Canada: S'inclinant devant une campagne de la droite, Trudeau présente ses excuses à Macron pour s'être montré «trop mou» face au terrorisme islamiste

S'inclinant devant une attaque de la droite, le premier ministre canadien Justin Trudeau a appelé le président français Emmanuel Macron la semaine dernière pour lui présenter ses excuses pour ne pas avoir suffisamment soutenu la lutte du gouvernement français contre le terrorisme islamiste et sa défense de la «liberté d'expression».

Macron a exploité les deux atrocités terroristes qui ont eu lieu le mois dernier à Conflans-Sainte-Honorine et à Nice pour intensifier ses efforts visant à faire de la minorité musulmane de France un bouc émissaire et à attaquer les droits démocratiques. Ce faisant, lui et des personnalités de son gouvernement défendent des positions auparavant associées à l'extrême droite.

Le premier ministre canadien Justin Trudeau s'adresse aux journalistes depuis le toit de l'ambassade du Canada à Washington [Source: AP Photo/J. Scott Applewhite]

Trudeau a été dénoncé par le gouvernement et les médias français ainsi que par ses adversaires politiques au Canada, notamment les conservateurs fédéraux et les nationalistes québécois, pour n'avoir pas personnellement condamné assez rapidement et fermement les attaques barbares. Ils se sont opposés à son affirmation selon laquelle il voulait tendre la main aux «dirigeants de la communauté musulmane du Canada» avant de préciser la position de son gouvernement. La réponse de Trudeau était conforme à la politique de multiculturalisme que son gouvernement libéral emploie pour fournir une fausse couverture «progressiste» à sa poursuite impitoyable des intérêts impérialistes canadiens au pays et à l'étranger.

Tout en poursuivant leurs programmes rivaux de droite, l'élite politique canadienne et les médias corporatifs font tout leur possible pour obscurcir le contexte dans lequel le professeur de lycée Samuel Paty a été décapité par un jeune immigrant tchétchène islamiste le 16 octobre, après que Paty ait utilisé des caricatures sexuellement explicites de Charlie Hebdo du prophète Mahomet lors d'une discussion en classe sur la liberté d'expression.

Dans les mois qui ont précédé l'attaque, le gouvernement Macron avait attisé l'hostilité contre la minorité musulmane de France, qui est composée en grande majorité de travailleurs pauvres, dont beaucoup sont des immigrants d'Afrique du Nord. L'adoption de positions fascistes au sein de l'élite dirigeante française est tellement avancée que le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a récemment dénoncé l'étalage de produits halal et casher dans les supermarchés français, faisant écho à la rhétorique antisémite et islamophobe de Marine Le Pen et de l'extrême droite.

Au nom de la «guerre contre le terrorisme» et de la défense de la «laïcité» de l'État, Macron mène la campagne chauvine et antidémocratique de longue date de la classe dirigeante française contre les immigrants et les musulmans dans le but de promouvoir la réaction, au milieu d'une crise sociale de plus en plus profonde, et de diviser la classe ouvrière. Moins de deux semaines avant le meurtre grotesque de Paty, Macron a dévoilé la loi «anti-séparatiste» de son gouvernement. Elle établira un contrôle de l'État sur la religion musulmane, interdira les écoles musulmanes (mais pas catholiques), exigera que toutes les associations s'engagent à adhérer aux «valeurs républicaines» telles que définies par le ministère de l'Intérieur, et renforcera encore les pouvoirs de surveillance de la police et des services de renseignement.

Le meurtre brutal de Paty et l'attaque au couteau qui a fait trois morts 13 jours plus tard à la basilique Notre-Dame de Nice sont utilisés par Macron pour poursuivre ce programme de droite brutal. Il a réitéré sa détermination à promulguer la loi «anti-séparatisme», a ordonné l'expulsion des musulmans étiquetés comme extrémistes islamistes et a interdit les groupes sociaux et politiques jugés «hostiles à la République».

