Un panel en ligne examine ce qui se passerait si Assange était extradé vers les États-Unis

Le 8 août, la Courage Foundation a parrainé une table ronde en ligne intitulée «À quoi Julian Assange ferait-il face aux États-Unis?» Les participants ont examiné en détail la campagne d’extradition de l’éditeur de WikiLeaks depuis le Royaume-Uni. Ils ont étudié les questions juridiques liées à la toute première poursuite d’un journaliste en vertu de la loi sur l’espionnage de 1917. Ils ont décrit les conditions auxquelles Assange ferait face au sein du système de justice pénale s’il était envoyé aux États-Unis.

Le panel de trois personnes était composé de Barry Pollack, l'avocat américain d’Assange, Jeffrey Sterling, un lanceur d’alerte de la CIA qui a été condamné pour avoir violé la loi sur l’espionnage en 2015, et Lauri Love, un activiste politique britannique qui a réussi à faire rejeter une demande d’extradition américaine en 2016.

Le journaliste indépendant américain, Kevin Gosztola, rédacteur en chef de Shadowproof.com, était l'hôte de l’événement. La Fondation Courage est une organisation internationale qui collecte des fonds pour la défense des lanceurs d’alerte et des journalistes persécutés. Le site web de l’organisation indique qu’elle «soutient ceux qui risquent leur vie ou leur liberté pour apporter une contribution significative à l’histoire».

Annonce de l'événement

Cette discussion de 90 minutes, qui peut être visionnée dans son intégralité sur YouTube ici, est importante, car elle a réuni trois panélistes qui connaissent bien les abus du gouvernement américain dans les procédures d’extradition. Ils connaissent aussi les multiples énigmes juridiques dans les affaires qui impliquent des questions de sécurité nationale et de renseignement, les tactiques agressives et inhumaines de la Cour du district Est de Virginie et de la Cour d’appel du quatrième circuit des États-Unis. Enfin ils connaissent le tribut personnel que la lutte contre le gouvernement américain fait payer aux personnes persécutées pour des raisons politiques.

Après les présentations de Kevin Gosztola, Barry Pollack a déclaré «Ce qui est sans précédent, c’est l’utilisation de la loi sur l’espionnage pour poursuivre un éditeur ou un journaliste. Cela ne s’est jamais produit auparavant et il y a donc beaucoup de questions juridiques qui pourraient se poser dans cette affaire, si jamais M. Assange est extradé, qui n’ont jamais fait l’objet de décisions de justice dans le passé et nous ne savons pas comment elles vont se présenter.»

Pollack a expliqué que les lois américaines régissant le traitement des documents classifiés dans le cadre de poursuites judiciaires au niveau des États signifient souvent que les informations pertinentes ne sont pas disponibles pour être partagées avec le défendeur. «L’un des grands défis de la défense dans ce genre d’affaire est qu’il peut y avoir de grandes quantités de preuves dont je ne peux même pas, en tant qu’avocat, discuter avec mon propre client. Cela rend les choses extraordinairement difficiles», a déclaré Pollack.

Pollack a déclaré que toute tentative de la défense d’utiliser des informations confidentielles dans son affaire nécessiterait un examen «page par page, ligne par ligne». Aussi, on risque un conflit avec le gouvernement sur la question de savoir si la défense doit présenter son dossier à l’État à l’avance du procès. C’est une pratique qui n'a cours dans aucun autre procès fédéral.

Pollack a ajouté que les conditions préalables au procès d’Assange impliqueraient les conditions les plus draconiennes: «Selon toute vraisemblance, il serait en détention administrative et aurait très peu d'accès, voire aucun, aux visiteurs, au courrier électronique ou même au courrier postal, car le gouvernement craint qu’il ait eu accès à des informations confidentielles.»

Jeffrey Sterling est l’une des sept personnes accusées d’avoir violé la loi sur l’espionnage sous le gouvernement Obama, dont Edward Snowden et Chelsea Manning. Ils ont tous été accusés d’avoir divulgué des informations classifiées à des éditeurs. Le gouvernement américain a ciblé Sterling, qui est afro-américain, en représailles d’un procès pour discrimination qu’il avait intenté en 2000 contre la CIA. Le juge a finalement rejeté le procès pour discrimination parce que le gouvernement a fait valoir avec succès que son affaire, si elle devait aller de l’avant, révélerait des secrets d’État.

