Les Verts australiens et les crimes de guerre en Afghanistan: hypocrisie, lamentations et soutien du militarisme

En réponse au rapport officiel Brereton qui a trouvé des «informations crédibles» que les soldats des forces spéciales australiennes en Afghanistan y ont assassiné au moins 39 civils et prisonniers, l'ensemble de l'establishment politique s’est démené pour minimiser l'ampleur de ces crimes de guerre et faire la promotion de l'armée comme d’une «institution nationale» cruciale.

Les Verts ne font pas exception. Tout en feignant la «détresse» quant aux meurtres, ils n'ont rien dit sur la responsabilité de gouvernements australiens successifs dans l'occupation néocoloniale et les crimes de guerre qui en ont résulté. Et ils ont fait des propositions visant à donner aux futures guerres prédatrices une feuille de vigne démocratique.

Leur participation la semaine dernière à une campagne nationaliste hystérique contre une condamnation chinoise de ces crimes de guerre illustre bien le rôle des Verts.

Le chef des Verts australiens Adam Bandt, le 18 mars 2019 (Photo: Julian Meehan/Wikipedia)

Zhao Lijian, un responsable chinois de rang intermédiaire, avait publié un tweet exprimant le choc face à ces meurtres et appelé les responsables à rendre des comptes. Le Tweet était accompagné d'un dessin caricatural montrant un soldat australien tenant un couteau sous la gorge d'un enfant afghan, en référence aux meurtres documentés dans le rapport Brereton.

Malgré le caractère factuel du tweet, il a déclenché une fureur non dissimulée de la part du gouvernement libéral-national, l’opposition travailliste et les grands médias. Le ‘post’ Twitter a été présenté de façon absurde comme un crime bien plus grave que les meurtres, la torture et les exactions perpétrés par l'armée australienne.

Les Verts se sont immédiatement alignés sur le gouvernement et les travaillistes. Leur chef, Adam Bandt, a tweeté que l'image était «méprisable». «La critique du bilan de l'Australie en matière de droits de l'homme est légitime, mais ce n'est pas là la façon de procéder», a-t-il écrit, avant d'approuver l’exigence du Premier ministre Scott Morrison de supprimer le tweet.

Comme des commentaires l'ont noté en réaction, il s'agissait là du premier message de Bandt sur Twitter mentionnant l'Afghanistan depuis la publication du rapport Brereton, le 19 novembre. Bien qu'utilisateur prolifique de Twitter, le dirigeant des Verts ne s’est pas donné la peine de commenter sur les meurtres mêmes, par contre il est entré en action pour défendre l'armée et soutenir la campagne anti-Chine.

Bandt a déclaré que «l'accent doit être mis sur les crimes, les victimes, le processus judiciaire…» Malgré la référence alambiquée aux «victimes», il s'agissait bien là d'une approbation de l’enquête Brereton (la propre enquête de l’armée) et d'une tentative de vanter la fraude qu'elle aboutirait à la «justice».

En réalité, l'enquête secrète qui s’est éternisée pendant plus de quatre ans, était la continuation d'une longue dissimulation de ces crimes, dont la plupart ont eu lieu entre 2009 et 2013. Son rapport est fortement expurgé et se concentre sur l'insistance farouche que le commandement militaire au-delà du grade de sergent, tout comme les gouvernements, n’ont rien su des meurtres lorsqu'ils se sont produits. David McBride, un ancien avocat militaire qui a dénoncé certains des crimes, encoure toujours un procès secret et des décennies de prison pour enfreinte aux lois sur la sécurité nationale.

Entre temps, les ministres du gouvernement ont déclaré que les poursuites contre les soldats impliqués pourraient prendre jusqu'à une décennie, si jamais elles se concrétisent. Les régiments des forces spéciales ne seront pas dissous. L'enquête et le rapport visent au contraire à redorer leur blason, pour s'assurer qu'ils puissent être déployés dans les guerres futures.

Si les Verts ont exprimé leur «inquiétude» à propos de cette opération de blanchissement, c'est du point de vue de lui donner une couche de vernis de «responsabilité» supplémentaire.

