Rapport sur des crimes de guerre: les forces spéciales australiennes ont assassiné 39 Afghans

Un rapport officiel sur des crimes de guerre australiens présumés en Afghanistan a été publié hier, révélant des «informations crédibles» selon lesquelles des soldats des forces spéciales ont exécuté illégalement 39 civils et prisonniers et commis d'autres atrocités qui violent le droit international.

Le document est le résultat d'une enquête de quatre ans, lancée par l'armée en 2016 et dirigée par le général de division à la retraite Paul Brereton. Son périmètre était la période de 2005 à 2016.

Bien que théoriquement indépendante, l'enquête était essentiellement une opération interne biaisée, remplie de responsables militaires actuels et anciens et menée sous une chape de plomb. Elle a servi d'exercice pour limiter les dégâts, visant avant tout à cacher la responsabilité du haut commandement militaire et des gouvernements travaillistes et libéraux-nationaux successifs pour les crimes de guerre, dans des conditions où ces faits commençaient à paraître dans la presse.

Les informations contenues dans le rapport sont néanmoins une révélation accablante du caractère tout à fait criminel non seulement de l'occupation américaine de l'Afghanistan depuis 19 ans, mais aussi de l'armée australienne. Elles révèlent que le meurtre, la torture et les abus ont été des moyens habituels pour asservir une population appauvrie et hostile, dans une guerre d’agression visant à piller les ressources et prendre le contrôle de la région géostratégiquement critique d'Asie centrale.

Brereton et ses collègues ont déclaré qu'il y avait des «informations crédibles» sur 23 occasions où des Afghans ont été tués illégalement. Les victimes de ces incidents sont au nombre de 39. Il s'agissait de civils et de combattants potentiels qui étaient hors de combat parce qu'ils avaient été blessés ou placés en détention. Vingt-cinq soldats australiens seraient impliqués.

La section fortement expurgée du rapport, détaillant les meurtres, indique un modus operandi dans plusieurs des meurtres.

À plusieurs reprises, le rapport indique qu'une arme ou une radio «incriminante» a été placée à côté du cadavre d'un civil ou d'un prisonnier assassiné avant qu'il ne soit photographié. C'était pour que les responsables puissent affirmer qu'ils avaient agi en état de légitime défense ou que les victimes avaient été tuées dans une fusillade.

L'enquête a révélé des «informations crédibles» de «rituel d’initiation à la guerre». Des soldats subalternes des forces spéciales recevraient l'ordre de leurs supérieurs immédiats d'assassiner les Afghans détenus afin qu'ils connaissent leur «première mise à mort».

Des incidents sont également répertoriés, au cours desquels les soldats «ont infligé de graves souffrances» aux détenus afghans et «leur ont causé des blessures», indiquant le recours à la torture.

De nombreuses questions subsistent sur les événements répertoriés dans le rapport. Ils sont décrits dans un vague langage bureaucratique. Aucune information n'est fournie sur les méthodes ou les circonstances exactes des meurtres.

Les dates (en dehors de l'année), les lieux et les noms des personnes impliquées sont tous expurgés, au motif que la divulgation publique des informations pourrait compromettre de futures poursuites. Cela signifie qu'il n'y a aucune possibilité de faire des recoupements avec des meurtres qui ont déjà été rapportés dans la presse. Les centaines d'entretiens menés au cours de l'enquête et d'autres éléments de preuve restent confidentiels.

Plusieurs incidents sont complètement expurgés. L'un d'eux est décrit comme «probablement l'épisode le plus honteux de l'histoire militaire de l'Australie».

Il y a peu de détails sur 28 incidents de violations présumées de la loi, que l’enquête a jugés «sans fondement», ou sur les 11 autres décrits comme «abandonnés». Ils comprenaient des allégations de simulation de noyade et de soldats tenant un couteau sur les testicules d'un homme. Le caractère secret de l'enquête signifie que la base de ses conclusions sur ces incidents ne peut être examinée ni mise en question par les médias. Elles ne seront pas soumises à la police ou à tout autre organisme pour une enquête plus approfondie.

Le rapport donne cependant des indications sur d’autres meurtres qui ont été jugés «légaux». Il fait référence à des cas connus d’objets incriminants placés à côté de cadavres en 2012 et 2013 «pour éviter que des questions soient posées sur des opérations militaires apparemment légales lorsqu'il s'est avéré que la personne tuée n'était pas armée, ce qui est différent de vouloir faciliter ou dissimuler des homicides illégaux». La pratique a été décrite comme étant «malhonnête et indigne», «et non un moyen de dissimuler des crimes de guerre».

Des questions sont également soulevées par des références à une autre enquête secrète, qui a précédé l'enquête Brereton. La Dr Samantha Crompvoets a été chargée par le haut commandement militaire en 2015 de fournir un «aperçu» des opérations des forces spéciales et d'enquêter sur les allégations de crimes de guerre.

Selon le rapport Brereton, Crompvoets «a déclaré avoir eu l'impression qu'un "grand nombre d'homicides illégaux" avaient été "maquillés"». Des Afghans auraient été tués, puis mis sur une liste de militants ciblés (connue sous le nom de Joint Prioritized Effects List ou JPEL).

