Le sommet européen soutient la politique d'immunité collective et les sanctions contre la Biélorussie

Les chefs d’État du Conseil européen de l’Union européenne (UE) se sont réunis à Bruxelles pendant deux jours, jeudi et vendredi, pour discuter de la politique étrangère et économique du bloc.

De gauche à droite, le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, le président lituanien Gitanas Nauseda, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le premier ministre estonien Juri Ratas et le premier ministre letton Krisjanis Karins participent à une conférence de presse au siège de l'UE à Bruxelles, le vendredi 2 octobre 2020. (Aris Oikonomou, Pool via AP)

La réunion s’est déroulée dans un contexte de crise politique internationale sans précédent. Après la fin prématurée des politiques de confinement au printemps, la pandémie de COVID-19 infecte à nouveau des centaines de milliers de gens chaque semaine en Europe. Aux États-Unis, le président Donald Trump s’est engagé à ne pas tenir compte des élections présidentielles de novembre et à tenter de rester au pouvoir par un coup d’État post-électoral. Les élections d’août en Biélorussie restent controversées et la guerre a éclaté cette semaine dans le Caucase entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ; une escalade militaire menace dans cette région explosive.

Le sommet a confirmé que l’UE n’est pas une alternative à la désintégration de la démocratie américaine. Tout en gardant un silence assourdissant sur la crise électorale américaine, les chefs d’État européens ont signalé qu’ils poursuivraient leur politique d’immunité collective meurtrière et ont avancé une politique étrangère agressive visant la Turquie, la Russie et la Chine.

Un communiqué sur les discussions de la première journée, publié vendredi à minuit, met l’accent sur la politique étrangère et sur «une relation de coopération et d’intérêt mutuel avec la Turquie». Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a tant soutenu l’offensive azérie visant à prendre la région du Haut-Karabakh à l’Arménie que fait pression de façon agressive sur la Grèce pour qu’elle cède à ses revendications sur les champs de pétrole et de gaz en Méditerranée orientale. Si la Grèce et la Turquie ont déjà failli entrer en guerre cet été, la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan présente elle aussi le danger d’un affrontement entre leurs principaux bailleurs de fonds régionaux respectifs Russie et Turquie.

L'UE a déclaré sa « pleine solidarité avec la Grèce et Chypre » dans le conflit en Méditerranée ; elle s’est «félicité » des récentes tentatives de négocier une délimitation des revendications maritimes grecques et turques. Elle a opté pour une approche « carotte et bâton ». L'UE a annoncé qu'elle « lancerait un programme politique positif UE-Turquie, mettant spécifiquement l'accent sur la modernisation de l'union douanière et la facilitation des échanges, les contacts interpersonnels, les dialogues de haut niveau et la coopération continue sur les questions de migration », conformément à la politique anti-immigration de l'UE.

Ce «programme» réactionnaire, qui consiste à offrir aux entreprises turques un meilleur accès aux marchés de l’UE tout en ordonnant à Ankara d’empêcher les réfugiés du Moyen-Orient de se rendre en Europe, dépend toutefois du respect par la Turquie de la politique de l’UE en Méditerranée orientale et au Caucase. L’UE a exigé en échange des «négociations substantielles» entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, et l’abandon par la Turquie des «actions unilatérales» en Méditerranée. La Turquie a ouvert des pourparlers avec la Grèce sur cette question et avec la Russie dans une tentative apparente de négocier un accord de paix dans le Caucase.

En échange de sa menace de sanctions à l’encontre de la Turquie, l’UE a obtenu de Chypre qu’elle renonce à ses objections à l’imposition de sanctions à la Biélorussie. L’UE a soutenu les politiciens de l’opposition ayant affirmé que le président Alexandre Loukachenko avait volé les élections et elle a imposé des sanctions à 40 responsables du régime biélorusse. Elle n’a cependant pas imposé de sanctions à Loukachenko car elle essaie de garder ses options ouvertes pour des opérations politiques à l’intérieur de l’ancienne Union soviétique.

Dans la question douteuse et encore non résolue de l’ostensible empoisonnement de l’homme politique russe d’opposition Alexei Navalny, l’UE a qualifié le fait de «grave violation du droit international». Elle a demandé aux autorités russes de garantir «une enquête internationale impartiale et de traduire les responsables en justice».

Tout en décrétant des sanctions contre le régime de Loukachenko pour avoir prétendument volé les élections, l’UE n’a rien dit des menaces de Trump de voler l’élection aux États-Unis. Il est remarquable que son communiqué ne mentionne ni les États-Unis, ni l’OTAN, l’alliance militaire des grandes puissances de l’UE avec ceux-ci. Cela reflète de façon plus ou moins évidente les tensions croissantes entre les États-Unis et l’UE, la crainte des classes dirigeantes qu’une cassure politique à Washington ne déclenche de nouvelles guerres à l’international, et la crainte non exprimée d’une réaction explosive des travailleurs, tant en Amérique qu’en Europe, face au coup d’État préparé par Trump.

Washington renforce son dispositif militaire dans le Pacifique et impose des tarifs douaniers pour freiner l’essor économique de la Chine. Mais l’UE a elle aussi exigé des accords d’investissement pour garantir son accès aux profits en Chine et a critiqué la «situation des droits de l’homme» en Chine. La différence de ton avec la politique américaine à l’égard de la Chine était toutefois indéniable. L’UE a demandé à la Chine «d’assumer une plus grande responsabilité dans la gestion des défis mondiaux» et des «efforts cohérents» pour intensifier les relations diplomatiques entre l’UE et la Chine. Elle a prévu une rencontre en mars 2021 avec le président chinois Xi Jinping.