Macron, qui a été le fer de lance de l'attaque contre les droits des travailleurs en Europe, a également exploité l'attentat terroriste de Paris de 2015 pour rendre permanentes les «mesures d'état d'urgence» invoquées à la suite de celui-ci. Montrant les véritables intérêts de classe qu'il sert, l'ancien banquier d'affaires et «président des riches» a ensuite utilisé ces pouvoirs pour réprimer l'opposition de la classe ouvrière, et a ordonné à la police de réprimer brutalement l'agitation des «gilets jaunes» contre les inégalités sociales. En 2018, il a entrepris de réhabiliter le maréchal Philippe Pétain, le chef du régime collaborationniste nazi de Vichy.

La campagne anti-musulmane de Macron est également liée aux intérêts prédateurs de l'impérialisme français. Les échanges amers qu'elle a provoqués avec le président islamiste de la Turquie, Recep Tayyip Erdoğan, le soulignent. Derrière cette prise de bec diplomatique se cachent de profonds conflits entre grandes puissances, qui pourraient facilement dégénérer en confrontation militaire directe. La France et la Turquie sont dans des camps opposés dans une série de guerres par procuration et de conflits géopolitiques, de la Libye au conflit en Méditerranée orientale sur les droits de forage de gaz et à la guerre qui couve entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan dans le Caucase.

Tout en se faisant passer pour les défenseurs de la «liberté d'expression», les forces chauvines et d'extrême droite mobilisées par Macron mènent une campagne de diffamation contre ce qu'elles appellent «l'islamo-gauchisme». Tout comme la campagne malhonnête contre «l'antisémitisme de gauche» qui cherche à assimiler l'opposition à la dépossession du peuple palestinien par Israël et le sionisme à de l'antisémitisme, les dénonciations de «l'islamo-gauchisme» visent à faire passer pour complice du terrorisme quiconque défend les droits démocratiques, combat le chauvinisme anti-musulman et s'oppose à l'impérialisme français.

Cette calomnie sert à dissimuler le fait que les puissances impérialistes ont une relation entièrement hypocrite et mercenaire avec le terrorisme islamiste. Pendant des décennies, les États-Unis, mais aussi la France et le Canada, ont utilisé des groupes terroristes islamistes comme des mandataires dans leurs guerres et leurs intrigues prédatrices (par exemple en Afghanistan, en Yougoslavie/Kosovo, en Libye et en Syrie), tout en invoquant leurs crimes pour justifier leurs invasions et leurs occupations (par exemple en Afghanistan, en Irak et en Syrie) et leurs attaques généralisées contre les droits démocratiques dans leur pays. Pendant la «guerre de changement de régime» menée par les États-Unis en Libye en 2011, les membres des forces armées canadiennes se sont désignés comme «l'armée de l'air d'Al-Qaïda», tant ils coordonnaient leurs missions de bombardement avec les forces islamistes, y compris Al-Qaïda, que les puissances impérialistes ont utilisées, au prix de dizaines de milliers de vies civiles, pour renverser le régime de Mouammar Kadhafi.

Dans ce contexte, il devient clair à quel point ceux qui attaquent Trudeau sont cyniques et réactionnaires parce qu’il ne s’est pas rallié à Macron pour défendre la «liberté d'expression», et à quel point les tentatives du gouvernement libéral de fournir une couverture «progressiste» à la politique étrangère impérialiste du Canada avec des discours sur les droits de l'homme, le féminisme et le «multiculturalisme» sont frauduleuses.

Trudeau n'a personnellement condamné le meurtre de Paty que quelques jours après l'événement, et seulement lorsqu'il a été interrogé par le Bloc Québécois à la Chambre des Communes. Il a qualifié l'acte d'«inacceptable», mais a déclaré qu'il s'adresserait «aux dirigeants du monde et aux dirigeants de la communauté musulmane du Canada» pour connaître leur point de vue. Trois jours plus tard, Trudeau a déclaré que la liberté d'expression «n'est pas sans limites». Il a ensuite comparé la présentation en classe des caricatures qui ridiculisaient Mahomet, de laquelle les étudiants pouvaient s'absenter, à «crier au feu dans une salle de cinéma bondée».

