L'État brésilien d'Amapá au bord de l'explosion sociale après une panne d’électricité de 18 jours

L'État d'Amapá, situé dans le nord du Brésil, est confronté depuis 18 jours à une situation de chaos généralisé, causée par l'effondrement de son alimentation en électricité. Environ 90 pour cent de sa population, soit près de 800 000 personnes, étant touchés par l’absence d'électricité, d'eau et d'autres approvisionnements de base, l'État est au bord de l’explosion sociale.

La crise a commencé le 3 novembre après une explosion, suivie d'un incendie, dans la principale station d’électricité de l'État, située dans la capitale, Macapá. L'installation est gérée par la transnationale espagnole Isolux Corsán. L'effondrement de la station a provoqué une panne de courant dans 13 des 16 municipalités de l'État. Il a fallu cinq jours pour que l'approvisionnement en énergie soit partiellement rétabli.

Manifestation dans le quartier de Santa Rita à Macapá, 7 novembre (source: Rudja Santos / Amazônia Real)

Le 9 novembre, le ministère des Mines et de l'Énergie du gouvernement Bolsonaro, qui a créé un comité de crise pour faire face à la situation, a annoncé: «Les habitants d' Amapá ont à nouveau l'électricité.» Le gouvernement affirma avoir reconnecté Amapá au réseau électrique national et avoir rétabli «70% de l’approvisionnement dans l’État». Un système de rotation, avec alimentation électrique toutes les six heures, a été nominalement établi.

La population contredit cependant les affirmations du gouvernement. Un habitant a rapporté au Brasil de Fato il y aune semaine: «Ils colportent des mensonges sur notre État. Cela n'a pas été normalisé, c'est le chaos. Nous n'avons le rationnement [énergétique] qu'à certains moments. Dans pratiquement 13 municipalités, il n'y a ni eau ni électricité. » Le mardi 17 novembre, l'Etat était plongé dans une nouvelle panne totale.

Le manque d'énergie a conduit à une pénurie d'eau, dans un État qui longe l’Amazone, le plus grand fleuve du monde, ainsi que de nourriture et d'autres produits de base. Les longues files d'attente se multiplient dans les stations-service, les supermarchés et les distributeurs automatiques de billets, alors que les systèmes de cartes de crédit se sont déconnectés. Les réseaux Internet et téléphoniques ont été perturbés et les signaux restent très instables.

Manifestation devant le siège du gouvernement, à Macapá. (source: Rudja Santos / Amazônia Real)

Macapá, qui représente plus de la moitié de la population de l'État, connaissait déjà une augmentation rapide des cas de COVID-19, ayant enregistré une hausse de 74 pour cent des hospitalisations entre le 19 et le 26 octobre. La situation chaotique provoquée par le manque d'énergie a affecté les Centres de traitement du COVID-19, forçant transferts de patients et interruption des tests.

Les hôpitaux ont également commencé à enregistrer une augmentation des hospitalisations d'enfants souffrant de diarrhée et de vomissements en raison des difficultés d'accès à l'eau potable. Les habitants de la capitale disent qu’il leur faut conserver l'eau de pluie pour leur consommation et leurs activités domestiques. Dans l'archipel de Bailique, un district de Macapá, où l’Amazone se jette dans la mer, les gens boivent et se baignent dans l'eau salée.

Dans une vidéo partagée sur les réseaux sociaux, une femme âgée du district de Fazendinha a déclaré: «Ce qui arrive aux gens ici à Macapá est absurde. De nombreux enfants tombent malades à cause de la chaleur. J'ai deux petits-enfants qui sont malades. Ceux qui ont les moyens peuvent payer pour un générateur, mais nous sommes pauvres. La nourriture est maintenant très chère. Les pauvres mangent des œufs, moins chers, des saucisses, de la mortadelle. Ce n'est pas une nourriture adéquate pour un enfant. Les autorités ne font pas attention aux pauvres. Beaucoup de gens souffrent. De nombreux appareils ménagers, comme les réfrigérateurs, explosent [à cause des fluctuations de courant]. Il y a une semaine, quelqu'un est venu m'offrir une journée de services domestiques, car sa famille avait faim ».

