Inde : le gouvernement Modi fait passer en force une demi-douzaine de lois anti-ouvrières et anti-agriculteurs

Flouting longstanding parliamentary norms and procedures, the Narendra Modi-led Bharatiya Janata Party (BJP) government rammed a half-dozen blatantly pro-corporate farmer and labour “reform” laws through an abbreviated “Monsoon session” of India’s parliament last month.

Bafouant normes et procédures parlementaires de longue date, le gouvernement du parti Bharatiya Janata (BJP) dirigé par Narendra Modi a fait passer une demi-douzaine de lois de «réforme» du travail et de l’agriculture, ouvertement favorables au patronat. Elles furent votées lors d’une «session de mousson» abrégée du Parlement indien, le mois dernier.

Les travailleurs crient des slogans lors d’une grève générale à Ahmadabad, en Inde, le mercredi 8 janvier 2020 [Crédit: AP Photo/Ajit Solanki

Trois des lois de «réforme» visent à ouvrir le vaste secteur agricole de l’Inde aux sociétés transnationales rapaces de l’agro-business et à leurs concurrents nationaux potentiels.

Les trois autres lois représentent une attaque frontale de l’emploi, des conditions de travail et des droits de la petite fraction des travailleurs employés dans le secteur dit «formel» ; ceux qui travaillent dans les grandes entreprises industrielles et commerciales.

La nouvelle législation autorisera le recours à la main-d’œuvre contractuelle dans pratiquement toutes les industries, tant publiques que privées, et dans les activités de production «essentielles» où elles étaient auparavant interdites.

Plus grave encore, la nouvelle «réforme» du Code du travail érige d’énormes barrières juridiques empêchant les travailleurs de s’organiser en syndicats ou de faire grève. Le «Mint business newspaper» fait remarquer: «Plusieurs clauses surprenantes du Code créent effectivement un régime juridique où les grèves sont impossibles et où les travailleurs ne seront plus libres d’organiser ou même de participer à des grèves pacifiques. Ils seront pénalisés s’ils le font et les amendes imposées serviront à financer la sécurité sociale».

Selon diverses agences gouvernementales, au moins 90 pour cent des quelque 450 millions de travailleurs indiens sont employés dans le secteur dit « informel». L’écrasante majorité d’entre eux n’ont aucune protection juridique. La plupart gagnent leur vie comme petits vendeurs «indépendants» ou ouvriers journaliers, effectuant les travaux les plus subalternes.

Sur les 45 millions de travailleurs restants du secteur «formel» ou «organisé», 29 pour cent au plus, soit quelque 13 millions, sont salariés réguliers à temps plein. Ils bénéficient d’avantages garantis tels que congés payés, vacances et certaines prestations retraite.

L’énorme précarité de l’emploi en Inde, même dans le secteur formel, fut confirmée par la dernière enquête périodique du gouvernement sur la population active (Periodic Labour Force Survey – PLFS), de 2017-2018, rendue publique en mai 2019. Elle indique que parmi les travailleurs réguliers/salariés du secteur non agricole: 71,1 pour cent n’ont pas de contrat de travail écrit; 54,2 pour cent n’ont pas droit à des congés payés; et 49,6 pour cent n’ont droit à aucune prestation de sécurité sociale.

Le gouvernement Modi, dans une tentative ouverte de donner une «couverture progressiste» à sa réécriture pro-patronat du Code du travail et d’exploiter le fossé entre les salariés du secteur informel et ceux du secteur formel, a affirmé qu’un objectif central de sa «réforme» était de donner une certaine «sécurité sociale», comme des prestations de retraite, aux travailleurs informels.

C’est là une totale imposture. Une partie des fonds destinés à ces prestations, comme indiqué ci-dessus, doit être volée aux travailleurs participant à des grèves «illégales». De plus, ces plans de «sécurité sociale» sont à ce stade tout à fait théoriques. Un futur «Conseil national de la sécurité sociale» devra décider quelles prestations seront offertes et quel en sera le mode de financement. Les divers régimes d’aide sociale annoncés précédemment par le gouvernement BJP n’offraient qu’une aide très limitée. Le gouvernement BJP les a souvent donnés à gérer à des sociétés financières privées.

