Le Royaume-Uni et l'Union européenne (UE) ne sont pas encore parvenus à un accord sur les relations futures de la Grande-Bretagne avec le bloc commercial européen, malgré les crises croissantes dans les deux camps en train de négocier.
Quelle que soit l’issue, elle s’avéra être une étape dans la descente vers des conflits commerciaux et militaires entre les puissances impérialistes rivales de l’Europe et ouvrira la voie à une nouvelle attaque des conditions de vie des travailleurs en Grande-Bretagne et sur le continent.
Après que les pourparlers entre le négociateur en chef du Royaume-Uni, David Frost et son homologue européen Michel Barnier ont été annulés à nouveau vendredi soir, le Premier ministre Boris Johnson et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen se sont parlés au téléphone samedi. Une déclaration commune a reconnu que «des désaccords importants subsistent» et a annoncé qu '«un effort supplémentaire devrait être entrepris par nos équipes de négociation pour évaluer s’ils peuvent être résolus.»
Les négociations ont repris dimanche et lundi, mais les deux parties n’ont signalé «aucun progrès tangible». Lors d'un deuxième appel téléphonique entre Johnson et von der Leyen lundi soir, tous deux ont convenu d'une réunion en personne cette semaine pour discuter des «désaccords restants». Cette réunion a eu lieu mercredi.
En vertu de la loi, la Grande-Bretagne quitte l'Union européenne et son marché commun à minuit le 31 décembre. S'il n'y a pas d'accord, le Royaume-Uni et l'Europe conduiront leurs échanges commerciaux selon les conditions de l'Organisation mondiale du commerce, nécessitant la mise en place de tarifs, de quotas et de contrôles douaniers.
Pour que les travailleurs soient en mesure de se battre pour leurs propres intérêts dans cette crise inéluctable, il est nécessaire de démentir la propagande gouvernementale et le bavardage médiatique sans fin afin de clarifier les véritables intérêts de classe en jeu.
L'axe central des négociations met en évidence le caractère totalement réactionnaire de cette brouille entre puissances impérialistes totalement hostiles aux intérêts des travailleurs européens.
Le désaccord le plus fondamental entre les deux camps concerne les soi-disant «règles du jeu équitables» et les moyens de les faire respecter. Les États membres de l'UE sont formellement liés par des lois administrant la protection des travailleurs et de l'environnement. Mais ces protections, le résultat de décennies de lutte de la classe ouvrière, ont déjà été massivement érodées depuis le début de la mondialisation et la transformation des partis sociaux-démocrates et des syndicats en agents directs de la grande entreprise. Avec l'intensification de la crise mondiale du capitalisme, en particulier depuis le krach financier de 2008, et le virage mondial vers la guerre commerciale, toutes les classes dirigeantes visent à détruire ce qui reste de ces protections pour assurer leur compétitivité mondiale.
La décision du Brexit – à la tête de laquelle il y a les sections les plus rapaces de l'élite dirigeante britannique, en faveur d’un programme de transformation du Royaume-Uni en «Singapour-sur-Tamise» non réglementé – est censé donner à la Grande-Bretagne une longueur d'avance dans cette course vers le bas.
Le gouvernement Johnson cherche à exploiter cet avantage et à positionner le Royaume-Uni en tant qu'économie mondiale de la flibuste tout en maintenant un accès facile à l'énorme marché commun de l'UE, qui représente plus de 40 pour cent de ses échanges, et permet aux capitalistes britanniques de faire d'énormes gains grâce à une exploitation accrue de leur main-d'œuvre. Cela trouve son expression la plus crue dans sa volonté d'établir des « ports francs » déréglementés – un objectif de longue date du ministre des Finances Rishi Sunak, les appels d’offres pour de nouveaux sites ayant commencé le mois dernier et le premier port devant ouvrir à la fin de l'année prochaine.
L'UE s'efforce de bloquer cette stratégie jusqu'à ce qu'elle puisse accélérer sa propre destruction des protections sociales restantes et rivaliser au niveau des prix réduits de la Grande-Bretagne. Ses négociateurs insistent sur le fait que la Grande-Bretagne doit maintenir un «alignement réglementaire» avec l'UE sous peine de tarifs et taxes élevés et de quotas stricts. Les principales puissances européennes, la France et l'Allemagne, ont clairement montré leur unanimité sur cette question.
Les membres de l'UE sont également confrontés à des limitations quant à l'octroi d'aides d'État aux entreprises privées, comme moyen d’imposer la concurrence sur le marché – une autre composante des «règles du jeu équitables» exigées par l'Europe. Ces mesures sont sapées par la tendance mondiale au protectionnisme et au nationalisme illustrée par le Brexit. La Grande-Bretagne a l'intention de se libérer de ces limitations.
Les désaccords concernant la politique étrangère et militaire ne sont absolument pas mentionnés dans les négociations, ni dans les médias. La France est apparue comme le défenseur de la ligne dure dans les négociations avec le Royaume-Uni, ce qui reflète sa volonté de voir l'Europe développer une «autonomie stratégique» par rapport aux États-Unis.
Alors que la Grande-Bretagne a longtemps fonctionné comme le fer de lance de l'impérialisme américain en Europe, la France envisage un Royaume-Uni en relation étroite avec l'Europe mais avec des contrôles beaucoup moins contraignants de son action, comme contraire à ses propres ambitions économiques et militaires sur le continent.
