Le sommet de l'Union européenne (UE) tenu les 10 et 11 décembre ressemblait à une dispute dans une forteresse assiégée. Il s'est déroulé au milieu de la crise sociale et économique la plus profonde à laquelle l'UE a été confrontée depuis sa fondation.
La pandémie de coronavirus devient incontrôlable. Chaque jour, plus de 5 000 personnes meurent du virus en Europe et plus de 200 000 sont nouvellement infectées, et les chiffres montent. La colère, l'indignation et la résistance grandissent contre les politiques irresponsables des gouvernements de tout le continent, qui ignorent tous les avertissements scientifiques et sacrifient les mesures de protection indispensables aux profits des grandes entreprises.
Les chefs d'État et de gouvernement se sont rencontrés en personne à Bruxelles pour la première fois après que les précédentes réunions du Conseil européen aient été en ligne. Ils ont opté pour cette approche risquée car les désaccords et les tensions avaient atteint un niveau qui ne pouvait plus être surmonté par des visioconférences.
Après des heures de négociations toute la nuit de jeudi à vendredi, ils ont finalement réussi à désamorcer les intenses conflits. Cela ne signifie pas pour autant que les désaccords aient été surmontés. Ce qui maintient l'unité de l'Union européenne à présent, c'est avant tout la peur qu’a la classe dirigeante de la classe ouvrière. Quand il s'agit de réprimer l'opposition sociale, de construire un État policier, de poursuivre une politique étrangère militariste et de faire de nouveaux cadeaux de milliers de milliards d'euros aux banques et aux grandes sociétés, ils sont tous d'accord.
Il est significatif que le Conseil européen n’ait débattu de la pandémie que de manière toute sommaire et n’ait décidé d’aucune mesure pour la contenir. Au lieu de cela, il s'est expressément félicité de « la coordination des efforts au niveau de l'UE jusqu'à présent » et s'est engagé à « renforcer cette coordination, en particulier en se préparant à une levée progressive des restrictions et à un retour à la normale des voyages, y compris le tourisme transfrontalier ».
Cela signifie que les gouvernements européens poursuivront leurs politiques actuelles, qui ont conduit au plus grand désastre sanitaire depuis la grippe espagnole d’il y a cent ans, et feront tout leur possible pour éliminer rapidement des mesures de protection déjà totalement inadéquates.
La décision la plus importante du Conseil européen a été l'adoption du budget de l'UE pour les sept prochaines années et le déboursement de 750 milliards d'euros du plan de relance économique, que l'UE avait déjà approuvé cet été. La Commission européenne dirigée par Ursula von der Leyen dispose ainsi de la somme gigantesque de 1.800 milliards d'euros dans les années à venir pour enrichir les banques et les grandes entreprises, corrompre les politiciens et faire rentrer dans les rangs les gouvernements récalcitrants.
La patronne de la Banque centrale européenne (BCE) Christine Lagarde a complété cette somme jeudi par un cadeau de Noël très spécial. La BCE a prolongé son programme d'achat d'urgence pour la pandémie jusqu'à fin mars 2022 et l'a élargi de 500 milliards d'euros. Le coût des obligations pourries que la BCE achètera auprès des banques et des spéculateurs passe ainsi à la somme incroyable de 1.850 milliards d'euros.
C'est la plus grande redistribution des richesses de l'histoire, car ces énormes sommes d'argent devront en fin de compte être remboursées par la classe ouvrière sous la forme de réductions des programmes sociaux et des salaires. Les bourses jubilent. Malgré la crise des coronavirus, les cours des actions européennes atteignent des sommets historiques. Jamais l'accumulation d'argent n'a été aussi complètement déconnecté du développement économique réel. S'il avait encore fallu une preuve du caractère parasitaire et antisocial de l’économie de profit capitaliste, celle-ci aurait à elle seule suffi.
Le budget et le plan de relance de l'UE étaient au bord de l’échec avant le sommet. La Pologne et la Hongrie avaient menacé d'y opposer leur veto. Ils voulaient ainsi faire tomber le mécanisme dit de «l'État de droit». En octobre, le Parlement européen et la Commission européenne s'étaient mis d'accord sur un règlement autorisant l'UE à suspendre les paiements aux États membres qui violaient les principes de l'État de droit inscrits dans le traité de l’UE. Cette décision visait la Hongrie et la Pologne, dont les gouvernements ont largement sapé l'indépendance de la justice et des médias.
La chancelière allemande Angela Merkel est intervenue personnellement avant le sommet pour parvenir à un accord avec le Premier ministre hongrois Viktor Orbán et son homologue polonais Mateusz Morawiecki, qui a ensuite été confirmé par le Conseil européen. Le mécanisme de l’État de droit reste en place et a été à nouveau solennellement invoqué dans les «conclusions» du sommet. Mais on l’a pourvu de tant de conditions préalables qu'il ne sera jamais appliqué dans la pratique. Orbán et Morawiecki ont célébré l'arrangement comme une victoire.
Pour l'UE, il ne s'est en tous cas jamais agi de principes démocratiques. La dérive de la Hongrie et de la Pologne vers des formes de pouvoir dictatoriales a avant tout été un obstacle à la politique étrangère agressive de l'UE, qu'elle aime couvrir de phrases sur les «valeurs occidentales» et la «démocratie». En effet, tous les gouvernements européens sont de plus en plus ouverts dans leur recours à des méthodes dictatoriales et fascistes pour réprimer la résistance croissante de la classe ouvrière.