Le gouvernement Modi a également affirmé qu’il améliorait la sécurité sur le lieu de travail. Mais les changements ne s’appliquent en l’état qu’aux entreprises qui emploient au moins 250 travailleurs. Ainsi, 90 pour cent des travailleurs indiens sont complètement exclus du champ d’application de cette législation.

Même pour ces «grandes» entreprises, l’indemnisation maximale qu’un employeur serait tenu de verser lorsqu’un travailleur est tué au travail est de 100.000 roupies (1.165 euros). En Inde, au moins 48.000 travailleurs meurent chaque année dans des accidents du travail et des centaines de milliers d’autres sont gravement blessés.

En vertu de la nouvelle législation, les entreprises qui emploient moins de 300 travailleurs, la grande majorité, pourront embaucher et licencier à volonté, voire même fermer complètement. Auparavant, les entreprises employant 100 travailleurs ou plus devaient obligatoirement obtenir l’autorisation du gouvernement avant de licencier des travailleurs permanents.

L’élimination de ces restrictions et le développement de l’emploi de main-d’œuvre contractuelle, est une exigence de longue date du capital national et international.

Le gouvernement a fait grand cas de ce qu’il maintenait l’obligation pour les plus grandes entreprises de demander l’approbation du gouvernement avant de procéder à des suppressions d’emplois ou de fermer une usine ou un autre lieu de travail. Mais en y regardant de plus près, cette restriction s’avère être une simple ruse. La législation stipule que si l’agence gouvernementale compétente ne répond pas dans les 60 jours suivant la demande d’autorisation, cela «équivaut à un accord» [c’est nous qui soulignons]. Autrement dit, l’employeur aura les coudées franches.

Les trois lois de «réforme» agricole ont une portée similaire et imposent également des changements réactionnaires demandés depuis longtemps par l’élite des entreprises.

Ces trois lois – qui étaient déjà passées à la Lok Sabha, la Chambre basse du Parlement où le BJP et ses partenaires de l’Alliance démocratique nationale (NDA) ont une large majorité – ont été approuvées par la Rajya Sabha, la Chambre haute par simple vote oral, une procédure tout à fait anti-démocratique.

Ce résultat a été obtenu après que le vice-président de la Rajya Sabha, un député du BJP, ait expulsé huit membres de l’opposition qui insistaient pour que les projets de loi soient d’abord envoyés devant une commission parlementaire pour examen détaillé.

Le BJP a fait adopter ces lois malgré une opposition massive des agriculteurs dont la grande majorité travaille sur des parcelles petites ou marginales. Les exploitations agricoles en Inde sont très fragmentées, plus de 86 pour cent des agriculteurs possédant moins de 2 hectares.

D’énormes manifestations d’agriculteurs et de leurs partisans ont eu lieu dans les jours qui ont précédé l’adoption de ces lois. Dans les États du Punjab et de l’Haryana, au nord du pays, des centaines de milliers d’agriculteurs en colère ont bloqué le trafic routier et ferroviaire pendant quelques jours, bravant les gaz lacrymogènes et les tabassages de la police indienne, dont la brutalité est notoire.

L’objectif principal des nouvelles lois agricoles est de détruire les marchés agricoles gérés et réglementés par les gouvernements des États indiens depuis des décennies, connus sous le nom de Mandis. Malgré leur corruption et leur inefficacité endémiques, ils ont néanmoins apporté aux agriculteurs un minimum de sécurité en leur offrant un moyen garanti de vendre leurs produits.

A présent, les agriculteurs indiens vont être jetés en pâture au «marché libre», où ils seront nettement désavantagés. Les sociétés géantes, par l’intermédiaire de leurs agents indiens, utiliseront inévitablement leur pouvoir d’achat pour faire baisser les prix de gros aux dépens des agriculteurs — des «économies» qu’elles ne répercuteront pas sur les consommateurs, mais utiliseront bien plutôt pour augmenter leurs profits.

