Québec: les syndicats complotent avec le gouvernement contre les travailleurs de la santé

Les conventions collectives de plus d’un demi-million de travailleurs de la santé, de l’éducation et des autres services publics du Québec sont échues depuis mars dernier. Les «négociations» pour leur renouvellement sont menées depuis des mois dans le dos des membres de la base. Elles ont vu les syndicats du secteur public accepter entièrement le cadre fixé par le gouvernement, à savoir: la poursuite effrénée de l’austérité capitaliste. Syndicats et gouvernement intensifient maintenant leurs efforts conjoints pour imposer aux travailleurs de nouveaux contrats de travail remplis de nouvelles concessions.

La Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ), qui représente notamment les infirmières, a conclu mardi une entente de principe avec le gouvernement de la CAQ (Coalition Avenir Québec) qui maintient des conditions de travail intolérables et sert à diviser les infirmières des autres travailleurs du secteur public. Cette entente survient quelques semaines après qu’une première tentative ait été rejetée par des délégués syndicaux, qui craignaient une rébellion des membres de la base.

Ce qu’on appelle la «négociation collective» est en réalité une conspiration des appareils syndicaux procapitalistes avec le gouvernement pour imposer un nouvel assaut frontal sur les services publics et sur les travailleurs qui les fournissent.

Les syndicats, qui étouffent depuis des décennies la résistance des travailleurs face à l’austérité capitaliste, n’ont rien fait pour assurer des mesures de protection adéquates à tout le personnel médical durant la pandémie. Ni pour combattre les arrêtés ministériels adoptés par le gouvernement Legault pour s’arroger, sous le prétexte de la crise sanitaire, le pouvoir d’affecter le personnel à volonté, de modifier les horaires de travail, et d’annuler les vacances.

Plus généralement, les syndicats à travers le Canada collaborent à la gestion catastrophique de la pandémie de COVID-19 par l’élite dirigeante, et à ses efforts incessants pour garder «l’économie ouverte» – c’est-à-dire maintenir le flot des profits vers les marchés financiers et la grande entreprise, peu importe le coût en vies humaines. La campagne continuelle pour le retour au travail et la réouverture des écoles, malgré un virus hors de contrôle, se déroule avec le plein soutien syndical.

Tout effort sérieux pour enrayer la pandémie ayant ainsi été écarté, un danger mortel menace la population, et particulièrement les travailleurs de la santé qui combattent aux premières lignes. Au Québec seulement, l’Institut national de la santé publique fait état de 17.000 cas, 400 hospitalisations et 13 morts au sein du personnel médical.

L’entente pourrie de la FIQ

Un exemple frappant du rôle traitre des syndicats est fourni par les tentatives répétées de la FIQ pour imposer une entente sur les conditions de travail qui foule aux pieds les revendications des infirmières de la base.

Le 23 novembre, la présidente de la FIQ annonçait qu’une première entente conclue avec le Conseil du trésor permettrait «d’améliorer significativement les conditions de travail des infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes du Québec».

Ce projet d’entente était tellement pourri que les délégués furent contraints de le rejeter, par crainte d’une rébellion des membres de la base – qui bouillonnent de colère face à la surcharge de travail, l’épuisement, la pénurie de personnel et la baisse continuelle du salaire réel.

La FIQ avait gardé les membres de la base complètement dans le noir, ne dévoilant ni le contenu de la première entente de principe, ni la teneur des discussions avec les délégués.

Mais les informations ayant filtré démontraient le caractère mensonger des propos de Bédard. L’entente visait en fait à garder les travailleurs de la santé sans protection adéquate en pleine deuxième vague de COVID-19; et à maintenir des conditions de travail insoutenables.

La première entente rejetée s’alignait sur les principes du gouvernement de la CAQ, adepte de la privatisation, à savoir: aucunes ou peu de nouvelles embauches; pas de réinvestissements majeurs dans un réseau public de la santé ravagé par les coupes budgétaires; et forcer les travailleurs existants, déjà au bord de l’épuisement, à travailler davantage pour des miettes de plus.

On y retrouvait deux mesures principales:

1) augmenter les postes à temps complet, notamment dans les résidences pour aînés (CSHLD). Face à l'urgence sanitaire et au manque de personnel, la «solution» du gouvernement Legault est de faire travailler davantage les employés actuels. Même si certains travailleurs pourraient vouloir plus d’heures garanties, l’objectif du gouvernement n’est pas d’assurer «la stabilité» de l’emploi, comme le prétend la direction de la FIQ, ni de répondre aux besoins du système de santé, mais de contrôler les coûts.

2) inciter les infirmières à travailler 2 fins de semaine sur 3, ou 3 fins de semaine sur 4, au lieu d’une sur deux comme c’est le cas actuellement. Le gouvernement et la direction de la FIQ ont voulu dorer la pilule avec des primes pour les quarts de soir et de nuit, et le travail additionnel en fin de semaine. Les primes sont des montants forfaitaires qui ne sont pas comptabilisés pour le calcul des retraites.

