Pologne : les manifestations de masse contre la loi anti-avortement se transforment en révolte contre le gouvernement

Les manifestations contre le renforcement des restrictions à l'avortement en Pologne se sont encore intensifiées la semaine dernière et se transforment en révolte contre le gouvernement du PiS.

Dans les sondages d'opinion, près des deux tiers de la population soutiennent les manifestations. Les trois quarts des gens interrogés ont rejeté la décision de la Cour constitutionnelle de restreindre davantage le droit à l'avortement.

łManifestation contre la loi sur l’avortement à Wrocław le 26 octobre (Photo: Evidamii019 / Wikimedia)

Chaque jour, il y a de nouvelles manifestations. Mercredi dernier, selon les indications de la police, 430 000 personnes sont descendues dans les rues de tout le pays pour une «grève générale des femmes». Il n'y a pas de chiffres fiables sur le nombre de personnes qui ont pris un jour de congé. Pendant la journée, ce sont principalement des écoliers et des étudiants qui ont participé aux manifestations; mais il y a eu de nombreuses expressions spontanées de solidarité. Dans certains endroits, des slogans de protestation ont été affichés sur les panneaux d'affichage des transports en commun. La circulation routière a été bloquée à de nombreux endroits. Les manifestations ont continué de s'intensifier tout au long de l'après-midi.

La classe dirigeante polonaise a réagi aux manifestations par la violence et la répression. Le nouveau ministre de l'Éducation Przemysław Czarnek (Parti Droit et Justice, PiS) se montre particulièrement acharné à cet égard. Lorsqu'il a été nommé le 19 octobre, il était déjà confronté à des manifestations d'étudiants réclamant une meilleure protection contre le coronavirus, des manifestations qui ont désormais fusionné spontanément avec le mouvement plus large.

Czarnek a menacé toutes les écoles et universités de réduire leur financement si elles permettaient aux élèves et étudiants de participer aux manifestations. Entre autres, les recteurs des universités de Wrocław et de Gdansk avaient annulé les cours pour permettre aux étudiants de participer aux manifestations. L'Université catholique de Lublin, en revanche, a menacé les étudiants et censuré les messages sur sa page Facebook qui appuyaient les manifestations.

Le ministre de l'Éducation mène une véritable croisade contre les manifestants. Il a déclaré que les femmes ne devraient pas être dissuadées par les «néo-marxistes et féministes» de leur rôle de femme au foyer et de mère qui leur a été attribué par Dieu. Czarnek a décrit les manifestants comme des «révolutionnaires radicaux de gauche», dont certains criaient des slogans «satanistes» et pour qui «il ne peut y avoir de place» en Pologne.

Czarnek a annoncé qu'il ferait vérifier «tous les manuels - en particulier ceux de polonais, d'histoire et d'études sociales» pour leur contenu patriotique polonais. Son attaque contre le prétendu «culte de la culpabilité lors des cours » indique la direction historico-révisionniste et fasciste que cette nouvelle orientation dans les manuels de cours va prendre. En tant que voïvode (chef de l'administration du district) de Lublin, Czarnek avait ouvertement collaboré avec l'ONR fasciste (Camp national-radical).

Le 27 octobre, l'ONR a annoncé une nouvelle initiative de création d'associations paramilitaires. Ces «brigades nationales» doivent protéger «la société polonaise, les sites religieux et les événements patriotiques contre les attaques et les provocations des militants néo-marxistes, incarnation du bolchevisme». Il a ouvertement annoncé une «formation systématique aux arts martiaux, à la musculation, à la manipulation des armes à feu et autres disciplines».

Même si l'ONR lui-même le nie, cette initiative fait suite à la déclaration du président du PiS Jarosław Kaczyński le même jour. L'éminence grise du PiS a qualifié les manifestants de criminels et a déclaré que c’était un devoir civique de leur résister.

«Nous devons nous défendre», a déclaré Kaczyński. «Nous devons défendre les églises polonaises. À tout prix. J'appelle tous les membres du Parti Droit et Justice et nos sympathisants à défendre les églises. » Le système de valeurs de l'Église était le seul système moral que les Polonais connaissent, a-t-il dit.

Plus de 130 000 réactions négatives sur la page Facebook du PiS montrent l'énorme mépris pour sa position réactionnaire. Près de 50 000 usagers ont approuvé un commentaire appelant à la démission du «dictateur» et de son gouvernement.

