Les syndicats discutent avec les libéraux de la manière de relancer le capitalisme canadien

Le gouvernement libéral de Justin Trudeau affirme qu'il présentera un programme «ambitieux» pour relancer l'économie, créer des emplois, soutenir une «transition verte» et s'attaquer aux inégalités sociales lors de la réouverture du Parlement le 23 septembre.

Il s'agit d'une fraude. Quelles que soient les paroles et les prétentions, le véritable programme du gouvernement est d'imposer un retour au travail dangereux en pleine pandémie de COVID-19, accroître la rentabilité et la «compétitivité» des sociétés et faire progresser les intérêts prédateurs de l'impérialisme canadien dans le monde entier par le réarmement et le partenariat militaro-stratégique entre le Canada et les États-Unis.

Les syndicats jouent un rôle essentiel en aidant les libéraux à promouvoir leur faux discours «progressiste» et à élaborer leurs politiques de guerre des classes. Le président du Congrès du travail du Canada (CTC), Hassan Yussuff, et le président d’Unifor, Jerry Dias, ont rencontré la semaine dernière respectivement Trudeau et la ministre des Finances, Chrystia Freeland.

Yussuff a donné suite à sa rencontre avec le premier ministre en exigeant publiquement que les alliés syndicaux du Nouveau Parti démocratique (NPD) continuent de veiller à ce que le gouvernement libéral minoritaire dispose des voix nécessaires pour rester au pouvoir.

Tout cela est conforme au rôle criminel que les syndicats ont joué tout au long de la pandémie: de leur soutien au renflouement massif des marchés financiers et à la prochaine réduction de 20 % de l'aide financière pour ceux qui ont perdu leur emploi, à leur insistance pour que les éducateurs, les emballeurs de viande et les autres travailleurs contraints de travailler dans des conditions dangereuses durant la pandémie ne recourent pas à des moyens de pression «illégaux» pour protéger leur santé et leur vie.

Selon un communiqué de presse du CTC, lors de leur réunion, Yussuff a exhorté Trudeau à soutenir l'investissement dans l’«infrastructure verte», à élargir l'admissibilité à l'assurance-emploi, à offrir des programmes de formation professionnelle et à augmenter le financement des services de garde pour enfants.

La principale préoccupation du président d'Unifor, Jerry Dias, lors de sa rencontre avec Freeland, était d'obtenir des subventions gouvernementales et des allégements fiscaux pour les constructeurs automobiles qui, avant la pandémie, faisaient des profits faramineux. «La ministre de l'Infrastructure Catherine McKenna et d'autres parlent d’avoir des milliards de dollars pour une «transformation verte», a déclaré Dias. Si on l’a, et qu’on veut le faire, il n'y a pas de plus grande industrie pour commencer que l'industrie automobile».

Dias et Yussuff affirment que leurs consultations avec les ministres du gouvernement visent à défendre les intérêts des «travailleurs». C'est une imposture. Comme leurs propres remarques l'indiquent clairement, ils veulent s'assurer que les sociétés canadiennes obtiennent suffisamment de fonds publics pour rester «compétitives» sur le marché mondial et puissent continuer à attirer les investisseurs en offrant de généreuses rémunérations à leurs actionnaires super-riches. Dias a exprimé cela avec son franc-parler caractéristique sur la question de l'industrie automobile, en faisant remarquer que le Canada a vu sa part mondiale de production automobile diminuer rapidement depuis 1999. Soulignant que l'investissement dans une «transition verte» pourrait renverser la situation, il a ajouté: «En fin de compte, le gouvernement va devoir prendre les choses au sérieux. Nous envisageons une transformation de l'industrie».

C'est la suite logique du partenariat corporatiste des syndicats avec les grandes entreprises et de leur alliance avec le Parti libéral, le parti de gouvernement traditionnel de la bourgeoisie canadienne. Au début de l'année, le CTC et Unifor ont joué un rôle déterminant dans la création de la Prestation canadienne d'urgence (PCU), qui a permis aux travailleurs licenciés de recevoir une maigre ration de seulement 2000 dollars par mois. Pendant ce temps, soutenu par les syndicats et les néo-démocrates, le gouvernement libéral, de concert avec la Banque du Canada et d'autres organismes d'État, a versé sans condition plus de 650 milliards de dollars aux grandes banques et à l'oligarchie financière.

