Sept dirigeants des protestations en Thaïlande arrêtés par la police

La police thaïlandaise a répondu à une manifestation de masse à Bangkok dimanche dernier par une série d’arrestations. Ce rassemblement s’inscrit dans le cadre des manifestations d’étudiants qui ont eu lieu dans toute la Thaïlande au cours du mois dernier. La Police a arrêté sept membres éminents du mouvement étudiant qui organisait les manifestations. Cette semaine on a inculpé ces membres de la Jeunesse libre (Free Youth) et du groupe hip-hop: Rap contre la dictature (Rap against Dictatorship) pour sédition et incitation à l’agitation publique.

Des étudiants lèvent leurs trois doigts, symbole du salut de la résistance, lors d'un rassemblement à Bangkok, en Thaïlande [Crédit: AP Photo/Sakchai Lalit]

On a ciblé spécifiquement six des dirigeants pour leur participation à un rassemblement d’étudiants à Bangkok le 18 juillet, qui a déclenché la récente vague de manifestations contre le gouvernement. Depuis lors, les rassemblements ont eu lieu presque quotidiennement.

Bien qu’à l’origine limité aux grandes universités, le mouvement a depuis gagné un soutien plus large parmi les étudiants et les travailleurs dans tout le pays. Surtout, la manifestation dominicale l’a démontré. Elle était la plus importante de Thaïlande depuis le coup d’État militaire de 2014.

Les trois principales revendications des leaders de la protestation sont de dissoudre le parlement, de mettre fin à la persécution des opposants politiques par l’État et de réécrire la constitution actuelle, qui a été rédigée par la junte militaire.

On a émis les mandats d’arrêt pendant le rassemblement de dimanche pour 15 dirigeants de la Jeunesse libre. Selon le Thai Enquirer, c’était une opération de police qu’on a coordonnée et a menée tout au long de la nuit de mercredi à dimanche. Les six personnes arrêtées au cours de la manifestation du 18 juillet étaient Baramee Chairat, Suwanna Tanlek, Korakot Saengyangpant, Natthawut Somboonsap, Tossaporn Sinsomboon et Thanee Sasom.

La manifestation au Monument de la démocratie à Bangkok, le 16 août [Crédit: @TaraAbhasakun, Twitter]

La police a également appréhendé les rappeurs Thanayuth Na Ayutthaya et Dechathon Bamrungmuang, leader du très populaire groupe hip-hop Rap Against Dictatorship, pour leur spectacle lors de la manifestation.

Le septième leader de la protestation ciblé pour arrestation était Anon Nampa, un avocat spécialiste des droits de l’homme et une figure de proue des manifestations thaïlandaises. Anon s’est fait arrêter pour la deuxième fois ce mois-ci, à la suite d’un discours prononcé le 3 août appelant à la réforme de la monarchie. En Thaïlande, toute personne qui «diffame, insulte ou menace» la famille royale peut être poursuivie pour avoir violé la loi draconiennesur la lèse-majesté, et risque jusqu’à 15 ans de prison.

Depuis le discours d’Anon, les protestations des étudiants ont ouvertement critiqué le rôle politique du roi Maha Vajiralongkorn. Depuis son installation au pouvoir en 2016, Vajiralongkorn a considérablement accru son emprise sur la constitution, les forces armées, et la fortune du palais.

On a utilisé la loi sur la lèse-majesté pour faire taire l’opposition politique jusqu’à 90 fois depuis le coup d’État militaire de 2014. Cependant, le Premier ministre, Prayuth Chan-o-cha, ancien chef de la junte militaire, aurait reçu l’instruction du Roi de ne pas utiliser la loi, pour l’instant. Anon a été accusé à la place de sédition, qui est passible d’une peine de prison maximale de sept ans.

Anon a rejoint l’organisation Advocats Thais pour les doits de l’homme (Thai Lawyers for Human Rights) depuis 2006, lorsque le gouvernement du Premier ministre Thaksin Shinawatra a été renversé par un coup d’État militaire. Il s’est fait connaître en tant qu’avocat des Chemises rouges (un groupe de partisans de Shinawatra qui a organisé des manifestations en 2010) et des délinquants poursuivis pour lèse-majesté. Il a déjà été inculpé dans 13 affaires pour sa participation à des manifestations contre la junte.

Des manifestants sur l'avenue Ratchadamnoen à Bangkok [Crédit: @ChingCh14270983, Twitter]

La répression des manifestations par l’État s’est intensifiée depuis que la critique de la monarchie est devenue un point central du mouvement.

Au début de ce mois, deux autres leaders étudiants, tous deux connus pour leurs critiques de la monarchie, se sont fait arrêter pour sédition. Ils étaient: Panupong Jadnok, membre du groupe étudiant, «la Jeunesse asiatique pour la démocratie» (Eastern Youth for Democracy), basé dans la province de Rayong; et Parit Chirawak, co-fondateur et ancien président de l’Union des étudiants de Thaïlande.