Le gouvernement français a réagi aux remarques de Trudeau avec hostilité. Une source proche de Macron a déclaré à Le Monde: «L’exécutif déplore la faiblesse du soutien du premier ministre canadien, Justin Trudeau, après les attaques de Conflans [l’enseignant décapité] et de Nice [trois morts dans une basilique]». Les conservateurs et le BQ, quant à eux, ont uni leurs forces pour attaquer Trudeau depuis la droite, faisant l'éloge de Macron et dénonçant le «multiculturalisme» de Trudeau dans une perspective nationaliste-chauvine. De manière démagogique, le chef du Bloc Yves-François Blanchet a déclaré que «Le premier ministre du Canada avoue [...] que selon ses valeurs, le dogme religieux et la violence qu’il suscite dans des cas extrêmes ont préséance sur la liberté d’expression, la liberté d’enseignement et la sécurité des citoyens sous sa responsabilité». Blanchet a ensuite demandé à Trudeau de «s'excuser» auprès du président français.

Le premier ministre du Québec, François Legault, et tous les partis de l'Assemblée nationale du Québec, y compris le prétendu parti de «gauche» pro-indépendance, Québec Solidaire, se sont ralliés à Macron, et Legault a déclaré le 2 novembre: «Je suis en total désaccord avec M. Trudeau. La liberté d'expression doit être protégée». Il va sans dire qu'aucun des législateurs provinciaux n'a jugé bon de rappeler au premier ministre que lui et son gouvernement populiste de droite, la Coalition Avenir Québec (CAQ), ont adopté en 2019 une loi qui attaque sauvagement la liberté d'expression des minorités religieuses, notamment en imposant une interdiction générale aux femmes musulmanes qui portent le niqab ou la burqa de bénéficier de services publics essentiels comme les soins de santé et l'éducation.

Le lendemain, dans ce qui était clairement un reproche à Ottawa, Macron a appelé Legault pour le remercier de son soutien. Secoué par l'action de Macron, Trudeau a téléphoné au président français deux jours plus tard pour s'excuser. Selon le compte rendu fourni par le cabinet du premier ministre, «Les deux dirigeants ont convenu de l'importance de défendre la liberté d’expression et les droits de la personne, et de leur engagement commun à lutter contre le terrorisme et l'extrémisme violent». De manière significative, le communiqué de presse a ajouté qu'ils avaient également utilisé cet appel pour réaffirmer leur engagement commun envers l'OTAN et le soutien du Canada à Paris dans une série d'interventions impérialistes françaises en Afrique et au Moyen-Orient. Trudeau a déjà vanté ses affinités politiques avec Macron, et les deux hommes ont été de proches alliés dans la défense des institutions multilatérales et de l'action impérialiste commune en opposition au programme de l’«Amérique d’abord» du président américain Donald Trump.

Bien que le changement d'attitude de Trudeau représente une adaptation à la droite chauvine, sa position initiale n'était d’aucune façon progressiste. Comme l'a démontré le World Socialist Web Site dans sa couverture des récents événements français, il est possible, et même nécessaire, de dénoncer et de démasquer le caractère réactionnaire des attentats terroristes islamistes sans faire de concession aux intérêts antidémocratiques, chauvins et prédateurs de l'impérialisme français. Mais c'est impensable pour Trudeau, un politicien capitaliste proguerre et proaustérité dont la loyauté est avant tout de promouvoir les intérêts impérialistes des sociétés canadiennes au pays et à l'étranger.

Trudeau et ses libéraux sont de fervents défenseurs de la politique officielle de «multiculturalisme» du Canada. Au nom de l'ouverture et de la diversité, cette politique encourage la politique identitaire et la division de la population en groupes ethniques et religieux distincts. Elle vise à renforcer le nationalisme canadien et à diviser la classe ouvrière.

Cette idéologie soi-disant «progressiste» a également servi à maintes reprises à justifier la violence impérialiste canadienne. Tout en prétendant mener une «politique étrangère féministe» et lutter pour les «droits de l'homme» dans le monde entier, le gouvernement Trudeau augmente les dépenses militaires de plus de 70 % et a étendu la participation du Canada aux offensives militaires stratégiques américaines dans le monde entier, y compris au Moyen-Orient, et contre la Russie et la Chine.

