Alors que la classe dirigeante canadienne laisse la pandémie se propager

Les travailleurs doivent se battre pour fermer les entreprises non essentielles et les écoles

L'annonce faite jeudi par l'Agence de la santé publique du Canada (ASPC) selon laquelle le nombre de nouveaux cas quotidiens de coronavirus pourrait atteindre 60.000 d'ici la fin de l'année si les contacts entre les personnes augmentent au cours des prochaines semaines est une condamnation accablante de la politique d'infection massive et mortelle adoptée par l'ensemble de l'establishment politique.

Un membre des Forces armées canadiennes travaillant dans une maison de retraite du Québec. (Ministère de la défense du Canada)

Même les projections les plus conservatrices de l'agence soulignent la gravité de la situation et l'urgence de fermer les entreprises non essentielles et l’école en personne. L'ASPC prévoit qu'il y aura 20.000 cas de COVID-19 par jour d'ici la fin décembre – l'équivalent de 200.000 cas par jour aux États-Unis – si les contacts sociaux restent au niveau actuel. Si les autorités devaient imposer des mesures de contrôle supplémentaires limitées, ce à quoi les gouvernements et les partis de l'establishment du Canada continuent de s'opposer, la modélisation de l'ASPC montre que les cas de COVID-19 augmenteront jusqu'à 10.000 par jour d'ici la fin de 2020.

Les nouveaux décès et infections atteignent déjà des niveaux effrayants dans tout le Canada. Cent nouveaux décès ont été signalés mercredi, suivis de 79 autres jeudi, ce qui porte le nombre de décès dus à la COVID-19 à 11.265. Les deux jours, les nouvelles infections ont dépassé les 4600, soit plus du double de la moyenne quotidienne d'il y a à peine un mois. Theresa Tam, administratrice en chef de la santé publique, a souligné la gravité de la situation en lançant un avertissement le 13 novembre, la dernière fois qu'elle a présenté les projections de COVID-19: «Des incendies se déclarent dans de nombreuses régions différentes».

Si l'élite dirigeante continue à déterminer la manière dont la pandémie est gérée, il y a tout lieu de croire que les prévisions les plus négatives de l'ASPC concernant les nouvelles infections quotidiennes se réaliseront, entraînant des pertes de vies humaines massives et totalement inutiles.

Il existe des preuves irréfutables que les milieux industriels et éducatifs servent de vecteurs majeurs pour la propagation de la COVID-19. Mais malgré la hausse rapide du nombre de cas dans toutes les provinces en dehors de la «bulle atlantique», les premiers ministres de toutes les tendances politiques sont déterminés à maintenir ouverte les entreprises non essentielles, en particulier l'industrie manufacturière, la construction et le secteur des ressources naturelles, et à obliger les enfants à aller à l'école en personne pour que leurs parents puissent continuer à travailler.

Le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, qui a assoupli la plupart des restrictions limitées sur les activités commerciales et récréatives alors même que les cas de coronavirus ont explosé ces dernières semaines, a clairement indiqué lors d'une conférence de presse jeudi que son gouvernement prévoit d'intensifier sa réouverture imprudente de l'économie. «L'endroit le plus sûr pour les enfants en ce moment est l'école», a affirmé Ford. Ceci est contredit par le fait que les chiffres récents de l'ASPC ont montré que les écoles étaient le lieu où il y avait eu le plus grand nombre d'infections en septembre, et qu'elles étaient en deuxième position en octobre, derrière les établissements de soins de longue durée.

Le système de santé de l'Ontario est au bord de l'effondrement. Si les nouvelles infections augmentent à un taux de 5 %, on estime que plus de 400 patients pourraient avoir besoin de soins intensifs au cours des six prochaines semaines. Selon le gouvernement provincial, le système de santé aura du mal à soutenir les soins non COVID-19 si 150 patients supplémentaires ont besoin d'un traitement en soins intensifs. Une fois que ce chiffre dépassera 350, le système de soins de santé ne sera plus en mesure de faire face à la situation.

Le Québec est toujours la province la plus touchée, avec plus de 125.000 cas et 6650 décès. Le virus se propage à nouveau par le biais des maisons de retraite, où la plupart des décès sont survenus lors de la première vague de la pandémie et où des milliers de travailleurs de la santé ont été infectés. Plus de la moitié des 3100 écoles de la province ont enregistré au moins un cas, des milliers d'élèves et de membres du personnel ayant contracté le virus depuis septembre. Entre-temps, le premier ministre François Legault refuse de fermer des écoles sous prétexte que la situation est «sous contrôle».

Le sabotage de tout effort global visant à contenir la pandémie et à sauver des vies n'est pas le produit de politiciens malavisés ou de querelles entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Au contraire, l'élite dirigeante s'est mise d'accord sur une stratégie meurtrière basée sur l'infection massive de la population dans le but d'atteindre une «immunité collective». André Picard, correspondant du Globe and Mail dans le domaine de la santé et lauréat de plusieurs prix, a récemment fait remarquer que les provinces canadiennes ont adopté la politique d'immunité collective antiscientifique définie dans la Déclaration de Great Barrington. Picard a déclaré sans ambages que «lorsque l'on passe outre les belles paroles», la déclaration affirme «que les profits comptent plus que les personnes, que nous devrions laisser le coronavirus se propager et, si les personnes vulnérables meurent au service de la croissance économique, qu'il en soit ainsi».