Arrêté dix ans après avoir quitté les services de renseignement américains et accusé d’avoir révélé des informations confidentielles au journaliste du New York Times James Risen, Sterling a été condamné le 26 janvier 2015. Il a purgé trois ans et demi à l’Institution correctionnelle fédérale d’Englewood, au Colorado.

Sterling a beaucoup parlé de la façon dont il a été traité par les tribunaux et les autorités pénitentiaires, ainsi que de la façon dont les personnes accusées de violation des intérêts de la sécurité nationale sont maltraitées par l’ensemble du gouvernement américain. Lorsque Sterling a été arrêté, il a expliqué: «Ils me traitaient comme un terroriste. Ils croyaient que si j’étais libre de partir, je sortirais et commencerais à assassiner des employés de la CIA. Le juge y croyait. Le quatrième circuit croyait tout ce que le gouvernement disait.»

Sterling a dit que la présomption d’innocence était inexistante dans sa situation. «Leur point de vue est que: si vous êtes un accusé, vous êtes coupable. Nous allons tout faire pour vous isoler et vous punir», a-t-il déclaré.

Lauri Love a comparu devant le tribunal correctionnel de Westminster à Londres — le même tribunal où Assange s’est fait traduire avant le début de son audience d’extradition — les 28 et 29 juin 2016. Elle a paru en rapport avec les allégations des États-Unis selon lesquelles elle avait piraté un serveur du système judiciaire fédéral. L’État américain alléguait qu’elle avait publié une vidéo qui protestait contre le traitement réservé à l’activiste Internet Aaron Swartz qui s’était suicidé quelques jours auparavant.

Les États-Unis ont porté deux accusations distinctes contre Love pour avoir prétendument «violé des milliers de systèmes informatiques aux États-Unis et ailleurs — y compris les réseaux informatiques des agences fédérales — pour voler des quantités massives de données confidentielles», et ont demandé son extradition à New York. En février 2018, la Haute Cour britannique a statué en faveur de Love et a bloqué son extradition tout en décidant qu’il «ne serait pas oppressif [de] poursuivre Mme Love en Angleterre pour ces délits.»

En parlant du processus d’extradition, Love a déclaré «C’est très difficile de se défendre contre l’extradition parce qu’on ne peut jamais parler des accusations ou de la légitimité des accusations ou de la réalité des accusations parce qu’on les traite toutes de manière hypothétique. La seule chose dont nous pourrions parler est ma santé, physique et mentale, et les conditions auxquelles je serais confronté en détention aux États-Unis.»

«Nous avons entendu plusieurs témoins experts nous dire à quel point la prison est horrible — je pense que la plupart des gens s’imaginent que la prison est un endroit malsain, mais ils ne sont pas vraiment capables d’imaginer à quel point cela peut être mauvais — pour quelqu’un qui pourrait souffrir de dépression et d’idées potentiellement suicidaires. La “solution” à ce problème dans les prisons américaines est de mettre en place une forme d’isolement cellulaire. C’est ce qu’on appelle la surveillance contre le suicide.»

«Vous êtes retiré de la société, vous avez une autre personne qui vous surveille dans la cellule. Ce n’est généralement pas un professionnel de santé qualifié ou même un membre du personnel, c’est souvent un autre prisonnier qui le fait pour des mérites supplémentaires. Et vous pouvez être mis dans des vêtements horribles appelés “blouse de suicide”, qui sont un peu comme une camisole de force. C’est d’un vêtement spécial qui rend le suicide plus difficile. Des experts, notamment des Nations unies, ont déclaré que l’isolement cellulaire prolongé, même pour de courtes périodes, équivaut à de la torture.»

Le modérateur Gosztola a ensuite interrogé Pollack sur la compétence que les États-Unis ont revendiquée sur Julian Assange. Cet aspect de la persécution d’Assange était «sans précédent» et «vraiment effrayant», a déclaré Pollock. «Vous parlez de quelqu’un qui n’est pas un citoyen américain, qui n’a aucun lien avec le gouvernement américain, qui n’a jamais conclu d’accord d’emploi ou de non-divulgation avec le gouvernement américain, qui n’est pas aux États-Unis, qui est au Royaume-Uni, qui est un citoyen australien au Royaume-Uni, et pourtant, les États-Unis revendiquent leur compétence sur lui.»

