Le sort effroyable des personnes âgées en Belgique face à la Covid-19

Dans un article du 8 août, le New York Times a brossé un tableau glaçant du véritable abandon sanitaire dont ont été victimes les résidents des maisons de repos belges pendant le pic de l’épidémie de Covid-19. Ceci a fait que le taux de mortalité en Belgique, de 853 par million d’habitants, était le plus élevé au monde avant d’être récemment dépassé par celui du Pérou (871 par million).

Alors que les élites dirigeantes européennes proposaient la politique criminelle de laisser le virus se répandre afin d’atteindre «l’immunité collective», ce drame s’est répété pays après pays. Les décès des résidents des maisons de retraites s’élèvent souvent à la moitié ou plus des décès. Bien que les plus âgés soient plus vulnérables au virus, un nombre considérable de décès auraient pu être évités si les mesures sanitaires nécessaires avaient été mises en place avant et pendant la pandémie.

Un des éléments les plus choquants dans l’enquête du Times, c’est que «Les ambulanciers paramédicaux et les hôpitaux ont refusé catégoriquement à plusieurs occasions des soins aux personnes âgées, alors même que des lits d’hôpitaux étaient inutilisés.»

Exemple typique, dans une maison de repos à Bruxelles, où le journal a reconstitué l’évolution de l’épidémie, une résidente a été refusée d’accès à l’hôpital par les soignants qui s’étaient déplacés à la demande insistante de son fils. L’équipe soignante a froidement annoncé au fils que sa mère allait mourir et que c’était comme ça. Elle a été sédatée à la morphine, puis les soignants sont partis. Elle est morte huit heures plus tard, alors que les lits de soins intensifs à l’hôpital n’étaient remplis qu’à 55 pour cent.

Ces cruels refus de prise en charge se sont répétés encore et encore partout en Belgique. Le nombre de personnes âgées décédées dans leur maison de retraite sans être passées par l’hôpital est énorme dans toute l’Europe, ainsi qu’aux États-Unis. Trop souvent, la décision de ne pas les hospitaliser n’était pas justifiée par une surcharge des services de réanimation.

Selon le Times, «Les responsables belges affirment que refuser les soins aux personnes âgées n’a jamais été leur politique. Mais en l’absence de stratégie nationale, les fonctionnaires régionaux se chamaillant pour savoir qui était en charge, les responsables reconnaissent maintenant que certains hôpitaux et intervenants d’urgence se sont appuyés sur de vagues conseils et directives pour faire exactement cela.»

En fait, on retrouve diverses formes de ce comportement d’imprévoyance et d’incompétence malveillante dans tous les pays frappés par l’épidémie.

L’impréparation s’est faite sentir dès le début de l’épidémie avec l’absence des équipement de protection individuelle (EPI: masques, blouses, etc.) pour le personnel. Cela a favorisé la contamination du personnel et des résidents. Comme les résidents malades et le personnel n’étaient le plus souvent pas testés, souvent en application de consignes officielles irresponsables, comme en France, il était impossible de casser les chaînes de contamination.

En Belgique comme en France, cette politique criminelle a été longtemps maintenue pendant l’épidémie, alors même qu’il y avait suffisamment de tests disponibles pour tester beaucoup plus largement.

Les maisons de repos n’étaient pas préparées au choc épidémique. Leur situation n’avait pas été prise en compte par les autorités sanitaires lors des simulations des risques, alors qu’elles accueillent une fraction particulièrement vulnérable de la population. En Belgique comme ailleurs, des rapports avaient signalés de longue date leur vulnérabilité aux maladies infectieuses, sans qu’aucune mesure soit prise en terme de stockage des EPI et de création de plans d’urgence en coordination avec l’hôpital.

Selon le Times, «Seul un tiers environ des maisons de retraite médicalisées européennes disposaient d’équipes de lutte contre les maladies infectieuses avant la pandémie de Covid-19. La plupart n’avaient pas de médecins internes et beaucoup n’avaient aucun arrangement avec des médecins externes pour coordonner les soins.»

Médecins Sans Frontières (MSF) qui intervient dans les pays en développement lors des crises sanitaires, et qui normalement n’intervient en Europe de l’Ouest qu’au profit des populations les plus vulnérables comme les migrants, a été amené à recentrer ses interventions sur les maisons de repos belges pendant l’épidémie.

L’action lancée lors de la troisième semaine de mars a duré trois mois; MSF est intervenu dans 135 maisons de repos. MSF introduit ainsi le rapport qu’elle a remis aux autorités: «Le constat dressé est catastrophique (...) Tout d’abord un chiffre accablant: 64 pour cent des décès dus au Covid-19 en Belgique sont ceux de résidents de maisons de repos. Soit 6200 personnes.» En 2015, 130.000 personnes vivaient en maison de repos en Belgique.

MSF note dans le rapport que près de 4.900 de ces personnes sont «décédées au sein même de ces structures, dans des conditions parfois effroyables». Les autorités ont par leur attitude contraint ces structures à «assumer des fonctions hospitalières tout en n’ayant pas les moyens de le faire.» Le résultat a été terrible, et les maisons de repos se sont transformées en mouroir.

En l’absence d’équipes médicales solides travaillant en partenariat avec les maisons de repos, le fil souvent ténu qui reliait les maisons de repos aux médecins généralistes s’est souvent rompu pendant l’épidémie. Dans les structures même, «Le nombre de personnel soignant et technique, déjà précarisé avant la crise du fait d’un désinvestissement généralisé du secteur» est devenu insuffisant. «[C]es éléments ont eu raison des capacités des maisons de repos à gérer la vague épidémique en leur sein.»

Le refus de prise en charge hospitalière a selon MSF été rencontré par 30 pour cent des maisons de repos que l’association a assisté dans diverses régions.

Selon le Times, «Au cours des premières semaines de la crise, près des deux tiers des décès de résidents des maisons de retraite sont survenus dans les hôpitaux. Mais à mesure que la crise s’aggravait et que les notes de service gériatriques commençaient à circuler, ce nombre a chuté.»

Et pourtant, «les hôpitaux avaient toujours de la place. Même au plus fort de la pandémie, 1.100 des 2.400 lits de soins intensifs du pays étaient disponibles, selon Niel Hens, conseiller gouvernemental et professeur à l’Université d’Anvers.»

Dans les entretiens menés par le Times, les responsables des hôpitaux concernés ont réagi par le déni de toute faute ou erreur ou avec des arguments insultants du style "le personnel des maisons de retraite a cherché des soins hospitaliers pour les patients en phase terminale qui avaient besoin d’être réconfortés à l’approche de la mort, pas traînés à l’hôpital."

Mme De Block, la ministre belge de la Santé a refusé d’être interviewée et n’a pas répondu aux questions écrites du Times.

Les équipes de MSF ont été frappées par les signes de trauma psychologique fréquemment rencontrés chez le personnel; elles ont souvent donné la priorité au soutien psychologique au démarrage des interventions dans les maisons de repos. Habituellement MSF ne rencontre un tel niveau de stress qu’en zone de désastre et de guerre.

L’impréparation et le manque de moyens dans la crise des maisons de repos révèle le caractère ouvertement malfaisant de la politique officielle envers les travailleurs et les retraités. La classe dirigeante soumet depuis des décennies les systèmes de santé à une tentative d’asphyxie financière permanente visant notamment les aides aux personnes âgées, dont la force de travail ne peut plus être exploitée par les capitalistes. Elle procède à présent avec un mépris froidement assumé et à peine masqué pour les vies humaines.

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