L'establishment politique est bien conscient que la protection de la richesse et des profits des super-riches impliquera d'accepter des niveaux de mortalité nettement plus élevés à mesure que les systèmes de soins de santé seront débordés. Lors d'une réunion avec les premiers ministres provinciaux la semaine dernière, le premier ministre Justin Trudeau a reconnu que la pandémie pourrait partir en vrille au point où les infections seraient si élevées que de nombreux malades graves ne recevront pas de traitement médical. «Il existe un seuil», a averti Trudeau, «au-delà duquel, lorsque le nombre de cas augmente trop, nous pourrions avoir à faire des choix très difficiles quant à l'utilisation des ressources limitées dont nous disposons».

Admettant tacitement que son gouvernement ne fournira pas le soutien financier nécessaire pour combattre la pandémie, il a rappelé aux premiers ministres que «les ressources ne sont pas infinies au gouvernement fédéral, qu'il s'agisse d'un soutien pour la recherche des contacts, d'un soutien supplémentaire pour les [équipements de protection personnelle], d'un soutien par le biais de l'armée ou de la Croix-Rouge».

Ce sont des mensonges méprisables qui doivent être rejetés de manière décisive par les travailleurs. L'expérience des dix premiers mois de la pandémie a montré que les ressources disponibles au Canada sont plus que suffisantes pour lutter contre la COVID-19. Cependant, elles sont monopolisées par une élite fabuleusement riche qui n'a aucune intention de laisser des choses comme les soins de santé vitaux et le soutien financier aux familles au bord du dénuement faire obstacle à l'accumulation de profits et à l'enrichissement des actionnaires.

Des millions de travailleurs ont subi des pertes de revenus substantielles en raison de la pandémie, qui n'ont même pas été compensées par les 2000 dollars par mois fournis comme rations par la Prestation canadienne d’urgence. En revanche, la situation des super-riches n’a jamais été aussi enviable. Les 20 milliardaires canadiens les plus riches ont vu leur fortune augmenter de 37 milliards de dollars depuis le mois de mars. C'est le produit direct du gouvernement Trudeau et de la Banque du Canada, qui ont fourni plus de 650 milliards de dollars aux grandes banques et à l'oligarchie financière sans pratiquement aucune condition. D'autre part, le gouvernement, avec le soutien des syndicats et des néo-démocrates, a déjà réduit l'aide financière aux travailleurs dans le cadre de leur campagne de retour au travail, qui est le principal moteur de la deuxième vague d'infections catastrophique.

Les principaux obstacles que les travailleurs doivent surmonter pour lutter contre la pandémie sont d'ordre politique et non médical. Si les vastes ressources existantes doivent être déployées de manière scientifique et humaine pour mettre fin à toute production non essentielle et renforcer considérablement le système de soins de santé afin de sauver des vies, elles doivent être confisquées à l'élite dirigeante. Cela ne peut être accompli que si la classe ouvrière intervient en tant que force politique indépendante dans la crise sanitaire et sociale actuelle. Ses demandes pour une réponse rationnelle et scientifique à la pandémie doivent être liées à une lutte politique plus large pour un gouvernement ouvrier engagé dans des politiques socialistes.

La fermeture des sites de production non essentiels et l'arrêt de l'enseignement en personne dans les écoles ne peuvent être efficaces que si les travailleurs et les parents contraints de rester à la maison reçoivent une indemnisation complète pendant toute la durée de la pandémie. Des milliards de dollars doivent également être investis dans le système éducatif afin de garantir un apprentissage en ligne de qualité pour chaque élève et de s'assurer qu'il puisse accéder aux soins sociaux et de santé mentale nécessaires en ces temps difficiles. Tous les travailleurs essentiels, y compris le personnel de santé et les travailleurs de la distribution alimentaire, ont besoin des meilleurs équipements de protection disponibles pour prévenir les infections, et non d'un approvisionnement imprévisible de masques et de vêtements de protection de qualité variable et d'utilité limitée.

Les travailleurs ont besoin de leurs propres organisations indépendantes pour lutter pour ces revendications. Le Parti de l’égalité socialiste appelle à la formation de comités de sécurité de la base dans chaque lieu de travail et école du pays pour faire avancer cette lutte. Ces comités doivent être créés indépendamment des syndicats et en opposition à eux. Ces derniers ont aidé et encouragé la campagne de retour au travail et à l'école de l'élite capitaliste et ont soutenu les aides massives du gouvernement libéral aux banques et aux sociétés.

Les syndicats ont qualifié d’«illégales» les grèves et les manifestations contre les conditions de travail dangereuses des enseignants, des travailleurs d’abattoirs et autres. Ils insistent sur le fait que le bien-être et la vie des travailleurs doivent être subordonnés à la génération de profits par les sociétés.

Les enseignants, les travailleurs industriels, les employés du secteur de la santé et d'autres sections de travailleurs à travers le Canada devraient créer un réseau de comités de sécurité de la base pour coordonner leur lutte pour une réponse à la pandémie qui donne la priorité à la sauvegarde des vies humaines plutôt qu'à l'accumulation de profits privés. Cela doit inclure la confiscation des vastes fortunes amassées par les super-riches pour financer les services de santé et les services publics essentiels et la réorganisation de la vie économique selon des principes socialistes. En luttant pour ces politiques, les travailleurs du Canada doivent unifier leur lutte avec celle des travailleurs des États-Unis, d'Europe et d'Amérique latine, où les travailleurs sont confrontés au même mépris criminel envers la vie humaine de la part des élites dirigeantes.

(Article paru en anglais le 20 novembre 2020)

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