L’UE, comme d’habitude, a formulé ses ambitions militaires et financières dans la rhétorique du «multilatéralisme» et du développement d’une «autonomie stratégique» par rapport à Washington, faisant écho aux remarques du président français Emmanuel Macron aux Nations unies le mois dernier.

«Le monde tel qu'il est aujourd'hui ne peut pas se résumer à la rivalité entre la Chine et les États-Unis», a déclaré Macron, mais «il n’y aura pas de remède miracle à la déstructuration de l’ordre contemporain». Il a ajouté que «toutes les fractures qui préexistaient à la pandémie — le choc hégémonique des puissances, la remise en cause du multilatéralisme ou son instrumentalisation, le piétinement du droit international — n’ont fait que s’accélérer et s’approfondir».

Appelant à plus de coopération et d’autonomie stratégique de l’UE, comme dans l’occupation néocoloniale franco-allemande du Mali, Macron a déclaré: «Le multilatéralisme n’est pas seulement un acte de foi, c’est une nécessité opérationnelle… L’Union européenne, dont beaucoup prédisaient la division et l’impuissance, a fait, à la faveur de la crise, un pas historique d’unité, de souveraineté et de solidarité».

L’UE est cependant un bloc réactionnaire dirigé par les grandes puissances européennes, qui affirme ses intérêts impérialistes à l’étranger et finance ses profits et ses guerres extérieures aux dépens des travailleurs. La classe dirigeante européenne poursuit en particulier, comme les États-Unis, une politique délibérée d’immunité collective face au COVID-19. Suite à la levée prématurée des mesures de confinement imposées au début de l’année, la campagne de réouverture des écoles et des lieux de travail des gouvernements européens a déjà ouvert la voie à une résurgence du virus qui menace la vie de millions de personnes.

En Europe, on comptait vendredi 2.384.762 cas actifs, leur nombre explosant sur tout le continent. Ce jour, la France a fait état de 12.148 cas nouveaux et de 136 décès. La situation est tout aussi catastrophique en Espagne avec 11.325 infections et 113 décès et en Grande-Bretagne (6968 et 66). Les chiffres en Europe de l’Est explosent également avec des records quotidiens d’infections et de décès en Pologne (2.292 et 27), en République tchèque (1.762 et 21), en Roumanie (2.343 et 53), en Ukraine (4.633 et 68) et en Russie (9.412 et 186). En Allemagne, on a signalé 2.832 cas, soit le taux le plus élevé depuis avril.

Le sommet de l’UE a montré une fois de plus que les classes dirigeantes européennes n’entreprendront aucun effort sérieux ou coordonné pour contenir la maladie. Au contraire: dans son communiqué de presse à la fin du sommet, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a indiqué clairement que la campagne meurtrière de retour au travail était un élément clé de la stratégie de l’UE pour se positionner comme puissance industrielle et de politique étrangère et poursuivre ses intérêts impérialistes contre ses rivaux internationaux.

«En ce qui concerne l’industrie», a-t-elle expliqué, «la priorité est d’unir nos forces dans des domaines stratégiques clés et de faire en sorte que notre industrie puisse être compétitive à l’échelle mondiale. Comme vous le savez, nous avons présenté notre nouvelle stratégie industrielle en mars dernier, afin de garantir que l’industrie puisse mener la double transition verte et numérique».

L’Europe devait clairement «améliorer son jeu», a souligné von der Leyen, en définissant une stratégie de guerre commerciale pour surpasser ses concurrents. «Nous travaillons à plein régime sur les propositions législatives concernant les subventions étrangères de pays tiers. Nous savons que ces subventions étrangères des pays tiers peuvent fausser considérablement le fonctionnement de notre marché unique et désavantager les opérateurs sur le marché de l’UE».

Le WSWS a qualifié la pandémie d’«événement déclencheur» qui a accéléré les crises sociales, économiques et géopolitiques déjà bien avancées du capitalisme mondial.

Dans ses remarques, von der Leyen éliminé tout doute quant au fait que l’offensive de l’UE en matière de politique industrielle et étrangère serait accompagnée d’une nouvelle série de mesures d’austérité. Ces dernières ne feront qu’intensifier la dévastation sociale et l’appauvrissement des travailleurs sur tout le continent. «Tout d’abord, nous procédons à un réexamen complet de la manière d’adapter les règles de concurrence de l’UE. Nous devons les adapter à la mondialisation et au monde numérique», a-t-elle insisté.

Ce que cela signifie est clair: les billions d’euros remis aux banques et aux grandes entreprises doivent à nouveau être soustraits à la classe ouvrière.

La pandémie a également intensifié les préparatifs de guerre des puissances impérialistes. Le gouvernement Trump n’a pas seulement accusé la Chine d’être responsable de la pandémie, la classe dirigeante américaine se prépare de plus en plus agressivement à un conflit militaire avec la Russie et avec la Chine. Les puissances européennes dirigées par l’Allemagne et la France exploitent également la crise pour faire avancer leurs plans de grandes puissances – contre la Russie et la Chine, mais aussi contre les États-Unis.

(Article paru d’abord en anglais le 3 octobre 2020)

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