Canada: Unifor trahit la grève militante de Dominion à Terre-Neuve

La dure grève de 12 semaines des 1.400 employés de 11 épiceries Dominion de Terre-Neuve s'est terminée vendredi avec l'annonce par Unifor que les grévistes avaient ratifié un nouveau contrat de quatre ans. Unifor a refusé de divulguer le décompte des votes, signe évident qu'une opposition importante à l'accord de capitulation a été enregistrée.

S'adressant à la CBC, Chris Macdonald, assistant du président d’Unifor Jerry Dias, a concédé: «Nos membres sont déçus. Ce n'est pas l'accord qu'ils voulaient et ce n'est pas la raison pour laquelle ils se sont mis en grève».

Le nouveau contrat est pratiquement identique à un accord de principe approuvé par Unifor et rejeté à une écrasante majorité par les travailleurs en août dernier.

Jerry Dias, président d’Unifor,lors d’une conférence de presse le 22 septembre

Rétroactif à octobre 2019, le nouveau contrat prévoit une augmentation de salaire dérisoire de 1,35 $ répartie sur quatre ans. Mais seuls les travailleurs à temps plein et à temps partiel ayant plus de cinq ans d'ancienneté recevront la totalité de ces 1,35 $. Autre insulte, la direction de Dominion a «offert» une carte-cadeau du magasin. La plupart des travailleurs recevront des cartes d'une valeur de 50 ou 100 dollars seulement, les quelques employés à temps plein ayant une grande ancienneté recevant des cartes de 500 dollars.

Les travailleurs du Dominion n'avaient pas bénéficié d'une augmentation de salaire contractuelle depuis le début de l'année 2018. En début juin, après seulement trois mois, l’entreprise a supprimé une «prime d'urgence» de 2 dollars de l'heure introduite pour maintenir les travailleurs au travail pendant la pandémie de COVID-19.

L'un des principaux enjeux de la grève a été l'assaut lancé par l'entreprise depuis des années contre les emplois à temps plein. En vertu du nouvel accord, seuls 22 des plus de 60 postes à temps plein supprimés en 2019 seront rétablis.

Lorsque la grève a commencé, 83% de la main-d'œuvre de Dominion était composée d'employés à temps partiel faiblement rémunérés et ne bénéficiant pas ou peu d'avantages sociaux. Les trois quarts des travailleurs gagnaient moins de 14 dollars de l'heure, et la majorité des travailleurs à temps partiel gagnaient un salaire égal ou légèrement supérieur au salaire minimum de 11,65 dollars fixé par la province (qui l'a porté depuis à 12,15 dollars).

Dominion est l'un des nombreux holdings du conglomérat géant Loblaws. Loblaws et ses filiales sont le plus grand détaillant du Canada, employant 200.000 personnes. Son propriétaire, Galen Weston Sr, possède une fortune de plus de 13 milliards de dollars canadiens.

Les travailleurs en grève de Dominion. (Source: Unifor)

Loblaws réalise d'énormes profits sur le dos de sa main-d'œuvre faiblement rémunérée et employée de façon précaire. Elle a enregistré une augmentation de 162 millions de dollars de ses bénéfices nets au deuxième trimestre et les a encore augmentés de 7% au troisième trimestre. Les bénéfices réalisés jusqu'à présent cette année s'élèvent à près d'un demi-milliard de dollars et devraient doubler d'ici la fin de l'année.

Compte tenu de ce profit éhonté en pleine crise sanitaire mondiale et des vastes richesses dont dispose Loblaws, il ne fait aucun doute qu'un appel à des actions de soutien aux travailleurs en grève de Dominion aurait obtenu un puissant soutien parmi les travailleurs de tout le Canada – à commencer par les centaines de milliers de travailleurs des supermarchés, dont beaucoup dans d'autres points de vente de Loblaws, dont les conventions collectives ont expiré ou expireront bientôt.

Mais une telle contre-offensive de la classe ouvrière était précisément ce qu’Unifor était déterminé à empêcher. Proche allié du gouvernement libéral fédéral, Dias et l'appareil d’Unifor ont réagi à la pandémie et à l'éruption de la plus grande crise du capitalisme mondial depuis la Grande Dépression des années 1930 en approfondissant leur partenariat corporatiste anti-travailleurs avec les grandes entreprises et l'État.

C'est pourquoi le syndicat a recommandé un accord dicté par l'employeur en août dernier, et qu'il a refusé de mobiliser les travailleurs de supermarchés dans tout le pays pour soutenir la grève et une lutte commune contre les géants de l'alimentation au détail.

Les bureaucrates d’Unifor bien payés ont tenté de couvrir leurs actions traîtresses par quelques coups de publicité brefs et inefficaces, dont une menace jamais réalisée de lancer un «boycottage» national des Loblaws. Ils se sont immédiatement pliés aux injonctions des tribunaux anti-travailleurs et à la violence policière qui a été employée contre les grévistes après qu'ils aient essayé de perturber le réseau de distribution de Loblaws à Terre-Neuve.

