Canada: Le premier ministre Trudeau offre une couverture politique à la campagne criminelle de retour au travail

Le discours du Trône du 23 septembre du gouvernement libéral et le «discours à la nation» prononcé ce soir-là par le premier ministre canadien Justin Trudeau visaient avant tout à fournir une couverture politique à la campagne téméraire de l'élite capitaliste au pouvoir pour le retour au travail et à l'école.

Derrière les promesses cyniques de «justice sociale» et de «reconstruire en mieux», le gouvernement Trudeau a clairement indiqué que, quel que soit le nombre de personnes infectées ou mourant de la COVID-19, sa principale préoccupation est de s'assurer que rien n'entrave la capacité des entreprises canadiennes à faire des profits.

Dans son discours de 15 minutes, Trudeau a reconnu que le Canada se trouve maintenant dans une «deuxième vague» de la pandémie, avec une moyenne de plus de 1000 nouvelles infections par jour depuis une semaine et demie. «Nous sommes au bord d'un automne qui pourrait être bien pire que le printemps», a ajouté Trudeau, indiquant que la classe dirigeante s'attend à ce que le nombre actuel de décès, 9250, augmente de façon spectaculaire.

La réalité est que les grandes entreprises et l'establishment politique considèrent que des milliers de morts supplémentaires sont le prix à payer pour «relancer l'économie» et garantir que le capitalisme canadien reste «compétitif».

Le discours du Trône a explicitement déclaré que toute fermeture visant à freiner la propagation du virus serait «à court terme» et limitée au niveau «local». Dans ce qui constituait une menace implicite pour les autorités sanitaires de ne pas faire preuve d'un «zèle excessif» dans la lutte contre la pandémie, le gouvernement a déclaré qu'«en tant que membres des communautés qu'ils protègent», les responsables sanitaires locaux «connaissent l'impact économique dévastateur qu'un ordre de fermeture peut avoir.» Soulignant que le gouvernement est déterminé à limiter les mesures de confinement aux seules entreprises ou institutions où une éclosion de COVID-19 serait avérée, le discours s'est engagé à «cibler un soutien financier supplémentaire directe pour les entreprises qui doivent temporairement fermer.»

Le fait que la politique consistant à laisser le virus se répandre soit approuvée par tous les niveaux de gouvernement a été illustré par un reportage de la CBC publié le même jour sur le «Fall Pandemic Preparedness Plan (Plan de préparation à la pandémie pour l’automne)» élaboré par le gouvernement conservateur d'extrême droite de l'Ontario. Ce plan, qui a fait l'objet d'une fuite à la CBC, examinait trois scénarios possibles pour la deuxième vague de la pandémie: petite, moyenne ou grande. Mais dans les trois cas, il stipulait que toute réponse de santé publique devait se limiter à une «action ciblée» au niveau local: «Le retour à un stade antérieur de réouverture des provinces, ou même des approches régionales de resserrement serait évité au profit d'un changement spécifique aux organisations ou localisé.» (C'est nous qui ajoutons l’emphase)

En d'autres termes, même si la pandémie s'étend à toute la province, infectant des dizaines de milliers de personnes, aucune mesure sérieuse ne sera prise pour protéger les travailleurs et leurs familles contre cette maladie mortelle, afin de garantir que le processus d'extraction de profits du travail de la classe ouvrière puisse se poursuivre sans entrave.

Bien conscient qu'une annonce franche de cette politique d'«immunité collective» déclencherait une opposition de masse, le gouvernement Trudeau a cherché à la dissimuler derrière sa rhétorique «progressiste» habituelle. Le gouvernement, a déclaré le discours du Trône, allait assurer une «réponse féministe et intersectionnelle à cette pandémie et à la reprise», et même envisager de taxer «l'extrême inégalité des richesses.»

De qui Trudeau et ses rédacteurs de discours pensent-ils se moquer? Le gouvernement libéral a prétendu mener une «politique étrangère féministe» au cours des trois dernières années, pendant lesquelles il a initié une augmentation de plus de 70% des dépenses militaires, a veillé à ce que davantage de femmes soient recrutées dans l'armée pour faire la guerre au nom de l'impérialisme canadien et a renforcé la participation du Canada à l'agression militaire menée par les États-Unis dans le monde entier.

