Un débrayage d’enseignants force la fermeture d’une école de la région de Toronto touchée par une épidémie de COVID-19

Une école primaire dans un quartier ouvrier de Toronto a été contrainte de fermer jeudi dernier à la suite d'une grève des enseignants déclenchée par une épidémie massive de COVID-19. Des tests de masse effectués à l'école publique de Thorncliffe Park, entrepris pour localiser les porteurs asymptomatiques du virus, avaient permis de découvrir 26 cas parmi le personnel et les élèves.

Les autorités de santé publique ont initialement refusé de fermer l'école, suite aux directives du gouvernement conservateur de l'Ontario, qui est déterminé à maintenir les écoles ouvertes afin que les parents puissent aller travailler et générer des profits pour les grandes entreprises. Après la confirmation de 19 tests positifs, 348 élèves et 27 des 30 enseignants de l'école ont reçu l'ordre de s'isoler chez eux. Malgré cela, les responsables de la santé publique de Toronto ont soutenu que les cas provenaient d’en dehors des murs de l'école. Lorsque le nombre de cas confirmés est passé à 26 jeudi, les trois enseignants restants ont débrayé, forçant ainsi la santé publique de Toronto à ordonner la fermeture de l'école.

Le programme pilote de dépistage volontaire pour ceux qui ne présentent pas de symptômes a récemment été mis en place dans les écoles des quartiers les plus touchés de la province. Il a jusqu'à présent inclus des zones rouges à Ottawa, à Toronto et dans la région de Peel, dans la banlieue ouest de Toronto, qui a été durement touchée.

Dépistage de la COVID-19 à l'école publique de Thorncliffe Park (Twitter/@TPPS_TDSB)

Le ministre provincial de l'Éducation Stephen Lecce, qui a mené la campagne de réouverture des écoles du gouvernement provincial dirigé par Doug Ford, a défendu le refus de fermer l'école publique de Thorncliffe Park. «Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des élèves de l'Ontario sont exempts de COVID», a-t-il déclaré avec cynisme.

Lecce a également souligné le taux élevé de tests positifs dans la communauté, soit 16% contre 4% à l'école, pour affirmer que l'épidémie de Thorncliffe Park n'était pas due à une transmission dans l'école. Les journalistes se sont sentis obligés de souligner l'évidence, à savoir que le taux élevé de tests positifs dans la communauté était le résultat de tests plus nombreux chez les personnes symptomatiques et celles avec lesquelles elles ont été en contact étroit. En outre, la forte transmission dans la communauté au sens large ne fait que souligner la criminalité qui consiste à garder les écoles ouvertes alors que les cas de virus montent en flèche partout.

Les résultats des tests asymptomatiques indiquent à quel point le nombre d'infections est sous-déclaré. Dimanche, trois jours seulement après la fermeture de l'école publique de Thorncliffe Park, une deuxième école voisine, la Fraser Mustard Elementary Learning Academy, a été fermée jusqu'au 14 décembre. Sept cas y ont été confirmés.

Tout comme la communauté du nord-ouest de Toronto où un travailleur scolaire est mort du COVID-19 le mois dernier, Thorncliffe Park se trouve dans un quartier de la ville où les concentrations de cas positifs sont extrêmement élevées. Le quartier est une jungle de béton composée de tours d'habitation, largement peuplée d'immigrants vivant avec de faibles revenus. Employés dans des industries essentielles ou contraints de retourner au travail par la maigre assistance COVID-19 fournie par l'État, ils travaillent et vivent dans des conditions de surpeuplement idéales pour la propagation du virus. L'école est elle-même l'une des plus grandes écoles primaires du pays, bien qu'une grande partie du personnel et de nombreux élèves aient fréquenté l'école à distance pendant la pandémie.

En contraste frappant avec Thorncliffe, la communauté plus riche de Leaside qui se trouve juste à côté a rapporté le tiers d’infections.

La fermeture temporaire de Thorncliffe Park est due à l'action indépendante courageuse des enseignants: ceux que les syndicats font tout pour museler. Le syndicat des enseignants du primaire de Toronto (ETT) est intervenu dans le conflit afin de le confiner dans le carcan d'un «refus de travailler» selon le code des relations de travail propatronal de l'Ontario.

Après la fermeture de l'école, le vice-président de l'ETT a déclaré avec complaisance: «[La santé publique de Toronto] a toujours la capacité, sous la direction du ministère de l'Éducation, de prendre ce genre de décisions ... nous aurions espéré que cela se produise il y a plusieurs jours, mais mieux vaut tard que jamais».

Quelle fraude méprisable! Le refus des autorités de fermer l'école pendant plusieurs jours malgré les preuves d'une épidémie à grande échelle a mis en danger la vie des enseignants, des élèves et de leurs parents, et peut encore avoir des conséquences graves, voire fatales. S'il est vrai qu'il vaut mieux tard que jamais pour les bureaucrates bien payés de l'ETT, ce sont des questions de vie ou de mort pour les enseignants, les élèves et leurs parents, et pas seulement à Thorncliffe Park, mais dans toutes les écoles de l'Ontario et du Canada. Illustrant ce fait, une récente enquête auprès des membres publiée par l'ETT a révélé que 62% des plus de 1.000 personnes interrogées ne peuvent «jamais ou rarement» faire de la distanciation sociale dans leurs écoles.