Kaczyński portait le «Kotwica», symbole de la résistance polonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, lors de son discours. Il soulignait par là le discours d'extrême droite qui place les mesures du PiS dans une tradition historique de lutte polonaise contre le national-socialisme (nazisme) et contre le communisme. La chaîne de télévision d'État TVP-Info, qui se conforme à la ligne du PiS, a également qualifié les manifestants de «fascisme de gauche montant».

Compte tenu de son caractère froid et stoïque, le discours de Kaczyński a été comparé à plusieurs reprises au discours dans lequel le général Wojciech Jaruzelski annonça l'introduction de la loi martiale en 1981. Même à cette époque, l'État et l'Église étaient intimement liés, et ils le sont encore aujourd'hui. Le président de la Conférence épiscopale polonaise, Leszek Gęsiak, a déclaré que participer aux manifestations contre les restrictions à l'avortement était un péché.

Le père Tadeusz Rydzyk joue également un rôle important à cet égard. Le prêtre et fondateur de Radio Maryja est connu pour ses opinions antisémites et clérico-fascistes. Sa station de radio, qui soutient la politique du PiS depuis des années, a condamné les manifestations comme une « agression satanique ».

L'ONR et la Jeunesse polonaise ont suivi l'appel aux armes de Kaczyński. Ils ont stationné leurs «soldats politiques» devant les églises de tout le pays et s’en sont pris aux manifestants. Tout au long de la soirée de mercredi, il y a eu des attaques contre des manifestants à Wrocław par des voyous d'extrême droite issus du milieu des hooligans du football. Selon les comptes rendus unanimes des manifestants, la police n'est généralement pas intervenue contre les voyous fascistes.

Deux journalistes de Wyborcza ont également été agressés et blessés. Wyborzca arapporté peu de temps après que le voyou agresseur n'avait été arrêté que temporairement. Il a été libéré et le mandat d'arrêt annulé à l'initiative du ministre de la Justice Zbigniew Ziobro, également procureur général. Ce n'est pas la première fois que l'État exerce sa bienveillance envers des voyous d'extrême droite, comme le note Wyborzca.

Une déclaration du chef adjoint du ministère de la Défense, Marcin Ociepa, est également typique de l'agitation réactionnaire des défenseurs du PiS diffusée dans les médias. Comment se fait-il, a-t-il demandé, que les jeunes filles descendent dans la rue pour protester de manière aussi agressive. « Je pense que quelque chose ne va pas ici. Je pense qu'il vaut la peine d'étudier ce phénomène. Quelqu'un en tire les ficelles. » Le langage et les allusions à des complots impliquant des soutiens douteux est une marque de fabrique antisémite.

Vendredi, les manifestations ont atteint un nouveau paroxysme. Rien qu'à Varsovie, au moins cent mille personnes y ont participé, et cent mille autres dans tout le pays. Alors que les foules immenses sont restées pacifiques, il y a eu à nouveau des attaques massives de la part de groupes d’extrême droite.

Comme on peut le voir sur les enregistrements vidéo, les fascistes portaient des brassards blancs, une marque distinctive qui était utilisée par les paramilitaires d'extrême droite comme le Freikorps allemand il y a cent ans. La police est restée l’arme au pied ou n'était même pas sur place, car de grands détachements ainsi que la police militaire ont été envoyés pour garder les bâtiments gouvernementaux et les églises ainsi que la résidence de Kaczynski.

Les manifestants ne sont pas seulement confrontés aux attaques du PiS et des organisations d'extrême droite. C'est ce que montre un entretien avec l'ancien président de la Cour constitutionnelle, Andrzej Rzepliński. Il a condamné les manifestants en tant qu’attroupement et voyous et a déclaré son dégoût à leur égard.

Rzepliński avait été élu au pouvoir avec la majorité de l'opposition actuelle, le Plate-forme civique (PO). De nombreux éditoriaux soulignent que la législation réactionnaire de la Pologne sur l'avortement, le prétendu compromis de 1993, était l'œuvre de tous les partis et ne fut pas libéralisé même pendant les nombreuses années où le PO était au pouvoir.

Néanmoins, les dirigeantes des «grèves de femmes», comme Marta Lempart, et tout le Bloc de gauche sèment des illusions dans le PO. Le parti de gauche Razem et Wiosna (printemps), fondé en 2019, sont nominalement à gauche du PO, mais au-delà de leurs phrases radicales, ils ne prônent pas un programme indépendant qui montrerait un moyen de sortir de la spirale infernale du système capitaliste en faillite.