Malgré ces vifs conflits, aucun des deux camps ne veut forcer une rupture, s'appuyant plutôt sur la stratégie de la corde raide pour extraire des concessions de l'autre. Lundi, Johnson a promis de ne pas enfreindre le droit international avec son projet de loi sur les marchés intérieurs – qui renie les accords juridiques précédents avec l'UE sur la frontière nord-irlandaise et devait être adopté cette semaine – si un accord était conclu. Mardi, le gouvernement britannique a annoncé qu'il abandonnerait les clauses illégales du projet de loi après avoir conclu un accord spécifique avec l'UE sur l'Irlande du Nord, dans ce qui est largement interprété comme un rétropédalage du Royaume-Uni.
L'UE a joué son avantage mardi en annonçant qu'elle serait prête à poursuivre les négociations dans la nouvelle année. Cela impliquerait la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE sans accord en place le 1er janvier, entraînant d'énormes dommages économiques et plaçant le gouvernement britannique sous une pression immense pour obtenir un accord. La France avait auparavant menacé de mettre son veto à tout accord qu'elle jugerait «précipité» à la dernière minute. Le gouvernement Johnson a répondu: «Nous avons clairement indiqué que la future relation devait être tranchée d'ici la fin de l'année, et les négociations ne se poursuivront pas l'année prochaine.»
En essayant d'éviter un Brexit «sans accord», le Royaume-Uni et l'UE mettent leurs intérêts prédateurs dans la balance contre la situation intérieure explosive dans leurs pays et à l’international. Le Royaume-Uni figure déjà parmi les principales économies les plus touchées par la pandémie, l'OCDE y prévoyant une contraction de 6 pour cent d'ici la fin de 2021. Les prévisions concernant l'effet d'un Brexit «sans accord» sont universellement désastreuses. Un briefing confidentiel du Cabinet du premier ministre, fuité à la fin du mois dernier, mettait en garde contre un «choc économique systémique» provoquant un «mouvement social» et des «tensions communautaires» croissantes.
Cela aurait un impact sur une population déjà en ébullition face à la réponse meurtrière d’ «immunité collective» du gouvernement à la pandémie.
L'impact économique sur l'UE serait ressenti par les économies européennes qui sont les plus étroitement liées aux marchés britanniques, et un «no deal» menacerait la coopération militaire que l'Allemagne tient particulièrement à renforcer. Un Brexit «sans accord» porterait un coup politique à l'UE à un moment où elle est déjà confrontée à une menace croissante d’effondrement en raison de la montée des tensions nationales entre les pays clés, l'Italie, l'Espagne et les États d'Europe de l'Est, la Pologne et la Hongrie en particulier. Ces deux États membres bloquent un budget européen de plusieurs milliards d'euros pour protester contre les contreparties qu’on exige d’eux, selon lesquelles les gouvernements qui reçoivent un financement doivent respecter «l'État de droit».
L'autoritarisme flagrant de la Hongrie et de la Pologne est considéré comme un embarras pour l'UE, qui menace de mettre à nu sa prétention pourrie d'être le phare mondial de la démocratie. Mais la France et l'Allemagne ne sont pas susceptibles d’en faire cas, étant donné que leurs propres gouvernements confortent l'extrême droite, attisant l'islamophobie, donnant libre cours à la brutalité policière et des services de sécurité de l'État, et en criminalisant les musulmans et organisations de gauche, notamment le Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l'égalité socialiste) en Allemagne.
Tant le Royaume-Uni que l'UE sont dépendants du déroulement des événements aux États-Unis suite aux élections présidentielles de novembre. La victoire du démocrate Joe Biden, dont l'hostilité au Brexit est bien connue, a été une aubaine pour l'UE, dont les principales puissances espèrent désormais former un partenariat d'égalité avec l'impérialisme américain, basé sur une opposition à la Chine.
La stratégie du gouvernement conservateur sur le Brexit s'était fortement appuyée sur une adhésion servile au programme «l’Amérique d’abord» de Donald Trump et sur son hostilité envers l'UE. Johnson doit soit parvenir à un compromis acceptable au nouveau gouvernement démocrate, soit espérer le succès des efforts continus de Trump pour renverser le résultat des élections avec le soutien du Parti républicain.
Léon Trotsky expliqua dans « La guerre et la IV International » en 1934, en opposition au « patriotisme social » et au nationalisme, que la tâche des socialistes, et en fin de compte de la classe ouvrière était de « ne pas se lier en temps de guerre à l’État national, suivre la carte, non de la guerre, mais de la lutte des classes ». Il en va de même quant aux négociations du Brexit. Quel que soit le dénouement possible, le succès ou l’échec d’une puissance sur l’autre, signifiera une attaque intensifiée contre la classe ouvrière européenne et une escalade du militarisme mondial.
La tâche des travailleurs en Grande Bretagne et en Europe est d'organiser leur propre réponse à cette menace, sur la base d’un programme socialiste et internationaliste et de la lutte pour les Etats socialistes unis d'Europe. Telle est la perspective avancée par les sections européennes et les groupes sympathisants du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI): le Socialist Equality Party, le Parti de l'égalité socialiste, Sozialistische Gleichheitspartei et Sosyalist Eşitlik.
(Article paru en anglais le 9 décembre 2020)