Le musèlement des enseignants par l'ETT a joué directement en faveur du gouvernement Ford, qui a ordonné la réouverture du Thorncliffe Park mercredi, soit moins d'une semaine après sa fermeture. Aucune mesure de précaution n'a été signalée pour empêcher une nouvelle éruption du virus mortel.

L'hostilité de l'ETT à toute véritable lutte contre la pandémie par les enseignants et d'autres catégories de travailleurs est conforme au bilan des syndicats de l'éducation depuis l'éruption de la COVID-19. Tous les syndicats de l'éducation de l'Ontario ont été de connivence lors de la réouverture meurtrière des écoles en septembre, aidant à mettre en œuvre les dangereuses directives du gouvernement Ford pour forcer le retour à l'apprentissage en classe. En réponse au refus du gouvernement de répondre aux demandes des enseignants, qui réclamaient des classes plus petites, une meilleure ventilation, des cohortes moins nombreuses et le port obligatoire d'un masque, ils ont catégoriquement exclu toute grève ou toute action professionnelle. À la place, ils ont déposé un recours devant la Commission des relations de travail de l'Ontario (OLRB).

Comme on pouvait s'y attendre, l'OLRB a traîné les pieds pendant près d'un mois avant de rendre une décision. Dans l'intervalle, les enseignants et les élèves étaient entassés dans des salles de classe surpeuplées, et les écoles sont devenues l'une des principales sources de nouvelles infections à COVID-19 au Canada.

Finalement, l’OLRB s'est rangée du côté du gouvernement et a rejeté la plainte des syndicats début octobre, déclarant avec mépris qu'elle n'avait pas compétence pour se pencher sur son contenu. Les syndicats ont accepté cette décision scandaleuse sans la moindre opposition. Dans une absurde farce bureaucratique, les syndicats ont ensuite suivi à la lettre la décision de l'OLRB, même s'ils l'ont eux-mêmes décrite comme «une approche non sensée du problème de la pandémie». Ils ont demandé à leurs membres de déposer des plaintes individuelles auprès du ministère du Travail en fonction de situations spécifiques dans des écoles ou même des classes particulières. En fait, les syndicats ont dit aux enseignants d'attendre que le virus se propage, au risque d'innombrables vies, avant de lancer un humble appel aux mêmes institutions de l'État capitaliste qui sont responsables de la création des conditions dangereuses au départ. (Voir: La Commission des relations de travail de l'Ontario refuse d'entendre une affaire portée par les syndicats concernant la réouverture non sécuritaire des écoles)

Les syndicats ont déployé ces tactiques pour saboter un débrayage des enseignants dans une école primaire de Scarborough au début du mois de novembre, et de nouveau en réponse au dernier débrayage de Thorncliffe Park. Dans les deux cas, le résultat a été que les autorités ont été libres de rouvrir l'école en quelques jours, sans aucune protection supplémentaire. (Voir: Des enseignants d’une école de Toronto débrayent après une éclosion de COVID-19)

La multiplication des débrayages d'enseignants en Ontario, en opposition à la politique criminelle de l'élite au pouvoir qui consiste à garder les écoles ouvertes, est une évolution bienvenue. Mais les expériences vécues jusqu'à présent confirment que si l'on veut mener un véritable combat contre les conditions dangereuses dans les écoles, les enseignants doivent se libérer de l'emprise étouffante des syndicats et de leur subordination au système de relations de travail propatronales. Ce qu'il faut, c'est une lutte commune impliquant tous les enseignants et les travailleurs de l'éducation de l'Ontario et du Canada pour mettre un terme à tout apprentissage en personne jusqu'à ce que la pandémie soit maîtrisée; garantir le plein salaire de tous les parents contraints de rester à la maison pour s'occuper de leurs enfants; et veiller à ce que des milliards de dollars soient consacrés à la fourniture d'un apprentissage en ligne de haute qualité, y compris l'accès gratuit à l'internet et aux appareils électroniques pour chaque élève. Les ressources disponibles sont plus que suffisantes pour financer un tel programme, comme le montre le fait que les 20 milliardaires les plus riches du Canada ont gagné plus de 37 milliards de dollars depuis le début de la pandémie.

Pour organiser ce combat, les enseignants devraient suivre l'exemple de leurs collègues aux États-Unis en créant des comités de sécurité de la base, indépendants des syndicats, pour préparer d'urgence une grève visant à fermer toutes les écoles, à arrêter toute production non essentielle avec des salaires complets et à donner la priorité à la protection de la vie plutôt qu'au profit capitaliste.

(Article paru en anglais le 9 décembre)

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