Les travailleurs de la santé publique chiliens se mettent en grève nationale pour une durée indéterminée

Les travailleurs chiliens de la santé publique se sont mis en grève illimitée lundi, une semaine après que les négociations syndicales avec le ministère de la Santé n’aient pas abouti. Face à l’impact dévastateur de la pandémie, les travailleurs de la santé ont participé à des arrêts de travail, des manifestations et des marches pour obtenir une augmentation du budget de la santé, de meilleures conditions de travail, une reconnaissance officielle et des primes non payées.

Ce mouvement fait partie d’une vague de mobilisations relancée dans la seconde moitié du mois de novembre, appelant à la démission du président ulra-droitier Sebastián Piñera, détesté par le pays pour avoir déclenché la violence de l’État policier contre toute forme de protestation sociale.

Les travailleurs portuaires ont organisé un arrêt d’une journée pour faire pression sur le gouvernement. Ils veulent que ce dernier débloque des fonds du régime de retraite privatisé pour les familles afin de faire face au chômage de masse et à la pauvreté, causés par la crise économique. Des étudiants et des jeunes ont affronté la police anti-émeute dans la rue après qu’elle ait tiré sur des jeunes dans des centres de redressement. Leur principale revendication est la libération de quelque 2.000 manifestants détenus sans inculpation depuis plus d’un an.

La dernière grève de la santé a été motivée par le non-paiement de deux primes de productivité offertes chaque année depuis 2012 et d’un autre «bonus COVID bonus» qu’on leur avait promis. Les travailleurs de la santé s’opposent également aux menaces de coupes budgétaires pour 2021, après que le gouvernement a enfin augmenté tardivement les dépenses de santé de 2020, de manière inadéquate, pour atteindre un misérable 4 pour cent du produit intérieur brut, la première fois depuis des décennies.

Le système de santé publique a vu ses employés contraints de coudre des masques, porter des lunettes de protection de fortune et enfiler des sacs poubelles comme équipement de protection individuelle contre la pandémie. Le nombre de professionnels de la santé dont le test COVID-19 s’est révélé positif a atteint 37.510. Soixante-douze travailleurs sont morts par manque de ressources et de vêtements de protection. Le personnel a travaillé en équipes de 24, 36 et même 48 heures du au nombre élevé de travailleurs tombant malades, en plus d’effectifs insuffisants au départ.

Le dernier rapport du département d’épidémiologie (DEIS) montre que dans ce pays de 19 millions d’habitants, le nombre total cumulé de cas de COVID-19 depuis le 3 mars a atteint 622.165 cas (547.223 confirmés en laboratoire et 74.942 probables mais non confirmés). Le rapport, terminé le 26 novembre, constate que 20.439 personnes sont mortes (15.322 confirmés en laboratoire, 5.117 suspectés).

Le système public de santé, chroniquement sous-financé, manquant de ressources et de personnel, soigne plus de 80 pour cent de la population qui souscrit au Fonds national de santé (FONASA). Même avant la pandémie, jusqu’à 21.000 personnes mouraient chaque année inscrites sur des listes d’attente. Les patients hospitalisés sont obligés d’apporter leurs propres pansements, médicaments et autres fournitures.

En mai, juin et juillet dernier — à ce jour les pires mois de la pandémie au Chili — le plus grand système hospitalier public du pays, celui du Grand Santiago, s’est effondré et on a transféré les patients dans des centres régionaux. On n’a pu transférer aucun patient dans le deuxième plus grand système hospitalier du pays, dans la région de Valparaiso, qui avait également atteint le point de saturation.

Les ambulances se trouvaient bloquées avec leurs patients atteints de COVID pendant plus de 15 heures. Le personnel a reçu pour instruction de suspendre les quarantaines préventives de manière anticipée et de reprendre le travail. On a même réduit les pauses déjeuner à 15 minutes. Les patients sous les tentes de campagne ont dû attendre trois à quatre jours avant d’être admis dans une unité de soins intensifs.

Les pénuries de personnel et d’équipement et l’approche ouvertement cavalière du gouvernement droitier face à la pandémie n’étaient pas juste du à un manque de prévoyance, mais plutôt à une politique consciente de l’État. Dès le début de l’épidémie, la communauté scientifique a critiqué le refus du ministère de consulter et de vouloir dissimuler les statistiques sur la pandémie plutôt que de les rendre transparentes. Depuis, on a révélé que l’ancien ministre de la Santé Jaime Mañalich a délibérément minimisé l’étendue de la contagion et a fourni de fausses données au public.

Mañalich s’est également opposé catégoriquement à suivre l’appel de la communauté scientifique en faveur d’une quarantaine nationale préventive et de mesures de distanciation sociale dans les centres urbains dès le début de la pandémie. Il a bien plutôt mis en place une politique meurtrière de confinement «dynamique». Cela consistait à laisser la maladie se propager avant de réagir à l’épidémie et alors seulement à mettre une commune en ou hors confinement, selon des critères arbitraires. Une manœuvre calculée pour empêcher le plus longtemps possible l’octroi de ressources financières au système de santé en difficulté et des mesures sociales d’urgence pour aider la population pauvre.

Prétendant que le virus deviendrait bénin, Mañalich a également promu une dangereuse politique d’«immunité collective», affirmant que le pays avait atteint une «nouvelle normalité» pour justifier la reprise de l’activité économique, notamment dans le secteur minier.