Exprimant clairement qu'il souhaite que cette alliance se poursuive, Yussuff a souligné dans une interview à la CBC que le NPD a l'«obligation» de continuer à travailler avec le gouvernement libéral minoritaire. C'est pousser dans une porte ouverte. Le NPD a plaidé pour une coalition ou une autre forme d'alliance formelle avec le gouvernement libéral de Trudeau avant et après les élections d'octobre 2019, et a fourni à plusieurs reprises les voix nécessaires pour soutenir le gouvernement libéral minoritaire pendant la pandémie. Dans la même émission de radio de la CBC où Yussuff a exhorté le NPD à maintenir les libéraux au pouvoir, la directrice nationale du NPD, Anne McGrath, a déclaré que les libéraux trouveraient dans le NPD un «partenaire disposé à collaborer».

Bien sûr, Dias et Yussuff évitent de mentionner le fait que la «transformation verte» de l'industrie qu'ils encouragent avec tant d'enthousiasme se fera inévitablement, sous le capitalisme, aux dépens de la classe ouvrière. L'industrie automobile en fournit un exemple frappant, puisque l'assemblage des véhicules électriques implique beaucoup moins de composants moins complexes que les véhicules traditionnels. L'octroi de milliards de fonds publics aux grands constructeurs automobiles leur permettra donc d'accélérer les plans qui ont été longtemps élaborés en vue de la destruction de dizaines de milliers d'emplois dans l'industrie de l'assemblage et des pièces détachées, et de les remplacer par des travailleurs engagés à bas salaire, à temps partiel et précaires.

L'émergence de Dias et Yussuff en tant que simples consultants pour les grandes entreprises est le résultat du corporatisme réactionnaire procapitaliste des syndicats et du nationalisme canadien. Ce phénomène n'est pas limité au Canada. En Allemagne, le syndicat IG Metall, qui est le plus grand syndicat au monde par le nombre de ses membres, supervise une «transformation» similaire de l'industrie automobile, qui, de son propre aveu, devrait coûter 300.000 emplois. Dans l'entreprise sidérurgique ThyssenKrupp, les conseillers d'IG Metall intimident personnellement les travailleurs plus âgés et mieux payés à prendre une retraite anticipée afin de contribuer aux plans de réduction des coûts de l'entreprise. Dans l'industrie aérienne, les syndicats du personnel de cabine et des pilotes de la Lufthansa, la plus grande compagnie aérienne allemande, ont organisé des manifestations pour soutenir un investissement du gouvernement dans la compagnie qui était lié à la destruction de 20.000 emplois et à la réduction des salaires et des avantages des pilotes.

Dans un contexte d'aggravation de la crise capitaliste mondiale, qui intensifie la compétition entre les grandes puissances pour l'accès aux marchés, aux matières premières et aux sphères d'influence, exacerbe les antagonismes interimpérialistes et accroît la menace de guerre, les syndicats de tous les pays sont déterminés à prouver leur loyauté à l'État bourgeois. Dans la pratique, cela signifie collaborer à l'application d'une exploitation accrue de la classe ouvrière au pays et soutenir la poursuite des intérêts économiques et géostratégiques impérialistes à l'étranger.

Unifor et le CTC ont clairement indiqué leur volonté de suivre cette voie dans une série de déclarations et de documents communs préparés avec le gouvernement et les organisations d'entreprises au cours des mois d'avril et de mai. Dans une de ces déclarations, signée par Yussuff et le président de la Chambre de commerce canadienne Perrin Beatty le 11 mai, le CTC et le lobby corporatif ont avancé l'argument corporatiste selon lequel la pandémie «a rendu les [Canadiens] plus dépendants que jamais les uns des autres pour ce qui est de leur bien-être». Ils ont ensuite appelé à la mise en place d'un «groupe de travail économique national» et ont poursuivi: «Nous entamerons la relance avec de nouvelles dettes publiques et privées considérables. Le renversement de décennies de mondialisation économique et de chaînes d’approvisionnement internationales créera des défis pour un pays commerçant comme le nôtre. Nous devrons remanier nos politiques sur l’infrastructure des soins de santé et les réserves stratégiques de fournitures cruciales et voir à ce que le Canada produise de l’équipement médical crucial. Le Canada doit avoir une procédure permettant de discuter de ces changements fondamentaux et de s’assurer que les intervenants ne partent pas dans des directions différentes.».