Quant à l'inégalité des richesses, les libéraux, soutenus par leurs alliés syndicaux et du Nouveau Parti démocratique, ont organisé un transfert sans précédent de fonds publics dans les mains des grandes entreprises et des banques au début de la pandémie. En mars, le gouvernement Trudeau, la Banque du Canada et divers autres organismes d'État ont consacré plus de 650 milliards de dollars au renflouement de l'oligarchie financière, tandis que les travailleurs licenciés recevaient des rations de seulement 2000 dollars par mois dans le cadre de la Prestation canadienne d'urgence (PCU). Les syndicats, dirigés par le Congrès du travail du Canada, ont aidé la classe dirigeante à perpétrer ce vol public massif, à la fois en clamant que la maigre aide sociale du gouvernement était un acte de générosité et en gardant le silence sur les vastes fonds versés pour renflouer les riches et les super-riches.

Grâce à cette manne financière, les 20 milliardaires les plus riches du Canada ont vu leur fortune combinée augmenter de 37 milliards de dollars depuis le début de la pandémie.

Les libéraux prévoient maintenant de faire passer les quelque 2,8 millions de travailleurs qui reçoivent encore la PCU à l'assurance-emploi et à plusieurs nouveaux programmes d'aide improvisés et limités dans le temps. Cette mesure, dont les syndicats ont fait l'éloge, soumettra les travailleurs à une pression accrue de la part de l'État pour qu'ils «cherchent activement» et retournent au travail, même si la pandémie revient en force.

Plusieurs initiatives libérales, saluées par les syndicats et une myriade d'ONG de la classe moyenne comme des «victoires progressistes», visent en réalité, comme le montre un examen plus approfondi, à renforcer la position «concurrentielle» du capitalisme canadien. Par exemple, le discours du Trône a recyclé une promesse libérale de longue date d'établir un programme national de garderie. Mais cela a été présenté non pas comme une mesure essentielle pour atténuer la crise sociale à laquelle sont confrontées les familles et offrir aux enfants des soins améliorés en petits groupes avec des experts pédagogiques hautement qualifiés et bien rémunérés, mais comme une mesure nécessaire pour améliorer «la participation des femmes au marché du travail.» En d'autres termes, les femmes de la classe ouvrière seront encouragées à placer leurs enfants dans des garderies privées subventionnées par l'État, surpeuplées et mal financées, afin qu'elles puissent travailler pour une somme dérisoire en essayant de joindre les deux bouts.

Même dans le secteur des soins de longue durée, où des décennies d'austérité et de privatisation ont eu des conséquences si dévastatrices au stade initial de la pandémie, entraînant la mort de milliers de résidents, le gouvernement n'a proposé aucun changement fondamental. Aucun financement supplémentaire n'a été annoncé pour les établissements de soins de longue durée publics chroniquement sous-financés ni aucune limite aux activités des entreprises privées à but lucratif. Tout ce que le gouvernement s'engagerait à faire, c'est de rédiger de nouvelles «normes nationales» pour les soins de longue durée, en collaboration avec les provinces. La seule autre mesure promise dans le discours était une loi prévoyant la poursuite pénale de ceux qui «négligent les personnes âgées dont ils ont la charge.» Il va sans dire que cette mesure ne sera pas appliquée rétroactivement aux politiciens et aux patrons d'entreprises qui ont réduit le financement des soins de santé à long terme et qui ont profité du logement des personnes âgées dans des résidences ressemblant à des casernes.

En plus de souligner l'engagement du gouvernement à poursuivre la «réouverture» de l'économie, le discours du Trône comprenait une série d'engagements politiques et de mesures adaptées aux exigences des grandes entreprises.

Il s'agit notamment de promouvoir le «libre-échange» interne en faisant pression pour la suppression des obstacles réglementaires provinciaux à la libre circulation des biens et des services. Il s'agit d'une demande de longue date des sections les plus puissantes du capital canadien, qui considèrent ces barrières comme des obstacles à la création d'entreprises canadiennes «mondialement compétitives» et à l'attraction d'un plus grand nombre d'investissements étrangers.

Le gouvernement a également annoncé la prolongation jusqu'à l'été prochain de son programme de subventions salariales conçu par les entreprises, qui finance les salaires des travailleurs jusqu'à un maximum de 873 dollars par semaine.