Le ministre détesté a dû démissionner en juin. Mais son remplaçant, Enrique Paris, a clairement indiqué dans sa première déclaration qu’il était «un ministère… de la continuité». Dès le début de la pandémie, il a excusé l’inaction criminelle du gouvernement et a rejeté les mesures de quarantaine totale, les qualifiant de «solution populiste». Paris a mis en place sa propre politique d’immunité collective, connue sous le nom de plan «pas à pas», qui a permis la réouverture des écoles, la suppression des quarantaines et du confinement, la relance de l’activité économique et la réouverture du pays au tourisme international.

L’arrivée de Paris a donné un répit au gouvernement, car l’ensemble de l’establishment politique chilien a été profondément compromis par Mañalich, considéré à juste titre dans la classe ouvrière comme un menteur et un voyou sociopathe criminellement irresponsable.

Un signe de cette attitude a été le nombre croissant de protestations concernant le manque d’équipements de protection et l’insuffisance de lits dans les unités de soins intensifs, qui ont éclaté dans les hôpitaux de tout le pays et, plus important encore, ont éclaté hors du contrôle des syndicats. En septembre, les techniciens infirmiers ont commencé à organiser des manifestations hebdomadaires. L’État a violemment réprimé ces dernières en envoyant la police paramilitaire et des carabiniers qui ont utilisé des canons à eau et des gaz lacrymogènes et fait de multiples arrestations.

Paris a déclaré qu’il «recevrait des opinions divergentes» et a appelé «à ce que tout le secteur de la santé se réunisse et travaille ensemble». Ces déclarations n’ont été faites que pour la consommation publique, car il a fait obstruction à toutes les demandes des travailleurs de la santé. Mais cette approche a permis au gouvernement d’utiliser les services des partis de la gauche parlementaire – les nationalistes économiques autour du Parti socialiste chilien, les fronts du Parti communiste stalinien chilien et le Frente Amplio, un agglomérat pseudo de gauche – qui ont lancé une campagne juridique de diversion contre l’ancien ministre.

La gauche parlementaire domine également la direction des syndicats. On a transformé ces derniers en instruments corporatistes du patronat et du gouvernement. Maintenant on les utilise pour stimuler les augmentations de productivité, les réductions de salaire et la destruction d’emplois, permettant ainsi au Chili de devenir le pays le plus inégalitaire de l’OCDE sur le plan social.

Pendant la pandémie, ce sont les syndicats, et la pseudo-gauche qui les contrôle, qui ont accepté un retour au travail dans le secteur minier et d’autres secteurs de l’économie. Ils ont accepté un gel des négociations collectives ainsi que des réductions de salaires. Ils ont soutenu le licenciement de centaines de milliers de travailleurs du secteur privé au profit des employeurs et ont refusé d’appeler à toute action syndicale contre la pauvreté, la faim, l’insécurité et les expulsions impactant la classe ouvrière. Ils ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour étouffer toute lutte indépendante, organisant des actions puériles et favorisant des appels parlementaires vides de sens pour démoraliser les travailleurs.

Dans une déclaration éloquente, Patricia Valderas, présidente de la Fédération nationale des travailleurs de la santé (Fenats), a déclaré récemment que le syndicat se mettait en grève jusqu’à ce qu’on apporte des réponses aux demandes «formulées depuis des années», c’est-à-dire que les terribles conditions dont souffrent les professionnels de la santé sont antérieures de «plusieurs années» à l’apparition de la pandémie.

«Après huit mois de conversations avec le ministère, trois mobilisations nationales et deux jours de grève sans aucune réponse satisfaisante du gouvernement actuel, nous avons décidé d’appeler à une grève nationale indéfinie», a-t-elle dit, menaçant de continuer jusqu’à ce que «nous obtenions une réponse décente du gouvernement».

Paris s’est réjoui du fait que les mobilisations «ont une adhésion de 0,49 pour cent, et cela me rend heureux». Seul un tiers de la population active a été appelé à des arrêts de travail sporadiques.

La gauche parlementaire et les organisations politiques, économiques et sociales qu’elle domine constituent le plus grand obstacle à l’affirmation par les travailleurs de la santé de leurs intérêts indépendants. Les travailleurs doivent briser l’emprise de ces organisations nationalistes et opportunistes et leur tentative de lier la classe ouvrière à l’État capitaliste.

Les travailleurs de la santé ne peuvent défendre leur sécurité et leur vie, et améliorer des conditions de travail multiples, qu’en se tournant vers la classe ouvrière internationale et vers une perspective révolutionnaire. Leurs alliés ne sont ni la gauche parlementaire ni l’appareil syndical bureaucratique, qui représentent l’une ou l’autre des factions de la classe dirigeante, mais leurs collègues travailleurs de la santé en Argentine, au Brésil, aux États-Unis et ailleurs, qui sont confrontés aux mêmes dangers.

De nouveaux organes de lutte doivent être construits, où les travailleurs de la santé de base prennent les décisions et qui s’allient à leurs frères et sœurs dans une campagne internationale contre le capitalisme et ses politiques meurtrières. Telle est la perspective du Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article paru d’abord en anglais le 2 decembre 2020)

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