Cette affirmation, qui n'est que brièvement mentionnée dans le rapport Brereton, est très significative. La JPEL était une liste, accessible à tous les membres de la Coalition menée par les États-Unis, comprenant des individus qui devaient être tués ou capturés, au motif qu'ils étaient prétendument des talibans de haut niveau ou des combattants et des responsables d'Al-Qaïda.

En 2010, WikiLeaks a publié les journaux de guerre afghans de l'armée américaine, révélant l'existence d'une équipe américaine secrète d'assassins, la Task Force 373. Ses cibles ont été sélectionnées sur la base de la JPEL. En raison de l'illégalité flagrante de ces opérations, la JPEL était une question extrêmement sensible pour les militaires de la Coalition. Si les forces australiennes inscrivaient les Afghans sur la liste après leur assassinat, cela aurait probablement été connu à un haut niveau du commandement militaire de la Coalition.

Mis à part les nombreux problèmes évoqués, mais non éclairés, le caractère du rapport Brereton, qui continue la longue dissimulation des crimes de guerre australiens, est démontré par son insistance sur le fait que le haut commandement militaire ignorait complètement ces actions illégales.

«Bien qu’il aurait été beaucoup plus facile de signaler que la médiocrité au niveau du commandement et de la haute direction était principalement responsable des événements énumérés dans ce rapport, ce serait une déformation flagrante», déclarent les enquêteurs. «À part un petit nombre de commandants de patrouille et leurs protégés, ces événements n'auraient pas été imaginés, ils n'auraient pas commencé, ils n'auraient pas continué, et ils auraient été découverts. C'est surtout à ce niveau que réside la responsabilité.»

Ces commandants de patrouille, dans certains escadrons du Régiment aéroporté spécial (Special Air Service Regiment) et du Deuxième commando (2nd Commando Regiment), avaient favorisé une «culture guerrière». Ils avaient dissimulé les violations de la loi et opéraient avec une autonomie considérable par rapport à toute branche du haut commandement militaire.

Le but de cette version des faits est de légitimer l'affirmation centrale du rapport, à savoir qu'aucun responsable militaire, au-dessus du niveau de commandement de patrouille, ni aucun représentant du gouvernement ne savait quoi que ce soit sur les crimes de guerre.

Cette affirmation est totalement invraisemblable. Les forces spéciales étaient la force de combat de l'Australie en Afghanistan. Elles ont travaillé en étroite collaboration avec les troupes alliées, dans des opérations sensibles, au cours d'une guerre à laquelle la population australienne et mondiale s'est largement opposée. Il est donc difficile de croire que leurs activités n'ont pas été étroitement surveillées par les renseignements militaires, les services secrets australiens et les agences de renseignement américaines, qui en auraient tous rendu compte au commandement militaire et aux gouvernements.

De plus, un certain nombre de crimes ont été commis dans les années qui ont immédiatement suivi la publication par WikiLeaks en 2010 des journaux de guerre afghans, y compris 17 des meurtres confirmés, qui sont répertoriés comme s'étant produits en 2012. À la suite de la publication de WikiLeaks, qui révélait des crimes de guerre et une opposition populaire accrue à l'occupation de l’Afghanistan, les gouvernements et leurs agences auraient suivi de près les activités des unités d'élite combattantes de la Coalition, par crainte de nouvelles révélations.

Le caractère entier de l'enquête Brereton – son secret, le rôle majeur qu’y ont joué de hauts responsables militaires et les quatre années nécessaires pour produire un rapport qui cache plus d'informations qu'il n'en révèle – indique une opération de dissimulation.

Cela est souligné par le fait que l'enquête s'est déroulée parallèlement à la tentative des autorités australiennes de poursuivre David McBride, un ancien avocat militaire, pour avoir divulgué à la presse des informations sur les crimes de guerre. McBride est toujours sous la menace de décennies d’emprisonnement pour cette révélation, ce qui a également déclenché une descente sans précédent de la police fédérale au siège de Sydney de l'Australian Broadcasting Corporation.

Entre temps, les ministres du gouvernement ont déclaré que toute poursuite des 19 soldats qui ont été renvoyés par Brereton à la police fédérale pourrait prendre jusqu'à une décennie. Le rapport note que les enquêteurs ont calqué leurs efforts sur des enquêtes pour crimes de guerre présumés en Irak et en Afghanistan menées par l'État britannique. Celles-ci n'ont donné lieu à aucune poursuite.

La publication de ce rapport a été accueillie par des paroles affligées totalement hypocrites de la part du gouvernement de la coalition libérale-nationale, de l'opposition du Parti travailliste et des grands médias. Ils ont parlé de «honte nationale» et de «trahison» de la part des soldats des forces spéciales.

Tout cela vise à cacher le fait que les meurtres, tortures et autres crimes de guerre sont le résultat d'une guerre d'occupation illégale et néocoloniale, la plus longue de l'histoire australienne. Elle a été supervisée par les gouvernements travailliste et libéral-national successifs et soutenue par tout l'establishment politique et médiatique.

Les responsables des crimes de guerre comprennent les gouvernements de coalition des premiers ministres John Howard, Tony Abbott et Malcolm Turnbull, et les gouvernements travaillistes de Kevin Rudd et Julia Gillard.

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