Une déclaration du «porte-parole de la paix» du parti, le sénateur Jordan Steele-John, a appelé les généraux Angus Campbell et Richard Burr à démissionner. Ils sont chargés de mettre en œuvre les recommandations de Brereton, même si Campbell était responsable des troupes australiennes au Moyen-Orient et en Afghanistan entre 2011 et 2012, lorsque de nombreux abus ont été commis. Burr était un commandant des forces spéciales en Afghanistan.

Steele-John a déclaré qu'ils devraient se tenir à l'écart pour «permettre aux recommandations de l'enquête afghane d'être mises en œuvre sans aucun conflit d'intérêts réel ou perçu, et faciliter les enquêtes en cours de la police fédérale australienne». De manière révélatrice, il a déclaré que sa motivation était d'assurer la «confiance du public» et d'éviter que «le processus» ne soit «sapé».

Précisant qu'il ne contestait en aucun cas la dissimulation officielle, Steele-John a appelé Campbell et Burr à « partir dans l’intérêt des forces de défense australiennes». S'ils ne le faisaient pas, a-t-il déclaré, le Premier ministre «devrait les renvoyer».

Les Verts proposent à nouveau une législation qui exigerait « l'approbation parlementaire avant que les troupes australiennes ne soient envoyées en guerre ».

Une déclaration du parti du 30 novembre précise le caractère militariste droitier de cette initiative. Elle ne vise pas à mettre fin à la guerre impérialiste, mais à faire en sorte que les «échecs stratégiques» tels que les bourbiers d’Irak et d’Afghanistan soient évités et que les troupes australiennes soient déployées dans «l’intérêt national».

Bandt a déclaré: «En vertu du projet de loi des Verts, l'ensemble du Parlement - pas seulement le gouvernement - recevra des mises à jour régulières sur la nécessité d'envoyer nos forces armées à l'étranger, ainsi que sur les actions de nos soldats une fois leurs bottes sur le sol étranger.. » En d'autres termes, il y aura plus de guerres, mais elles nécessitent une façade démocratique et ce que la déclaration décrit comme une « direction stratégique », y compris de la part des députés verts.

Plus remarquable encore, cette déclaration présente les États-Unis comme un modèle à imiter. « L'Australie doit rejoindre d'autres pays avancés comme les États-Unis, l'Allemagne et la Suède qui se protègent contre les décisions unilatérales du gouvernement », a déclaré Bandt, vantant une obligation nominale, et régulièrement bafouée, pour une approbation du Congrès avant que les troupes américaines ne soient envoyées à l'étranger.

Bandt a ainsi promu la puissance impérialiste qui a lancé plus de guerres agressives qu'aucune autre au cours des cent dernières années, avec le soutien de bon gré de son congrès. Les États-Unis, avec l'aide d’alliés comme l'Australie, ont mené des interventions et des occupations militaires continues au cours des 30 dernières années, tuant des millions de personnes et détruisant des sociétés entières.

Cette position pro-guerre des Verts est une continuation de leur soutien prolongé au militarisme impérialiste, en accord avec leur caractère de parti pro-capitaliste de la classe moyenne supérieure.

L'Afghanistan en est un bon exemple. Lorsque l'invasion menée par les États-Unis a été lancée à la fin de 2001, les Verts ont promu l'affirmation frauduleuse selon laquelle les États-Unis visaient cette nation opprimée pour mettre en déroute les terroristes après les attaques du 11 septembre. Cela dissimulait le fait qu'une guerre contre l'Afghanistan, visant à assurer le contrôle des ressources du pays et une plus grande présence dans la région géo-stratégiquement critique d'Asie centrale, avait été discutée dans les cercles dirigeants américains tout au long des années 1990.

Le chef des Verts d’alors, Bob Brown, déclara que la guerre était une «chasse aux terroristes». «L'engagement de l'Australie devrait être sous les auspices des Nations Unies», a-t-il déclaré au début de 2002.

En 2003, les Verts se présentèrent comme des opposants à l'invasion illégale de l'Irak par les États-Unis. Le parti avait cependant soutenu des sanctions paralysantes contre cette nation du Moyen-Orient qui ont tué au moins un demi-million d'enfants, ainsi que d'autres provocations impérialistes.

