Le gouvernement Trump a averti des riches investisseurs sur le coronavirus tout en minimisant la menace en public

Un mémorandum divulgué par un consultant en fonds spéculatifs au New York Times révèle qu’en février, alors que le président Trump déclarait que le coronavirus ne présentait aucun danger pour le public, des responsables de la Maison-Blanche informaient les riches partisans du gouvernement que la pandémie représentait une menace importante aux dimensions incertaines. Ces informations ont déclenché les décisions de nombreux investisseurs de vendre des actions à découvert et de profiter de la chute du marché boursier qui s’ensuivait.

La publication de ce mémo fait suite à des enquêtes antérieures du ministère américain de la Justice sur des délits d’initiés commis par plusieurs sénateurs américains, dont les républicains Kelly Loeffler (Géorgie) James Inhofe (Oklahoma) Richard Burr (Caroline du Nord) et la démocrate Dianne Feinstein (Californie). Bien que les enquêtes sur Loeffler, Inhofe et Feinstein soient terminées sans qu’aucune accusation n’ait été portée, Burr reste sous enquête après sa démission forcée de son poste de président de la commission sénatoriale du renseignement en mai.

Le président Trump tient une feuille de papier avec les noms de quatre sociétés américaines. Il s’agit de sociétés avec une valeur de plus d’un trillion (mille milliards) de dollars. Il tente d’affirmer la bonne santé de l’économie dans le bureau ovale de la Maison-Blanche à Washington le 11 février 2020. (AP Photo/Manuel Balce Ceneta)

Ces nouvelles révélations n’ont pas encore donné lieu à de nouvelles enquêtes sur d’éventuels délits d’initiés parmi les fonctionnaires de la Maison-Blanche ou ceux avec lesquels ils étaient en contact, tant à la Hoover Institution, un important groupe de réflexion de droite situé à l’université de Stanford en Californie, qu’à Wall Street.

Dans les deux cas, c’est clair que des responsables du gouvernement américain ont averti leurs donateurs, leur permettant de se défaire de millions de dollars en actions avant que les prix ne chutent. Comme c’est le cas depuis le début de la crise, la principale préoccupation de la classe dirigeante américaine n’a pas été de protéger la population d’une contagion mortelle, mais avant tout de protéger sa position de classe privilégiée et ses richesses.

Avant la pandémie, le marché boursier tournait autour de 30.000 sur l’indice Dow Jones des valeurs industrielles. Mais à la mi-février, le Dow Jones a commencé à chuter de près de 10.000 points et cette baisse s’est poursuivie jusqu’en mars, en réponse à la crise internationale croissante déclenchée par la pandémie.

Le compte-rendu du Times explique comment les responsables du gouvernement américain, dont le président Donald Trump et le directeur du Conseil économique national, Larry Kudlow, ont publiquement minimisé la menace émergente de la pandémie. Pendant ce temps, des responsables de l’administration, dont Kudlow et le secrétaire d’État Mike Pompeo tenaient des réunions à huis clos à partir du 24 février avec les membres du conseil d’administration de la Hoover Institution pour les avertir que le virus n’était pas sous contrôle et que ses effets sur les marchés, leur principale préoccupation, étaient incertains.

Dans un tweet posté dans l’après-midi du 24 février, Trump a déclaré que le virus était «sous contrôle» aux États-Unis et que «la bourse commence à être très bonne à mes yeux!» Quelques heures plus tôt, Tomas Philipson, chef par intérim du Conseil des conseillers économiques de la Maison-Blanche, avait déclaré aux membres conservateurs du conseil d’administration de la Hoover Institution qu’ils ne pouvaient pas encore estimer les effets du virus sur le marché boursier et l’économie en général, un contraste frappant avec le tableau rose dépeint par le président.

Le lendemain, le 25 février, Kudlow s’est réjoui publiquement sur CNBC que le virus restait «assez proche de l’étanchéité» aux États-Unis. Quelques heures plus tard, s’exprimant devant le Conseil de surveillance (Board of Overseers) de Hoover, Kudlow a averti que le virus était «sous contrôle aux États-Unis, à ce jour, mais maintenant nous ne savons tout simplement pas», selon le document qui a fait l’objet de la fuite.

Le mémo avait été écrit par William Callanan, membre du Conseil de surveillance, situé à l’université de Stanford, puis transmis au milliardaire David Tepper, fondateur d’Appaloosa Management et propriétaire des Carolina Panthers de la Ligue nationale de football, le 26 février. Tepper a une valeur nette estimée à plus de 12 milliards de dollars.

Avant de fonder Appaloosa Management en 1993, Tepper a gagné des millions chez Goldman Sachs en travaillant au bureau des junk bonds («obligations pourries»). Il a fait des dons à des politiciens républicains et démocrates, notamment au sénateur démocrate de New York, Chuck Schumer, et au président de la Chambre des représentants des États-Unis de l’époque, le républicain John Boehner. En 2016, il a versé un million de dollars aux comités d’action politique qui ont soutenu les candidatures présidentielles de Jeb Bush et de John Kasich.

Le contenu du mémo a rapidement été diffusé au sein d’Appaloosa, puis à deux investisseurs extérieurs non identifiés. En 24 heures, le mémo a été remis à au moins sept investisseurs dans au moins quatre sociétés distinctes de gestion de fonds et de commerce, ce qui a provoqué une chute de près de 300 points du marché boursier par rapport au pic de la semaine précédente.

Le Times a noté que «le message principal du mémo – qu’une épidémie de virus dévastateur aux États-Unis était de plus en plus probable, et que les responsables du gouvernement étaient plus conscients de la menace qu’ils le laissaient paraître – s’est avéré exact».

En décrivant les réunions privées par rapport aux déclarations publiques faites à Tepper, Callanan a noté qu’il était «frappé» par le fait que presque tous les responsables du gouvernement qu’il a entendus ont exprimé des inquiétudes au sujet du virus, «sans aucune sollicitation». Il a également noté que Kudlow a été beaucoup plus franc en privé et a exprimé plus de craintes, déclarant que «nous ne savons tout simplement pas» les effets que le virus pourrait avoir aux États-Unis. Callanan a écrit à Tepper que Kudlow «a révisé sa déclaration sur le fait que le virus était sous contrôle».

Les investisseurs qui se sont entretenus avec le Times sous le couvert de l’anonymat ont confirmé que les informations privilégiées qu’on leur a communiquées ont éclairé leurs décisions d’affaires cette semaine-là et ont incité de nombreuses personnes à «vendre à découvert» des actions, tirant un profit considérable de l’éventuelle chute de la bourse. D’autres ont utilisé ces informations pour s’accaparer de grandes quantités de produits de base tels que le papier toilette, ce qui a conduit à d’éventuelles pénuries.

S’adressant au Times au sujet du mémo, Kudlow a confirmé qu’il avait fait les remarques citées dans le courriel, mais qu’il ne considérait pas ses déclarations publiques comme si différentes. «Il n’y a jamais eu d’intention de ma part de désinformer», a affirmé Kudlow.

Selon le Times, l’un des participants à la réunion de la Maison-Blanche était le Dr Scott W. Atlas, un charlatan de droite qui est devenu le principal défenseur de l’«immunité collective» en tant que politique de lutte contre le coronavirus.

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