Les grandes entreprises agricoles et du commerce au détail ou d’autres gros acheteurs seront également autorisés à conclure des contrats avec les agriculteurs dans tout le pays pour qu’ils cultivent les denrées agricoles qu’elles exigent, au prix et à la qualité qu’elles exigent.

En faisant passer ces projets de «réforme» au Parlement, le gouvernement Modi s’est présenté comme l’ami des agriculteurs. Il s’est vanté du fait qu’ils pourront désormais contourner les «intermédiaires» sur les marchés réglementés par le gouvernement et vendre directement leurs produits à n’importe quel acheteur.

En réalité, les agriculteurs indiens, à l’exception d’une infime minorité chez les plus grands, seront obligés de vendre aux intermédiaires des villages, car les grandes entreprises n’achètent pas directement aux petits agriculteurs marginaux et fragmentés.

L’État du Bihar, à l’est du pays, l’a démontré en 2006, sous un gouvernement de coalition allié au BJP qui avait éliminé le système Mandi réglementé. Une étude réalisée par des chercheurs du Centre d’études asiatiques de l’Université de Pennsylvanie en 2014 a révélé que les agriculteurs continuaient à vendre leurs produits aux marchands villageois (appelés communément « banias »), la classe commerciale qui est l’une des principales bases politiques du BJP.

Comme l’a commenté l’un des agriculteurs qui manifestait au service en pendjabi de la BBC: «C’est un arrêt de mort pour les petits agriculteurs marginalisés. Il vise à les détruire en livrant l’agriculture et le marché aux grandes entreprises. Ils veulent nous arracher nos terres. Mais nous ne les laisserons pas faire».

L’objectif déclaré de toutes ces mesures pro-patronat est d’attirer les investissements des transnationales aux dépens de la Chine. Le deuxième objectif est de faire monter l’Inde dans le classement de la Banque mondiale pour la «facilité de faire des affaires». L’Inde se trouve actuellement en 63e place et veut figurer parmi les dix premiers.

L’opposition, le Parti du Congrès, s’est dit adversaire déterminé de ces projets de loi. Mais c’est lui qui a ouvert la porte en 1991 à des «réformes» favorables aux investisseurs et qui, jusqu’à sa chute en 2014, a été le fer de lance de la campagne visant à transformer l’Inde pour le capital mondial en paradis de main-d’œuvre bon marché et en «partenaire stratégique mondial» de l’impérialisme américain.

Le gouvernement de l’Alliance progressiste unie, dirigé par le Parti du Congrès, a imaginé des plans similaires à ceux mis actuellement en œuvre par le BJP pour démanteler les marchés agricoles réglementés et forcer les petits agriculteurs paupérisés à s’affronter aux vicissitudes du «marché libre». Mais finalement, le Congrès n’avait pas mis en œuvre sa politique par crainte d’une opposition de masse.

Les fédérations syndicales ont dénoncé avec la plus grande fermeté les «réformes» du travail et de l’agriculture, accusant le gouvernement de vouloir ramener les droits des travailleurs à ceux de l’époque du Raj britannique. Hier, elles ont annoncé qu’elles organiseraient une grève générale d’une journée dans tout le pays le 26 novembre pour s’opposer à la «réforme du travail» du gouvernement BJP, à ses politiques d’austérité et à sa campagne de privatisation massive.

Il ne fait aucun doute que la classe ouvrière est en colère contre le gouvernement Modi, notamment à cause de sa gestion catastrophique de la pandémie de COVID-19. Mais les syndicats — y compris la CITU et l’AITUC, respectivement affiliés au Parti communiste de l’Inde-marxiste, stalinien (CPM) et au Parti communiste de l’Inde (CPI) — ont pendant des décennies réprimé la lutte des classes et collaboré à la mise en œuvre du programme néo-libéral de l’élite dirigeante. L’une de leurs principales plaintes est que le gouvernement du BJP refuse depuis plusieurs années de convoquer la Conférence nationale indienne du Travail, un organisme corporatiste regroupant syndicats gouvernement et patronat.

(Article paru d’abord en anglais le 3 octobre 2020)

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