Respectant leur promesse d'empêcher que les «intervenants ne partent pas dans des directions différentes», les syndicats ont saboté toute opposition des travailleurs à la campagne de retour au travail dangereuse de l'élite dirigeante. Cela se manifeste de la manière la plus évidente par l'étouffement de toute opposition à la dangereuse réouverture des écoles, qui se poursuit malgré la recrudescence des nouvelles infections à la COVID-19.

Un élément vital dans l'effort des syndicats pour bloquer l'éruption des luttes de masse de la classe ouvrière est leur affirmation frauduleuse selon laquelle les libéraux représentent une alternative «progressiste» aux conservateurs pro-austérité.

Certes, les conservateurs et leur nouveau chef Erin O'Toole, qui s'expriment au nom des sections les plus rapaces de la grande entreprise, ont dénoncé la maigre aide que les libéraux ont apportée aux chômeurs dans le cadre de la PCU comme étant «trop généreuse» et «dissuasive pour le travail» et exigent un calendrier pour un budget équilibré. Mais les divergences entre libéraux et conservateurs sur la politique économique sont purement tactiques. Elles portent sur la meilleure façon d’accroître la fortune des grandes entreprises, tout en empêchant l'émergence d'une opposition de masse de la classe ouvrière et de certains conflits sectoriels au sein de l'élite au pouvoir concernant la politique énergétique. Il s'agit notamment de savoir s'il faut donner la priorité aux intérêts des grandes sociétés pétrolières ou au développement d'une présence canadienne importante dans les industries vertes lucratives de l'avenir.

En ce qui concerne la politique étrangère, les deux partis se sont engagés à dépenser des dizaines de milliards de dollars pour l'achat de nouvelles flottes de navires de guerre et d'avions de chasse et sont aux côtés de Washington dans ses offensives militaires et stratégiques téméraires contre la Russie et la Chine.

Les grandes entreprises ont fortement soutenu la gestion par les libéraux de la première phase de la pandémie, c'est-à-dire leur capacité à garder le contrôle de la lutte des classes, en s'assurant du soutien des syndicats, tout en renflouant les marchés financiers et en présidant à des pertes d'emplois qui, en pourcentage, étaient encore plus importantes que celles de la Grande Dépression. Aujourd'hui, les différentes factions de l'élite corporative font pression sur le gouvernement pour qu'il s'assure que ses mesures de relance économique sont les mieux adaptées à leurs intérêts respectifs, tout en renforçant la position concurrentielle et stratégique globale du capitalisme canadien.

Comme l'a récemment déclaré Goldy Haider, directeur général du Conseil canadien des affaires, «Le choix n'est pas la dépense ou l'austérité. La question est de savoir combien il faut dépenser. Y a-t-il des limites?»

L'expérience passée a montré que si des limites strictes sont toujours imposées aux dépenses en matière de santé, d'éducation et de services sociaux, quel que soit le parti au pouvoir et quels que soient les besoins sociaux criants, il n'existe aucune restriction quant au montant des fonds publics qui peut être versé à l'élite corporative et à l'armée. En plus des 650 milliards de dollars transférés aux grandes entreprises et à l'oligarchie financière plus tôt cette année, le gouvernement Trudeau a continué à mettre en œuvre son plan visant à augmenter les dépenses militaires de plus de 70 % d'ici 2026 afin de moderniser les forces armées en vue de les préparer à faire la guerre pour défendre les intérêts impérialistes canadiens dans le monde entier.

Pendant ce temps, les services sociaux essentiels sont privés de financement. Un récent rapport du Bureau parlementaire du budget examinant les transferts fédéraux aux provinces au cours de la dernière décennie a révélé que les gouvernements conservateur de Harper et libéral de Trudeau ont ensemble réduit de 14,5 milliards de dollars les paiements de péréquation que les provinces utilisent pour financer les services publics. Ce chiffre s'ajoute aux réductions des transferts en matière de santé imposées par le gouvernement Trudeau, qui a suivi les conservateurs de Harper en imposant une augmentation annuelle inférieure à l'inflation de seulement 3 % sur ces paiements.

Le responsable du budget, Yves Giroux, qui a lui-même affirmé que le gouvernement fédéral doit rapidement s'efforcer de réduire les dépenses de l’État, a récemment observé qu'en raison de la crise économique, les paiements de péréquation fédéraux diminueront encore davantage à la suite de la pandémie, puisqu'ils sont liés à une moyenne de trois ans de croissance du PIB (produit intérieur brut). Cela signifiera invariablement de nouvelles réductions des services publics déjà délabrés du pays.

(Article paru en anglais le 12 septembre 2020)

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