Unifor tente maintenant de prétendre que cela n'a rien à voir avec l'isolement des grévistes et la défaite de la grève. «En fin de compte», a déclaré MacDonald à la CBC, «leur employeur a refusé de bouger... nous menaçant essentiellement avec plusieurs autres mois de piquet de grève.»

La réalité est qu’Unifor a mené la grève vers la défaite. Il a isolé les grévistes, puis a supplié Loblaws de présenter aux travailleurs essentiellement la même offre pourrie qu'ils avaient rejetée 12 semaines plus tôt.

Le syndicat a exploité une décision de justice réactionnaire pour faire avancer ce programme. Lorsqu'un juge a décidé qu'il était illégal pour les piquets de grève de bloquer les expéditions de l'entreprise vers et depuis son entrepôt central, mais a autorisé des piquets d'information inefficaces, la présidente locale d'Unifor, Carolyn Wrice, a salué cette décision comme une «victoire». «C’est très positif», a-t-elle déclaré. «Cela nous a donné l'opportunité de dire à la compagnie ‘Regardez, revenez’. Nous voulons régler ça.» En d'autres termes, ayant clairement indiqué que le syndicat ordonnerait aux grévistes de se conformer à une décision de justice visant à interdire tout piquetage, sauf symbolique, Wrice a signalé à la compagnie qu'Unifor pensait désormais que les grévistes pourraient être amenés à ratifier à contrecœur un contrat pourri.

Un message d'une travailleuse a révélé comment le syndicat a fait pression sur les travailleurs de son lieu de travail pour qu'ils acceptent l'offre de l'entreprise. Chris MacDonald, fonctionnaire d’Unifor, a déclaré aux travailleurs «cela leur coûte environ 500.000 dollars pour que nous fassions grève chaque semaine. Il a déclaré qu'en gros, avec une grève, l'objectif final est d'obtenir mieux que ce que nous avions, mais l'entreprise a dit dès le début qu'elle ne nous donnerait rien concernant les congés maladie ou une meilleure rémunération. Il a dit que ce serait différent si la compagnie était gérée à Terre-Neuve, mais en ce qui concerne la compagnie, nous ne sommes qu'un vulgaire point sur leur radar».

Un autre travailleur de Dominion a écrit: «Je croyais qu'un vote de ratification avait lieu lorsqu'un syndicat et une entreprise concluent un accord de principe. Cela ne s'est pas produit, loin de là. Il semble que notre syndicat abandonne et que Loblaws obtienne ce qu'il veut. Il est temps qu'Unifor fasse sortir tous les travailleurs syndiqués de Loblaws à travers le Canada, c'est le moment. Ne dites pas que ce n'est pas légal. Loblaws ne joue pas franc jeu, et nous ne devrions pas non plus».

Comme l'a déjà écrit le World Socialist Web Site dans un article largement lu par les travailleurs de Terre-Neuve et du Canada, «Bien qu'il représente des dizaines de milliers de travailleurs de l'alimentation dans tout le pays qui sont confrontés à des conditions de travail tout aussi misérables, le syndicat n'a rien fait pour les mobiliser en faveur des grévistes. Il n'a pas non plus fait appel à d'autres syndicats, comme le syndicat des travailleurs unis de l'alimentation et du commerce, qui représente également des dizaines de milliers de commis d'épicerie, pour soutenir leur lutte. Au lieu de cela, Unifor a isolé les travailleurs militants de Dominion sur de petits piquets de grève, avec la visite occasionnelle d'un responsable régional ou national pour remonter le moral.

«Il ne s'agit pas d'incompétence syndicale, mais d'une politique délibérée visant à étouffer tout mouvement de la classe ouvrière contre les bas salaires, l'inégalité sociale et le fabuleux enrichissement des super-riches comme Weston. Unifor et le reste de la bureaucratie syndicale procapitaliste sont déterminés à bloquer toute opposition sociale parmi les travailleurs qui pourrait perturber son partenariat corporatiste avec le gouvernement libéral fédéral des grandes entreprises et les dirigeants des entreprises canadiennes».

La grève à Terre-Neuve avait le potentiel de déclencher un regain de la lutte des classes. Les valeureux grévistes ont reçu le soutien sincère de la classe ouvrière terre-neuvienne de toute la province. Il s'agissait du premier conflit contractuel dans le secteur de l'épicerie au Canada depuis le début de la pandémie. Au cours de l'année à venir, 2.400 autres exploitations de Loblaws à travers le pays verront leurs conventions collectives expirer.

Dans les luttes de classe à venir, les travailleurs de l'alimentation doivent s'organiser en comités de la base indépendants des syndicats, afin de faire avancer leur lutte contre le patronat avide par la mobilisation du pouvoir social de la classe ouvrière.

(Article paru en anglais le 17 novembre 2020)

Loading