Lors d’un rassemblement dans la province de Phitsanulok le 9 août, six meneurs de la jeunesse ont été enlevés par des hommes qui se réclamaient de la police des frontières. C’était une tentative de faire dérailler la manifestation. Prachatai a indiqué que jusqu’à présent, l’intervention des autorités a bloqué cinq manifestations prévues.

Mercredi, on a émis six autres mandats d’arrêt pour les étudiants qui ont mené la manifestation du 10 août à l’université de Thammasat, dans laquelle on a présenté des demandes spécifiques de réforme de la monarchie pour la première fois.

Malgré ces efforts, le mouvement de protestation continue à se développer. Cette semaine, des classes entières d’au moins huit lycées de Bangkok ont porté des rubans blancs et ont salué à trois doigts pendant l’hymne national, en signe de solidarité avec les protestations. Mercredi, des centaines de lycéens se sont rassemblés devant le bâtiment du ministère de l’Éducation, appelant à une plus grande liberté dans les écoles et réitérant les trois demandes du mouvement.

Le 21 août, un grand rassemblement d’étudiants a eu lieu dans la ville de Nakhon Ratchasima, au nord-est du pays. Au cours du rassemblement, Panupong Jadnok a parlé de la réforme de la monarchie devant les acclamations de la foule des lycéens. Le réseau d’assemblée des étudiants du nord-est organisera une manifestation à Khong Kaen le 22 août à 17 heures. De leur part, Free Youth annonce une manifestation le 23 août à l’université Kasetsart de Bangkok, qui attirera probablement un grand nombre d’étudiants de toute la ville.

Rassemblement d'étudiants dans un lycée de la province de Yala, mardi [Crédit: @Bricks_Dmocrazy, Twitter]

Plusieurs des dirigeants arrêtés, maintenant libérés sous caution, ont indiqué sur les médias sociaux qu’ils continueront à participer à des rassemblements. Alors que la police cherchait à les arrêter, ils se sont présentés devant le tribunal pénal avec comme garants un certain nombre de députés du parti «Aller de l’avant» (Move Forward) et du Parti d’opposition, Pheu Thai.

Les sénateurs nommés par la junte ont exprimé des soupçons quant au fait que «La jeunesse libre» est un front pour les groupes politiques d'opposition, comme c'est le cas pour les Chemises rouges soutenues par Shinawatra. Ils enquêtent notamment sur le financement des grandes manifestations, qui ont comporté des concerts, un éclairage intensif et des écrans géants à diodes électroluminescentes.

Sur sa page Facebook, «La jeunesse libre» a rejeté ces allégations: «Nos fonds proviennent des masses, qui nous soutiennent uniquement parce que c’est un mouvement de jeunes, par les jeunes et pour les jeunes.»

Thanathorn Juangroongruangkit, leader du défunt «Parti en avant vers l’avenir» (Future Forward Party), a déclaré qu’il n’avait joué aucun rôle dans le financement des protestations, qui ont commencé en février lorsque le parti — qui bénéficiait du soutien des jeunes — s’est fait dissoudre par la Cour constitutionnelle.

Le Commandant en chef de l’armée royale thaïlandaise, Apirat Kongsompong, tente d’inciter à la haine populaire contre les manifestants. La semaine dernière, il a déclaré: «Le coronavirus peut être soigné, mais la maladie de la chung-chart [“haine de la nation”] ne peut pas être soignée». L’utilisation de ce terme par Apirat, que les régimes militaires passés ont utilisé par pour rallier les forces nationalistes d’extrême droite contre l’opposition interne, est remarquable.

Les médias, soumis à une pression intense de la part du gouvernement Prayuth, se sont pour la plupart abstenus de rapporter les demandes des protestataires concernant la monarchie. Le ministre de l’Éducation, Nataphol Teepsuwan, a averti, après le rassemblement de dimanche dernier, qu’une limite existait à ce que les étudiants pouvaient faire.

La répression de cette semaine contre les dirigeants du mouvement exprime la crainte de la classe dirigeante que les manifestations ne s’élargissent et ne se croisent avec un mécontentement généralisé de la population active dans le contexte de la pandémie COVID-19.

L'inégalité sociale en Thaïlande, qui s'est fortement accrue sous le règne de la junte, est appelée à monter en flèche en raison des conséquences de la pandémie et de la probabilité d'une contraction économique majeure cette année. Un rapport du Crédit Suisse publié l'année dernière a désigné le pays comme le plus inégalitaire au monde, l’un pour cent le plus riche de la population détenant 66,9 pour cent des richesses du pays.

(Article paru d’abord en anglais le 22 août 2020)

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