L'accord d'Unifor donne le feu vert à Fiat-Chrysler Canada pour supprimer des emplois

Quelques minutes avant l'heure limite de mercredi 23h59, le syndicat Unifor a annoncé qu'il avait conclu une entente de principe pour un nouvel accord de trois ans couvrant 9000 travailleurs de Fiat-Chrysler (FCA) Canada. Présenté lors d'une conférence de presse par le président d'Unifor, Jerry Dias, comme une grande victoire, l'accord est basé sur la réduction continue de la main-d'œuvre et l’enracinement d'un système salarial à plusieurs niveaux qui permettra à FCA de réduire considérablement les coûts de main-d'œuvre.

La pièce maîtresse de l'accord vanté par Dias était l'engagement de la FCA à investir entre 1,35 et 1,5 milliard de dollars pour transformer son usine d'assemblage de Windsor en une installation capable de construire des véhicules hybrides et électriques. Toutefois, cet investissement dépend de l'octroi par les gouvernements fédéral et provincial de l'Ontario de centaines de millions de dollars en subventions au constructeur automobile, et de la complicité d'Unifor dans la réduction, au moins temporaire, de la main-d'œuvre de Windsor de plus de 1000 travailleurs.

Des travailleurs de la FCA à l'usine de Windsor

Lors de la conférence de presse, Dias s'est vanté que sur les 1500 travailleurs qui ont été licenciés suite à la suppression du troisième quart de travail à Windsor en juillet, seuls 425 ont conservé leur droit d'être rappelés dans le cadre du nouvel accord. Sur la base de plans de retraite anticipée et d'autres «incitatifs», la FCA et Unifor se sont associées pour persuader ou intimider les 1050 restants à partir. Dias a ajouté que même ce nombre très réduit de travailleurs ne sera rappelé qu'en 2023, soit dans plus de deux ans et demi.

Durant les pourparlers, Dias a déclaré que deux nouveaux produits étaient nécessaires pour l'usine de Windsor afin de rappeler la troisième équipe. L'accord de principe prévoit que FCA ne s'engage à fournir qu'un seul nouveau produit après 2023. Néanmoins, Dias a fait valoir que la troisième équipe reviendra parce que les nouvelles capacités de production de l'usine lui permettront de construire une gamme de véhicules hybrides et électriques. Ses fanfaronnades sur le retour de la troisième équipe ont été atténuées lorsqu'il a été forcé de concéder, en réponse à la question d'un journaliste, que cela n'aurait lieu qu'en 2024.

Même cette dernière promesse doit être considérée d'un œil critique par les travailleurs de l'automobile. Dias a déclaré que l'accord entre Unifor et FCA suit le modèle de Ford. Cela signifie que divers mécanismes de retraite anticipée et de rachat seront inclus afin de forcer les anciens travailleurs mieux payés à quitter les usines de Windsor et de Brampton, et que le système salarial à plusieurs niveaux sera encore plus enraciné. Cela permettra à FCA d'embaucher des travailleurs de second rang moins bien payés s'ils étendent leurs activités à Windsor en 2024 ou s'ils inondent leurs usines de travailleurs temporaires à temps partiel (TPT) n'ayant pratiquement aucun droit.

Si l'accord suit celui de Ford, il permettra vraisemblablement aussi à la direction de FCA d'instituer l'horaire de travail alterné (AWS), qui est actuellement utilisé aux États-Unis pour faire travailler régulièrement les employés de production pendant 10 heures ou plus par jour et pour obliger les ouvriers qualifiés de l'usine d'assemblage de Sterling Heights de la FCA, au nord de Detroit, à faire des quarts de travail de 12 heures pendant sept jours consécutifs.

Dias a également reconnu que FCA a le droit de réviser son engagement d'investissement sur la base d'une clause de «conditions de marché» dans l'accord. C'est la justification utilisée par General Motors lorsqu'elle est revenue sur ses engagements précédents et a fermé ses usines d'assemblage de camions et de voitures à Oshawa.

Les remarques de Dias sur l'avenir de l'usine de Brampton étaient encore moins rassurantes. Avec quelque 3400 travailleurs actuellement employés dans l'usine de la région de Toronto, qui fonctionne bien en dessous de sa capacité, tout ce que le président d'Unifor a pu offrir, ce sont des promesses d'introduction de trois véhicules dérivés pendant la durée de l'accord. Aucune garantie de production pour la Dodge Challenger, la Dodge Charger et la berline Chrysler 300, les trois modèles qui y sont actuellement construits, n'existe au-delà de 2023.

Un travailleur de l'automobile a écrit en réponse: «Jerry Dias doit sortir... Je pense qu'il est payé en cachette. Vous devriez tous voter non. Rien pour l'usine d'assemblage de Brampton, croyez-moi, ce sera probablement les 3 dernières années pour Brampton.» Un autre a ajouté, en se référant à la perspective de l'AWS, «Comme le contrat Ford, nous allons faire l'AWS. Ce qui veut dire travailler 10 heures par jour pendant 4 jours et le vendredi 8 et peut-être le samedi».