Par exemple, 10 jours avant le sommet, l'Assemblée nationale française a adopté une «loi de sécurité globale» contre laquelle des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue. Elle interdit entre autres de filmer les violences policières et restreint massivement la liberté de la presse. Une loi anti-islam préparée par le gouvernement d'Emmanuel Macron, a des traits ouvertement racistes et foule aux pieds les droits démocratiques fondamentaux. La déclaration finale du Conseil européen ne mentionne pas directement cette loi, mais elle soutient son contenu.
Le thème de la « sécurité » occupe deux fois plus d'espace dans les « conclusions » du sommet de l'UE que le COVID-19. Les « récents attentats terroristes en Europe » en sont le prétexte. Si le Conseil européen n'a pas exprimé un mot de regret pour les 450 000 victimes européennes de la pandémie de coronavirus, il se répand en condoléances hypocrites pour les victimes de ces attaques réactionnaires – et en tire un vaste programme de surveillance de masse, de censure et de pouvoirs policiers accrus.
Il est « extrêmement important de prévenir la radicalisation et de prendre des mesures contre les idéologies sous-jacentes au terrorisme et à l'extrémisme violent, y compris sur Internet », dit la déclaration finale.
Le Conseil européen appelle à « intensifier la lutte contre les contenus illicites en ligne » et à «garantir que l'enseignement et la formation religieux sont conformes aux droits et valeurs fondamentaux européens ». Il était « essentiel que les forces de l'ordre et les autorités judiciaires soient en mesure d'exercer leurs pouvoirs juridiques en ligne et hors ligne pour lutter contre la grande délinquance ». La coopération et la coordination policières et judiciaires « doivent être renforcées ».
Le sommet de l'UE a mis le plus de temps à définir un objectif commun en matière de changement climatique. Il a finalement été convenu que les émissions de gaz à effet de serre devaient être réduites d'au moins 55 pour cent d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990 et que des capitaux publics et privés devaient être mobilisés à cette fin.
Mais comment cet objectif devait être atteint n'a pas été précisé, et il existe des désaccords considérables à ce sujet. Certains pays d'Europe de l'Est et la France, par exemple, veulent aller de l'avant avec l'expansion de l'énergie nucléaire, que d'autres rejettent inconditionnellement. De plus, cet objectif n'est censé être atteint qu'en termes nets; on pouvait le compenser par des mesures de reforestation d’autres mesures de conservation naturelle.
En matière de politique étrangère, le sommet a réaffirmé les prétentions impérialistes de l'UE dans la « Méditerranée orientale » et le « voisinage sud », c'est-à-dire en Afrique du Nord et en Afrique centrale. En Méditerranée orientale, l'UE « reste déterminée à défendre ses intérêts et ceux de ses États membres ainsi qu'à maintenir la stabilité régionale », indique la déclaration finale.
De fortes divergences sur la Turquie ont été contournées. D'une part, le pays a été fermement condamné; d'autre part, le Conseil européen a réaffirmé « l'intérêt stratégique de l'UE dans le développement d'une relation de coopération et mutuellement bénéfique avec la Turquie ». La Grèce, Chypre et la France n'ont pas pu imposer leur demande de sanctions sévères contre Ankara.
Dans l'ensemble, le sommet européen a été marqué par de violents conflits nationaux, qui continueront de s'intensifier. Face à une crise économique profonde et à des conflits sociaux croissants, les classes dirigeantes européennes défendent impitoyablement leurs propres intérêts et alimentent le nationalisme.
Cela était le plus visible dans la question qui a plané sur tout le sommet mais n'a pas été abordée: le Brexit.
La veille du sommet, le Premier ministre britannique Boris Johnson avait rencontré la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, pour un dîner à Bruxelles, mais aucun accord n'avait été trouvé. La probabilité d'un Brexit dur avec des ondes de choc correspondantes au 31 décembre a donc considérablement augmenté.
Johnson est depuis longtemps prisonnier des partisans droitiers du Brexit, qu'il a encouragés. L'UE n'est pas prête à faire des concessions car elle craint que d'autres pays n’en demandent à leur tour, sapant la domination franco-allemande et provoquant la désintégration définitive de l'UE. « Parce qu'une chose est claire: l'intégrité du marché intérieur doit être préservée », a déclaré la chancelière Merkel, expliquant la position dure de l'UE.
L'unité de l'Europe, indispensable pour faire avancer économiquement le continent et élever le niveau de vie général, n'est pas possible sur une base capitaliste. L'UE n'incarne pas l'unité de l'Europe; c'est un instrument de puissants intérêts capitalistes pour opprimer la classe ouvrière et poursuivre des objectifs impérialistes. Elle rejette en arrière le continent dans les mêmes conflits nationaux que ceux qui ont déclenché deux guerres mondiales au siècle dernier.
Le seul moyen d’avancer est l'unification de la classe ouvrière dans une lutte commune pour un programme socialiste contre l'Union européenne et pour des États socialistes unis d'Europe.
(Article paru en anglais le 12 décembre 2020)