Un nombre croissant d’infirmières et de préposés aux bénéficiaires dénoncent depuis des années des ratios soignants/patients qui sont inhumains. Il n’est pas rare que des infirmières, selon les endroits et les quarts de travail, aient plus d’une centaine de patients à suivre. L’entente contenait une vague promesse de diminuer ces ratios, mais seulement à partir de 2022, et seulement au niveau des centres de longue durée.

Les travailleurs s’étaient tournés vers les réseaux sociaux pour exprimer leur dégout envers cette première entente de principe, mais aussi envers la FIQ. Résumant l’état d’esprit général des travailleurs, l’un deux avait écrit sur Facebook: «Ils nous prennent pour des esclaves».

Montrant tout le mépris des bureaucrates syndicaux grassement rémunérés envers les travailleurs, la vice-présidente de la FIQ, Linda Lapointe, avait affirmé après le premier vote: «On ne peut pas leur dire [aux infirmières], eh oui, en 2021, wow, vous allez arrêter de faire du temps supplémentaire obligé».

Après le premier vote du 24 novembre, «on ne recommence pas à zéro», avait souligné Lapointe. «C’est juste une question de rendre le temps complet attractif». Sa principale préoccupation était clairement de trouver un moyen pour imposer les diktats gouvernementaux. Le 8 décembre, la FIQ a annoncé une seconde entente de principe, qui reprend telle quelle la première entente rejetée.

Cette nouvelle mouture ne contient que des changements mineurs, par exemple une légère augmentation des primes pour le travail en fin de semaine. Elle est assortie d’une «lettre d’entente» dans l’«objectif» de réduire «l'utilisation du temps supplémentaire» et le recours aux agences privées. C’est un exemple typique des promesses creuses du gouvernement que la direction de la FIQ cherche à faire passer pour des «gains majeurs».

Un programme de lutte

Le World Socialist Web Site appelle les infirmières et autres travailleurs de la base à rejeter l’entente de trahison conclue par la FIQ, et à mettre de l’avant leurs propres revendications:

* Pleine protection du personnel. Chaque travailleur de la santé doit être muni des équipements de protection individuelle (EPI), y compris les masques N-95, et avoir le droit de retrait avec plein salaire lorsque médicalement requis.

* Abolition des décrets ministériels.Cette violation flagrante des conventions collectives et des droits démocratiques les plus élémentaires doit disparaître.

* Augmentation substantielle des salaires.En tenant compte de l’inflation, les salaires dans la santé et tout le secteur public sont en baisse constante et marquée depuis des décennies. Un rattrapage salarial d’au moins 20 pour cent par année est nécessaire dans toutes les catégories d’emploi.

* Vaste programme d’embauches. Le réseau de la santé a été saigné à blanc par des décennies de compressions budgétaires et suppressions d’emplois. Des dizaines de milliers de travailleurs doivent être engagés pour soulager le personnel médical actuel, qui est à bout de souffle.

Ces revendications sont tout à fait réalistes. Contrairement au refrain de l’establishment dirigeant qu’il n’y a «pas d’argent», les ressources pour enrayer la pandémie et fournir à tous un niveau de vie décent existent amplement, mais elles sont accaparées par la classe capitaliste et les super-riches.

Une nouvelle stratégie est nécessaire

La lutte autour de ces revendications doit être basée sur une nouvelle stratégie: la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière contre le système de profit.

Les infirmières et tous les employés du secteur public sont confrontés non seulement au gouvernement Legault, mais à toute la classe dirigeante et à ses institutions: les marchés financiers, la police et les tribunaux.

Dans le cadre d’une contre-offensive ouvrière contre tout le programme d’austérité de la classe dirigeante québécoise et canadienne, il faut préparer dès maintenant une grève politique générale contre les décrets ministériels et la batterie de lois spéciales antigrève.

Comme l’ont démontré les récentes grèves spontanées des travailleurs de la santé en Alberta, ou les grèves d’infirmières et d’enseignants sur tous les continents, les travailleurs font face partout aux mêmes enjeux. C’est vers cette force sociale que les travailleurs du secteur public au Québec doivent se tourner.

Les infirmières et les travailleurs du secteur public doivent former des comités de sécurité de la base, complètement indépendants des syndicats procapitalistes. Faisant passer les vies humaines avant les profits, ces comités pourront assurer la protection du personnel de santé et du grand public, tout en défendant les emplois, les conditions de travail et les services publics.

La construction d’un réseau de comités de la base doit être liée à la lutte pour un gouvernement ouvrier voué à la réorganisation socialiste de la société afin d’utiliser les ressources disponibles pour satisfaire les besoins sociaux de tous, et non les profits d’une minorité.

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