Pollack a expliqué les implications mondiales de l'affaire Assange: «Cela signifie, littéralement, que les États-Unis peuvent et voudraient revendiquer leur compétence sur n’importe quel journaliste, n’importe où dans le monde. Et la base de cette affirmation est que si vous publiez des informations confidentielles américaines, dans l’esprit des États-Unis, vous avez commis des infractions aux États-Unis et les États-Unis ont compétence pour vous juger. Vous avez publié leurs documents. Et donc, selon cette théorie, chaque journaliste dans le monde est en danger s’il publie quelque chose que les États-Unis considèrent comme une information de défense nationale, c’est-à-dire [dont la divulgation est] contraire aux intérêts des États-Unis.»

En réponse à la question de la compétence, Jeffrey Sterling a déclaré «Je pense que cela témoigne de la nature excessivement large de l’utilisation de la loi sur l’espionnage. Dans mon cas, par exemple, en ce qui concerne la compétence, le gouvernement n’a pas, tout au long du procès, établi quand, où ni comment j’étais supposé – j'étais innocent des accusations – avoir divulgué ces informations confidentielles. Une partie de leurs efforts pour revendiquer la juridiction était le livre, le livre tristement célèbre qui était à la base du procès contre moi.»

«C’est ridicule, c’est trop large. Comme je l’ai dit à plusieurs reprises sur Twitter, leur utilisation de la loi sur l’espionnage est perverse |…] Si les États-Unis réussissent à extrader Julian Assange, tout journaliste sera soumis à ce genre de représailles de la part du gouvernement américain.»

Si Assange se faisait extrader et juger pour avoir violé la loi sur l’espionnage, il ne pourrait pas se défendre dans l’intérêt public. Comme l’a expliqué Pollack, «soit vous avez publié des informations sur la défense nationale, soit vous ne l’avez pas fait et la raison pour laquelle vous l’avez fait n’a pas d’importance. Et donc, je ne doute pas que le gouvernement américain adoptera la position selon laquelle […] Julian ne devrait même pas être autorisé à décrire pourquoi il a publié ce qu’il a publié, et nous ne devrions même pas être en mesure de montrer que ce qu’il a publié était digne d’intérêt.»

Pollack a ensuite abordé la manière dont les États-Unis vont chercher à priver Assange de ses droits fondamentaux: «Nous dirons certainement que la loi, si elle ne comporte pas de défense d’intérêt public, doit être une violation du premier amendement tel qu’il s’applique à un éditeur.»

«Les États-Unis vont considérer que Julian Assange n’a aucun droit au Premier Amendement. Leur point de vue sera qu’il n’est pas un citoyen américain, il n’a aucun droit. Pensez à l’ironie de la situation. Ils peuvent poursuivre un citoyen australien qui publie au Royaume-Uni, le ramener aux États-Unis et dire ensuite que parce que vous n’êtes pas un citoyen américain, vous n’avez pas les droits du Premier Amendement qu’un citoyen américain aurait.»

Lors d’une discussion plus approfondie, Lauri Love a déclaré «Une force d’occupation dans une guerre d’agression volontaire a eu du personnel militaire qui a commis des crimes de guerre, a assassiné des journalistes de sang froid, et ensuite les éditeurs ont révélé ces crimes de guerre au monde. Et maintenant, on demande à la justice britannique si l’éditeur doit être servi par le régime même qui était en fin de compte responsable de la commission de ces crimes de guerre. Pour établir un précédent que c’est une mauvaise chose à faire.»

«Je ne pense pas pouvoir imaginer une menace plus grave pour la transparence qui sous-tend la liberté et la démocratie dans le monde.»

La réunion en ligne de la Courage Fondation a permis de soulever nombre des problèmes fondamentaux et graves auxquels Assange, son équipe juridique, ses amis et sa famille feront face dans les semaines et les mois à venir, alors que les États-Unis poursuivront leur vendetta contre le journaliste de WikiLeaks. La discussion mérite une large audience.

Comme le «World Socialist Web Site» l’a souligné à plusieurs reprises, la revendication de la liberté de Julian Assange et la défense des droits démocratiques fondamentaux qui sont attaqués par l’impérialisme américain doivent être reprises par la classe ouvrière et devenir un élément central de la lutte pour le socialisme à l’échelle mondiale.

(Article paru d’abord en anglais le 24 août 2020)

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