Unifor a également accepté une réduction significative des travailleurs de l'usine de moulage de FCA à Etobicoke, juste à l'extérieur de Brampton. Alors que 500 personnes y étaient employées au début du précédent contrat, ce nombre a été progressivement réduit pour atteindre un peu plus de 100 aujourd'hui. Dias a indiqué que le retour de 80 emplois précédemment transférés à Brampton pourrait permettre à l'usine d'Etobicoke d'employer un peu plus de 200 travailleurs, soit moins de la moitié du nombre de 2016, d'ici 2022.

Lors de la conférence de presse, Dias a parlé comme un consultant ou un partenaire d'entreprise offrant ses services aux grands investisseurs. Il s'est enthousiasmé à l'idée d'élaborer une «stratégie nationale de l'automobile» en partenariat avec le gouvernement libéral de Trudeau et le gouvernement provincial de droite de Doug Ford, sur la base de subventions de l'État aux constructeurs pour garantir des versements lucratifs aux actionnaires, et de la complicité d'Unifor dans la réduction des salaires et des avantages. Il a également préconisé l'élaboration d'une stratégie économique nationale pour les entreprises canadiennes basée sur l'exploitation de leurs ressources naturelles et de la classe ouvrière, le syndicat servant de force de police dans les usines et autres lieux de travail pour faire respecter les bas salaires et bloquer les grèves.

Mais le style de Dias n'est pas simplement une question personnelle. Il exprime plutôt le rôle d'Unifor et de la bureaucratie syndicale dans son ensemble, qui consiste à renforcer la position concurrentielle des activités des constructeurs automobiles canadiens en réduisant les coûts de main-d'œuvre et en augmentant l'exploitation des travailleurs qu'Unifor prétend faussement représenter.

La promotion du nationalisme canadien par Unifor vise à dresser les travailleurs de l'automobile canadiens, américains et mexicains les uns contre les autres dans une course vers le bas en matière de salaires et de conditions de travail. Son corporatisme procapitaliste accepte sans conteste l'affirmation selon laquelle les emplois des travailleurs de l'automobile doivent être subordonnés au profit des investisseurs et aux généreuses rémunérations des PDG des entreprises. Sur cette base, Unifor, son prédécesseur, les Travailleurs canadiens de l'automobile (TCA), et son homologue américain, les Travailleurs unis de l'automobile (TUA), ont supervisé le marchandage à la baisse des emplois et des avantages à travers les frontières nationales au cours des trois dernières décennies, tout en défendant la rentabilité des géants de l'automobile.

Le mépris d'Unifor pour les travailleurs de l'automobile a été démontré récemment chez Ford, où des promesses similaires d'investissements majeurs ont été utilisées par Dias pour dissimuler des attaques massives contre les conditions de travail. Le syndicat a délibérément occulté le fait qu'il avait accepté l'AWS jusqu'après le vote de ratification. Il a également enterré son acceptation d'une réduction de la main-d'œuvre de l'usine d'assemblage d'Oakville de plus de 10 % en un an dans les petits caractères de sa brochure des «faits saillants».

Les travailleurs de FCA doivent s'attendre à ce qu'Unifor tente une tromperie similaire alors qu'il cherche à faire passer l'accord en douce lors d'un vote de ratification en ligne prévu ce dimanche. Ils devraient rejeter résolument cette tentative en exigeant que l'accord soit publié dans son intégralité avant le vote de ratification, et qu'on leur donne au moins une semaine pour en étudier les détails et en discuter avec leurs collègues. Si Unifor refuse ces demandes légitimes, qui ont été approuvées par plus de 1800 travailleurs de la base dans une pétition en ligne, les travailleurs de FCA devraient automatiquement voter «non» à l'accord.

Mais un rejet de cette capitulation n'est qu'une première étape, car Unifor ne reviendrait pas avec quelque chose de différent. C'est pourquoi la lutte pour des emplois décents et sûrs nécessite la formation de comités d'usine indépendants d'Unifor. Ces comités devraient répondre aux principales revendications des travailleurs, comme le comité de sécurité de l'usine de montage de Sterling Heights (SHAP) de la FCA, qui lutte contre l'imposition de postes de 12 heures aux ouvriers qualifiés et contre les conditions dangereuses pendant la pandémie.

Les actions menées en mars par les travailleurs de Windsor contre la propagation du COVID-19 ont contribué à déclencher des grèves spontanées à l'usine SHAP et dans d'autres usines du Michigan et de l'Ohio, ce qui a finalement forcé la fermeture de l'industrie automobile nord-américaine à la mi-mars. Ce sont les travailleurs eux-mêmes, et non Unifor ou les TUA, qui ont été à l'origine de ces grèves. Qu'il s'agisse de défendre des vies ou le droit à un emploi sûr et à un niveau de vie décent, tout dépend de l'initiative indépendante des travailleurs eux-mêmes.

Les comités de la base devraient également unir les travailleurs de l'automobile dans une lutte commune à travers toutes les opérations des Trois Grands de Detroit au Canada et dans toute l'Amérique du Nord. En opposition au nationalisme encouragé par les syndicats, leur programme directeur devrait être l'unification des travailleurs de l'automobile canadiens, américains et mexicains dans une contre-offensive contre toutes les suppressions d'emplois et les reculs.

(Article paru en anglais le 15 octobre 2020)

Loading