Le discours a souligné que le gouvernement «préserverait l'avantage fiscal du Canada» – c'est-à-dire des niveaux d'endettement inférieurs à ceux de ses rivaux du G-7 – et resterait engagé à la «durabilité et la prudence» fiscales. La poursuite de ces principes d'«austérité» par les gouvernements fédéral et provinciaux, qu'ils soient libéraux, conservateurs, néo-démocrates ou du Parti québécois, a dévasté les services publics. En effet, parmi les 37 États membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques, le Canada a l'un des taux de dépenses sociales les plus bas en pourcentage du PIB. Les 17,3% du PIB alloué par les gouvernements du Canada aux dépenses sociales sont inférieurs à ceux des États-Unis, de la Hongrie, de la Pologne et de la Slovénie.

Nombre des initiatives de «relance économique» promises dans le discours du Trône étaient liées aux plans du gouvernement, au nom de la lutte contre le changement climatique, visant à faire du Canada un leader du capitalisme vert. Le discours engage le gouvernement à créer un million d'emplois au cours de l'année prochaine en construisant des infrastructures publiques, en subventionnant la rénovation des maisons et des entreprises à haut rendement énergétique et en promouvant les entreprises vertes. «Les consommateurs et les investisseurs mondiaux exigent et récompensent l'action en faveur du climat», a noté le discours, et le Canada ne peut pas se permettre de laisser passer cette «opportunité de marché mondial.» À cette fin, le gouvernement va créer un nouveau fonds pour attirer les investissements dans la production de produits à «zéro» émission de carbone, réduire de moitié le taux d'imposition des sociétés pour les entreprises de «technologies propres» et «faire en sorte que le Canada soit la juridiction la plus compétitive au monde pour les entreprises de technologies propres.»

Les syndicats jouent un rôle central dans l'élaboration de cette stratégie de promotion du capitalisme vert. Ils ont été étroitement impliqués dans les consultations avec le gouvernement qui ont précédé le discours. Dans une série de réunions corporatistes avec les principaux représentants des grandes entreprises et du gouvernement depuis avril, les dirigeants syndicaux comme le président du Congrès du travail du Canada (CLC) Hassan Yussuff et Jerry Dias d'Unifor ont plaidé pour des «stratégies nationales» sur tout, de la construction automobile à la production de batteries.

En même temps, ces réunions ont servi à orchestrer la campagne de retour au travail, qui a directement conduit à la forte augmentation actuelle des infections de COVID-19. Ces dernières semaines, les syndicats ont systématiquement réprimé l'opposition de la classe ouvrière à la campagne de réouverture des écoles, que le gouvernement Trudeau et l'élite au pouvoir dans son ensemble considèrent comme essentielle, car elle «libère» les parents d'enfants d'âge scolaire pour qu'ils puissent retourner au travail.

Comme on pouvait s'y attendre, les syndicats ont célébré le discours du Trône. «Le gouvernement montre clairement qu'il est à l'écoute des préoccupations des travailleurs et de leurs familles en reconnaissant que les investissements sont le seul moyen de nous sortir de cette pandémie», a déclaré Yussuff du CTC. «Il est temps de retrousser nos manches. Nous allons devoir continuer à travailler en étroite collaboration avec le gouvernement pour nous assurer que les détails de ces programmes et de ces initiatives soient corrects.»

Au début du mois, Yussuff a déclaré publiquement que le NPD avait l'«obligation» de continuer à soutenir le gouvernement libéral, minoritaire au Parlement.

Le chef du NPD, Jagmeet Singh, qui a publiquement appelé les libéraux à accepter le NPD comme partenaire de second rang dans un gouvernement de coalition avant et après les élections fédérales d'octobre dernier, a signalé jeudi qu'un accord en coulisses visant à obtenir le soutien du NPD pour le discours du Trône avait pratiquement été conclu.

Pour leur part, les conservateurs et le Bloc Québécois n'ont pas tardé à annoncer que leur réponse au gouvernement serait un «vote de censure». Les premiers ont attaqué le gouvernement pour ne pas avoir annoncé un plan de réduction du déficit budgétaire du Canada dans les prochaines années et pour avoir ignoré la crise à laquelle est confrontée l'industrie pétrolière albertaine. Le BQ a accusé les libéraux de s'immiscer dans les affaires provinciales et les a dénoncés pour avoir rejeté la demande du gouvernement québécois de la CAQ pour une augmentation des transferts fédéraux en matière de santé.

(Article paru en anglais le 26 septembre 2020)

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