La profonde indignation ressentie par la population ouvrière a conduit à une vague de protestations dans tout l'État. Dans différents quartiers, les habitants ont érigé des barricades avec des pneus et des matelas en feu, et une série de marches a eu lieu dans les rues de Macapá. Mardi, 15e jour de la panne d'électricité, la police militaire avait déjà fait état 110 manifestations différentes.

Le gouvernement du gouverneur Waldez Góes du Parti travailliste démocratique (PDT), qui fait partie de l'opposition autoproclamée de «gauche» à Bolsonaro, a répondu aux manifestations par une répression brutale. Une attaque policière contre une manifestation dans le quartier pauvre de Congós a fait au moins quatre blessés, dont un jeune de 13 ans atteint d’une balle en caoutchouc à l'œil, qui risque de perdre la vue.

Mardi, le gouverneur Góes, utilisant la pandémie comme prétexte, a publié un décret interdisant les manifestations. Celui-ci interdit «jusqu'à la date du 2 décembre 2020, sur tout le territoire de l'État d'Amapá […] tout type d'activité politique de personnes dans les rues, les places, les gymnases, dans les environnements publics ou privés, même à l'extérieur, qui peut engendrer des foules de gens, comme des réunions, des promenades, des cortèges automobiles, des rassemblements, des défilés aux drapeaux, etc. »

La police affronte des manifestants à Macapá, le 6 novembre (source: Rudja Santos / Amazônia Real)

La crise énergétique et le soulèvement populaire ont eu un impact direct sur les élections municipales en cours. Une décision controversée du Tribunal électoral supérieur (TSE), à la demande du Tribunal électoral régional (TRE) d'Amapá, a ordonné le report des élections exclusivement dans la capitale. Elles étaient initialement prévues pour le 15 novembre et ont été reportées aux 13 et 27 décembre.

La décision a été prise quelques heures après la publication d'un sondage montrant une baisse vertigineuse des intentions de vote pour le candidat en tête, Josiel Alcolumbre des Démocrates (DEM). Josiel est le frère du président du Sénat Davi Alcolumbre, également du DEM, et est soutenu par l'actuel maire de Macapá et le gouverneur de l'État. Son soutien dans les sondages est passé de 35 pour cent à 26 pour cent, proportionnellement au nombre d’électeurs ayant rejeté sa candidature, qui est passé de 27 à 36 pour cent.

Jeudi, le Tribunal fédéral a ordonné la destitution pour un mois du conseil d'administration de l'Agence nationale de l'énergie électrique (Aneel) et de l'opérateur national du réseau électrique (ONS), prétendument pour les empêcher d'interférer dans les enquêtes sur les causes de la panne.

Le juge de l'affaire, João Bosco Costa Soares, a déclaré: «Je comprends que plus de diligence était nécessaire de la part d'Aneel et de l'ONS, en particulier en ce qui concerne le cahier des charges de l'entreprise sous contrat pour les réparations du premier transformateur, en maintenance depuis décembre. 2019. » Bosco a également déclaré que la panne était «causée par une succession de ‘gouvernements fédéraux’ ayant négligé de planifier correctement les politiques publiques de production, de transport et de distribution de l'électricité.»

Les conséquences de cette catastrophe annoncée, qui a profité à des entreprises comme Isolux Corsán, s’abattent à présent sur la population d'Amapá et sur l'ensemble de la classe ouvrière brésilienne. Par une mesure provisoire, le gouvernement Bolsonaro répartira les coûts des mesures d'urgence prises à Amapá sur les factures d’énergie de tous les Brésiliens; c'est-à-dire qu'ils seront littéralement payés par les travailleurs mêmes.

Contrairement à toutes les affirmations du gouvernement fédéral et des États, selon lesquelles la crise est déjà sous contrôle, la panne d’électricité de cette semaine a clairement montré que la situation était loin d'être réglée, tout comme le mécontentement populaire.

Que cette crise énergétique se produise en même temps que la pandémie du COVID-19 n'est pas une simple coïncidence. Les deux choses ont leur source dans la crise profonde du système capitaliste et son incapacité à répondre aux besoins sociaux essentiels. La défense des conditions les plus élémentaires de l'existence humaine dépend de la mise en place de gouvernements socialistes de la classe ouvrière au Brésil et dans le monde.

(Article paru en anglais le 21 novembre 2020)

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