Remplacer le gouvernement PiS par un gouvernement dirigé par PO ne résoudrait aucun problème pour la classe ouvrière polonaise. L'étroite imbrication entre l'Église catholique, les milices fascistes, l'État, les médias et les partis de l'establishment, qui sont tous issus du marais de la restauration capitaliste dans les années 1990, ne disparaîtra pas avec un changement de gouvernement.

Le PiS est arrivé au pouvoir en premier lieu parce qu'il a pu exploiter le mécontentement face aux politiques de droite de PO et, avant cela, du PSL social-démocrate. Pour lier les manifestations à cette opposition discréditée et indigne de confiance, un «conseil consultatif » a été formé dimanche à Varsovie. Cet organe est orienté vers l'opposition en Biélorussie voisine et est explicitement destiné à utiliser l'expérience de «l'opposition démocratique de l'époque de la République populaire polonaise [de l'ère soviétique]», c'est-à-dire les forces politiques staliniennes dont sont issus le PiS et le PO.

Un appel similaire a été lancé par le président du Sénat polonais, Tomasz Grodzki (PO). S'adressant à Wyborzca, il a exhorté le gouvernement à entamer des discussions avec l'opposition parlementaire et non parlementaire.

Face à l'escalade de la crise du coronavirus, les partis d'opposition n'ont pas de solution à la hauteur de la crise. Jeudi, le nombre de nouvelles infections en Pologne a dépassé pour la première fois la barre des 20 000, et il a dépassé 21 800 samedi. Vendredi, le nombre de décès a atteint le nouveau record quotidien de 298.

Compte tenu de la dynamique de la pandémie, un effondrement du système de santé polonais, déjà en difficulté, est inévitable, préviennent les experts. Le projet du gouvernement d’installer 10 000 lits supplémentaires dans des hôpitaux de campagne ne changera rien compte tenu de la pénurie chronique de personnel, d'équipement et de matériel.

La seule nouvelle mesure que le gouvernement a mise en œuvre en réponse à l'augmentation exponentielle du nombre de cas a été la fermeture des cimetières avant la prochaine fête de la Toussaint. L'opposition a également demandé la fermeture des églises.

Aucune de ces mesures ne permettra de maîtriser la pandémie. Comme l’ont déjà exigé les manifestants étudiants, le fonctionnement normal des écoles, des crèches et des universités doivent être immédiatement interrompus. L'économie devra être réduite à ce qui est absolument nécessaire et des fonds importants devront être mis à la disposition du système de santé.

Cependant, cela mettrait en péril les profits des entreprises et des riches, qui continuent de proliférer. Par exemple, il y a trois semaines, le site Web de commerce électronique Allegro a été lancé à la Bourse de Varsovie générant un record de 2 milliards d'euros de recettes et est immédiatement devenu la société la plus fortunée de Pologne.

La peur de la classe dirigeante polonaise est causée par les manifestations sociales de masse que le durcissement des lois sur l'avortement a allumées. Ce qui pousse les gens à descendre dans la rue, ce n’est pas la simple exigence de retirer l’interdiction des avortements. Les manifestations expriment toute la colère refoulée contre le système social et économique qui est actuellement dirigé par le PiS mais soutenu et défendu par tous les partis. Par conséquent, la tentative d’arriver à un compromis législatif prôné par le président Duda vendredi - que les avortements seraient légaux si la mère pouvait prouver qu'elle souffrirait d'une mortinatalité - était complètement vaine.

Entre temps, les rumeurs sur l'imposition imminente de l'état d'urgence se multiplient. Par exemple, dans Wyborzca, l'ancien directeur du centre de sécurité du gouvernement et ancien vice-ministre de l'Intérieur Antoni Podolski a cité des exemples historiques pour montrer trois scénarios possibles liés à d'anciens premiers ministres polonais: « Gierek - parler aux manifestants et abandonner la violence. Jaruzelski - instaurer l'état d'urgence et réprimer les manifestations par la violence. Et enfin, la variante Gomulka - les dirigeants du chef, préoccupés par sa perte progressive de tout sens de la réalité, concluent qu'il est temps de le remplacer pour sauver leur pouvoir. »

Pour éviter ces scénarios, qui en fin de compte reviennent tous à la défense violente du capitalisme polonais, la classe ouvrière doit prendre son sort en main. Cela nécessite une perspective claire qui unit les travailleurs polonais à la classe ouvrière internationale dans la lutte pour une transformation socialiste de la société et la construction d'une section polonaise du Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article paru en anglais le 3 novembre 2020)

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