Il n'est pas surprenant que les nationalistes québécois, qu'ils soient indépendantistes ou «autonomistes» (Québec d'abord) une variété de la CAQ, aient joué un rôle important dans la récente agitation de droite contre Trudeau, teintée de chauvinisme antimusulman. Depuis des années, le Parti Québécois et le BQ, son parti frère au niveau fédéral, font campagne contre les musulmans et les immigrants, les présentant comme une menace potentielle pour la société québécoise, dans le but de détourner l'attention de leur programme procorporatif de droite. Ils sont aussi farouchement pro-impérialistes. Chaque fois qu'Ottawa a déployé les forces armées canadiennes en soutien aux guerres de Washington, le BQ indépendantiste a apporté son soutien.

Comme les conservateurs, le parti traditionnel de l'anglo-chauvinisme, la «défense» de la liberté d'expression par le nationaliste québécois est entièrement sélective. L'actuelle législature québécoise dominée par le CAQ a adopté une série de lois discriminatoires similaires à celles défendues par Macron et ses prédécesseurs. La loi 21 interdit aux personnes en «position d'autorité», y compris les enseignants, de porter des symboles religieux «ostentatoires» tels que le hijab, la kippa juive ou le turban sikh, tandis que la loi 9 introduit des «critères culturels» dans la sélection des immigrants.

Le bilan de Trudeau et de ses partisans en matière de défense de la «liberté d'expression» n'est pas meilleur. Le gouvernement Trudeau est l'un des principaux partisans de la campagne internationale visant à accroître le contrôle de l'État sur les médias sociaux – une campagne menée au nom de l'opposition aux «fausses nouvelles» et aux «discours de haine», mais qui a abouti à des mesures de plus en plus utilisées pour censurer les idées de gauche et les positions socialistes.

Dans leur attaque contre Trudeau à propos des événements français, ses opposants de droite ont tenté de faire un amalgame avec son récent échec à défendre une professeure de l'Université d'Ottawa qui a fait l'objet de sanctions et a été menacée de perdre son emploi, après que certains étudiants, motivés par une politique identitaire réactionnaire de la classe moyenne, se soient plaints de son utilisation du mot «n*****» dans le cadre d'une explication en classe.

En fait, les deux événements sont radicalement différents. Macron utilise la «liberté d'expression» pour fournir une feuille de vigne pseudo-démocratique pour attaquer la minorité musulmane de France et dans le but d'alimenter le chauvinisme et de faire avancer sa guerre de classes. Le professeur a utilisé ce terme péjoratif dans un cadre universitaire pour montrer comment les groupes victimes de discrimination s'approprient parfois les insultes utilisées à leur encontre.

Malgré leurs désaccords tactiques, toutes les sections de la classe dirigeante canadienne, des libéraux de Trudeau aux conservateurs et aux souverainistes québécois, sont unies contre la classe ouvrière. Aucune d'entre elles n'a soulevé d'objection à l'utilisation par Macron de la répression étatique contre les Gilets jaunes et les autres opposants de la classe ouvrière. Aucun d'entre eux n'a non plus pris la parole pour défendre le droit à la liberté d'expression du journaliste de WikiLeaks Julian Assange, persécuté et emprisonné depuis des années pour avoir rendu publics des documents mettant à nu les crimes de guerre de l'impérialisme américain.

Les travailleurs doivent adopter une perspective socialiste et internationaliste en opposition au racisme et au chauvinisme de la droite et de l'extrême droite et à la politique identitaire non moins anti-ouvrière propagée par Trudeau et les autres dont la logique est de dresser les travailleurs les uns contre les autres dans une lutte tribale pour la division «équitable» de la misère du capitalisme selon des critères raciaux, ethniques, de genre et religieux. Seule l'unité internationale de la classe ouvrière sur la base d'un programme socialiste, c'est-à-dire la réorganisation de la société de manière à placer les besoins humains avant le profit, peut mettre fin aux attaques contre les droits démocratiques, à la menace croissante que représentent le fascisme, l'agression et la guerre impérialistes, et réaliser une véritable égalité sociale pour tous.

(Article paru en anglais le 13 novembre 2020)

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