineurs sont obligés de partager des locaux surpeuplés.

Déploiement de la police militaire pour faire respecter le couvre-feu du dimanche à Lima.

Pendant ce temps, dans la région amazonienne, des manifestants indigènes ont pris possession d’un complexe pétrolier au Lot 95, situé dans la région de Loreto, pour protester contre l’incapacité du gouvernement à fournir de l’aide au milieu d’une des plus virulentes flambées de la pandémie. Dans tout le bassin amazonien, on a détecté plus de 100.000 infections, et au moins 3.000 personnes sont décédées du COVID-19. Avec une population indigène de 330.000 personnes, cela signifie que près d’un tiers de la population s’est trouvée infectée et que près d’une personne sur 100 est morte.

Les forces de sécurité ont répondu par une répression brutale aux actions de protestation des indigènes, tuant trois personnes et en blessant une autre mortellement. Les forces de sécurité ont blessé dix-sept autres manifestants.

L’installation pétrolière Lot 95 est la propriété de la transnationale Canadienne PetroTal. Celle-ci a relancé la production le mois dernier en dépit des protestations de la population locale qui craint que les travailleurs du pétrole qui retournent dans la jungle du nord du Pérou n’amènent le coronavirus avec eux. Le gouvernement et les transnationales ont traité la population indigène comme un simple obstacle à l’extraction des ressources et aux profits.

Vizcarra a vu son taux d'approbation chuter face à la hausse vertigineuse du taux de COVID-19 et à la réouverture de l'économie, passant de 83 pour cent en juin à 56 pour cent aujourd'hui.

Le 1er juillet, il a procédé à un remaniement ministériel face à la crise croissante de son gouvernement, nommant Pedro Cateriano comme nouveau Premier ministre. Le Congrès a cependant rejeté cette nomination par 54 à 37 voix lors d’un vote de défiance le 4 août.

Vizcarra a dénoncé ce rejet comme une manœuvre politique, mais les critiques ont reproché à Cateriano d’avoir prononcé au Congrès un discours qui avait trop ouvertement promu les intérêts des transnationales minières et d’autres secteurs du grand capital. Il n’avait même pas feint de se préoccuper de la souffrance des masses de travailleurs et de pauvres dans des conditions de pandémie, de chômage de masse et d’aggravation de la pauvreté.

Par la suite, Vizcarra a proposé le général à la retraite Walter Martos, ancien ministre de la Défense, comme nouveau premier ministre. Martos a été approuvé avec le plus large soutien d’un Congrès depuis 50 ans, 115 voix en faveur, cinq contre et quatre abstentions.

Son élévation au poste de Premier ministre survient alors que les militaires prédominent de plus en plus dans le cabinet de Vizcarra. Trois des 19 sièges du cabinet se trouvent désormais occupés par des généraux en activité ou en retraite: celui du Premier ministre et des secrétaires à la Défense et à la Sécurité nationale, respectivement le général d’armée Jorge Luis Chávez Cresta et le lieutenant d’aviation Jorge Montoya Pérez.

Vizcarra garde son choix initial, Pedro Cateriano, la coqueluche du lobby des grandes entreprises péruviennes Confiep (Confederación Nacional de Instituciones Empresariales Privadas) comme liaison avec le puissant secteur minier.

L’engagement de Vizcarra en faveur de l’exploitation minière et des capitaux étrangers s’est encore manifesté avec le choix de Miguel Incháustegui pour le poste de ministre de l’Énergie et des Mines. Incháustegui a notamment été directeur de Turmalina Metals Corp et de Cañariaco Copper Peru. Il a également travaillé pour Gold Fields et Lumina Copper.

Dans son discours au Congrès, le général Martos a reconnu le retard de l’économie péruvienne, qui a été masqué pendant la période du boom des matières premières, lorsque le pays a enregistré une croissance annuelle moyenne de 6,3 pour cent, entre 2002 et 2014. Il a noté que rien que pendant cette année, les dépenses publiques avaient chuté de 35 pour cent.

Pour remédier à l’aggravation de la crise économique du pays – la banque centrale prévoit une contraction de 12 pour cent cette année – Martos a proposé d’injecter des milliards de dollars dans les PYMES (petites et moyennes entreprises). Alors que ce secteur représente 86 pour cent de l’emploi privé et génère 30 pour cent du PIB, les statistiques montrent que la plupart des PYMES font faillite en l’espace de quelques années, avec des perspectives encore plus décourageantes face à la pandémie.

Martos a présenté la lutte contre la pandémie comme «une guerre qui rayonne dans tous les domaines de la vie nationale», soulignant qu’il parlait «en tant que membre fier de nos forces de l’ordre…».

Le général à la retraite a souligné que la modernisation et le renforcement des forces de sécurité étaient au cœur de cette «guerre». Il a fait des propositions pour la numérisation des opérations de police, l’ouverture de 28 nouveaux postes de police d’ici décembre 2020. Il a parlé du déploiement des «forces armées, avec le soutien de patrouilles [civiles] municipales de nuit afin d’augmenter le nombre de troupes et la fréquence des rondes, avec des actions stratégiques spéciales, axées sur les lieux où l’incidence de la criminalité est la plus élevée».

Au Pérou, comme dans le reste de l’Amérique latine, la classe dirigeante capitaliste et ses partenaires transnationaux s’appuient de plus en plus sur les forces militaires et policières pour faire face à la menace d’une explosion de la lutte des classes alimentée par le chômage de masse, l’inégalité sociale et un retour au travail criminel qui fait de plus en plus de victimes du COVID-19.

(Article paru d’abord en anglais le 18 août 2020)

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