Leur position quant à l'invasion était d'un caractère entièrement tactique. Brown a mis en garde à plusieurs reprises contre l'enlisement des troupes australiennes au Moyen-Orient, préconisant plutôt leur plus grand déploiement dans le Pacifique Sud, pour soutenir les intérêts impérialistes australiens dans « notre arrière-cour ».

Au cours des années suivantes, Brown avertit également que l'occupation de l’Afghanistan était devenue «une cause perdue» et manquait de «stratégie claire».

Dans la pratique cependant, les Verts ont continué à soutenir la guerre. En réponse aux révélations de 2008 selon lesquelles des soldats australiens avaient gardé des combattants talibans présumés, dont au moins un était âgé de plus de 70 ans, dans des cages à chiens, Brown a publié une déclaration intitulée «Les troupes doivent bénéficier d’un meilleur soutien ».

La «violation apparente de la convention de Genève», a écrit Brown, «indique que le gouvernement n'a pas fourni de soutien pour garantir des dispositifs adéquats de transfert et de détention. Nos soldats font beaucoup pour maintenir de bonnes relations avec les Afghans et de tels incidents ne sont pas utiles. »

En 2010, les Verts ont lancé une fausse campagne pour un débat parlementaire sur l'occupation. Brown s'est plaint que l'occupation n'avait pas réussi, « parce que Bush, Howard et d'autres comme Tony Blair ont géré désastreusement leur domination internationale en 2001-2003 ».

Lors du débat, Brown a commencé par déclarer que les Verts «soutiennent totalement nos troupes en Afghanistan […] Indépendamment de leur allégeance politique, ce corps politique remercie les Australiens en Afghanistan et envoie nos félicitations pour leur service à la demande du gouvernement et pour la cause de la nation ».

Bandt a déclaré: «Les Verts ne s'opposent pas au déploiement en Afghanistan sur la base d'une opposition absolue à l'utilisation de la force militaire ou d'un manque d'engagement envers nos troupes.»

Au lieu de cela, les Verts ont réitéré leur appel à une plus grande concentration pour assurer la domination australienne sur «notre arc de stabilité au nord», y compris par des interventions impérialistes dans la région.

En juin 2010, le Premier ministre travailliste Kevin Rudd a été évincé lors d'un coup d'État politique orchestré par des «sources protégées» de l'ambassade des États-Unis dans la bureaucratie travailliste et syndicale. Son retrait était motivé par l'hostilité des États-Unis à un vague calendrier de «deux à quatre ans» pour le retrait de l'Australie d'Afghanistan, et par les appels de Rudd à Washington pour qu'il fasse des accommodements limités à l'influence croissante de la Chine dans la région Asie-Pacifique.

Julia Gillard, la remplaçante de Rudd, a rapidement déclaré que les troupes resteraient en Afghanistan pendant au moins une décennie.

Après les élections fédérales d'août 2010, les Verts ont conclu une alliance formelle pour appuyer le gouvernement minoritaire de Gillard. Le parti a fourni au gouvernement une garantie de soutien au moment où ce dernier alignait l'Australie sur une importante «poussée» américaine en Afghanistan et une vaste montée en puissance militaire américaine dans la région Asie-Pacifique, dirigée contre la Chine.

Lorsque le président américain Barack Obama a annoncé le «pivot vers l'Asie», un plan global de guerre avec la Chine, au Parlement australien en 2011, Brown et Bandt ont été parmi les premiers parlementaires australiens à lui serrer la main. L'escalade de la campagne américaine contre la Chine va de pair avec l'insistance des Verts à assurer l'hégémonie américaine et australienne en Asie-Pacifique.

Dès lors, le soutien des Verts à la guerre est devenu plus ouvert. En 2011, le parti fit campagne pour l'imposition d'une «zone d'exclusion aérienne» au-dessus de la Libye, ouvrant la voie à un bombardement des États-Unis et de l’OTAN qui a détruit ce pays. Les Verts ont également promu l'opération de changement de régime menée par les États-Unis en Syrie, qui a impliqué le financement, l'armement et la formation des forces d'Al-Qaïda par la CIA, pour renverser un gouvernement aligné sur la Russie.

(Article paru en anglais le 7 décembre 2020)

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