En réponse à la publication d'un rapport révélant les atrocités commises par l'armée australienne en Afghanistan, les Forces armées canadiennes (FAC) ont redoublé leurs efforts de longue date pour dissimuler leurs propres crimes de guerre dans la région.
Publié à la mi-novembre par l'inspecteur général des forces de défense australiennes (FDA), le rapport a conclu qu'il existe des «preuves crédibles» que les forces spéciales australiennes ont assassiné au moins 39 civils et prisonniers afghans entre 2009 et 2013, et ont commis des actes de torture et d'autres violences, comme la profanation des corps des victimes. Bien que le rapport ait été fortement expurgé pour dissimuler les détails de ces crimes, il est apparu que les unités des forces spéciales avaient un «rituel du sang», au cours duquel les membres nouvellement déployés tiraient sur les prisonniers et les tuaient, puis cachaient des armes sur eux pour faire croire que la victime était un combattant ennemi.
Le rapport souligne également un historique d’atrocités militaires et de dissimulations commises par les forces spéciales australiennes, de la guerre des Boers au début du XXe siècle à la guerre du Vietnam. En même temps, il affirme de manière absurde que rien n'était connu des crimes de guerre systématiques qu'elles ont commis en Afghanistan au-delà du niveau du commandant d'unité.
Dès la publication du rapport, l'armée canadienne a immédiatement cherché à prendre ses distances de ses alliés australiens. Lorsque les médias ont insisté sur la nature de sa collaboration et de ses actions conjointes avec les unités des forces spéciales australiennes mentionnées dans le rapport, le Commandement des forces d'opérations spéciales des FAC (COMFOSCAN) a reconnu que ses membres avaient mené des missions avec les forces spéciales australiennes en Afghanistan – dont certaines sont maintenant accusées de crimes de guerre. Mais il a insisté sur le fait que «le personnel des FAC n'a soulevé aucune inquiétude» quant à la conduite de leurs collègues australiens. «Le COMFOSCAN n'était pas au courant de ces allégations avant que cette enquête ne soit lancée», a déclaré le major Amber Bineau à Global News.
La tentative des FAC de blanchir le rôle du Canada dans l'occupation militaire de l'Afghanistan bénéficie du soutien total de l'État et de tous les partis parlementaires. Son objectif est de dissimuler la complicité de longue date et bien documentée du Canada dans la torture et les violences au cours de son rôle direct pendant toute une décennie (2001-2011) dans la guerre néocoloniale afghane.
De nombreuses preuves de crimes de guerre canadiens
Au cours de l'intervention militaire canadienne en Afghanistan, des preuves de la complicité des FAC dans la torture sont apparues à plusieurs reprises. Les FAC ont régulièrement et délibérément remis des détenus afghans à la Direction nationale de la sécurité (DNS), le service secret national, bien que les hauts responsables militaires et gouvernementaux canadiens savaient qu'elle utilisait systématiquement la torture.
Le gouvernement libéral de Paul Martin a négocié en 2005 un accord avec le gouvernement afghan pour transférer des prisonniers sous son contrôle, ignorant les avertissements de l'ancienne diplomate Eileen Olexiuk qui avait déclaré qu'ils risquaient d'être torturés. Ses avertissements ont été confirmés l'année suivante, lorsque le département d'État américain a admis que la torture était largement utilisée dans les prisons afghanes.
En 2009, le bureau de la Commission indépendante des droits de l'homme d'Afghanistan à Kandahar a estimé qu'environ un prisonnier sur trois remis par les Canadiens était «battu ou même torturé dans les prisons locales.» Cette estimation a été suivie par le témoignage du diplomate canadien Richard Colvin, qui a déclaré devant une commission parlementaire qu'il était probable que tous les Afghans remis à la DNS par les FAC «aient été torturés, battus, soumis à des chocs électriques, privés de sommeil et violés ou autrement agressés sexuellement.» Colvin a ajouté: «Beaucoup n'étaient que des gens du pays – des fermiers, des camionneurs, des tailleurs, des paysans; des êtres humains choisis au hasard, au mauvais endroit et au mauvais moment; des jeunes hommes dans leurs champs et leurs villages qui étaient complètement innocents mais qui ont néanmoins été arrêtés.»
L'année suivante, l'interprète des Forces armées canadiennes Ahmadshah Malgarai a témoigné devant une commission parlementaire que l'armée canadienne «a utilisé la DNS comme sous-traitant pour des abus et des tortures.»
Si l'armée canadienne peut continuer à prétendre devant cette montagne de preuves qu'elle n'a pas été impliquée dans les crimes de guerre en Afghanistan, c'est grâce au rôle criminel joué par tous les partis parlementaires, des conservateurs et des libéraux aux néo-démocrates et au Bloc Québécois.
Alors que la colère populaire grandissait suite au témoignage dévastateur de Colvin, le premier ministre Stephen Harper a prorogé le Parlement pendant deux mois en décembre 2009 afin de mettre fin aux travaux d'une commission parlementaire chargée d'examiner la question des détenus afghans.
Lorsqu'une enquête de la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire a été lancée, le gouvernement conservateur a utilisé tous les outils possibles pour faire obstruction à l'enquête, qui n'a finalement jamais entendu un seul témoin. Harper et ses ministres ont également refusé de remettre à la Chambre des communes les documents relatifs à la question des détenus afghans, ce qui a valu à son gouvernement minoritaire d'être reconnu coupable d'outrage au Parlement: la première fois que le Parlement a adopté une telle motion en près d'un siècle.
Face à la perspective d'une élection fédérale au cours de laquelle les crimes commis par l'armée canadienne en Afghanistan pourraient jouer un rôle important, ce que personne au sein de l'establishment politique ne souhaitait, les libéraux, le NPD et le Bloc Québécois de l'opposition se sont alliés aux conservateurs pour censurer la discussion sur la question. Un accord a été conclu pour qu'un petit comité composé de deux députés de chaque parti examine des dizaines de milliers de documents relatifs à l'intervention afghane dans des conditions strictes et sous la menace de poursuites pénales si quoi que ce soit était révélé publiquement sans l'approbation de juristes et de militaires triés sur le volet. Comme l'a noté le World Socialist Web Site à l'époque, «En négociant un accord avec le gouvernement qui retire largement la question des détenus afghans du débat public et permet au gouvernement, à la bureaucratie et à l'armée d'exercer une influence décisive sur ce que le public apprend de l'implication du Canada dans les crimes de guerre, les partis d'opposition sont devenus partie prenante de la dissimulation menée par le gouvernement.»
Moins d'un an plus tard, après avoir obtenu une majorité parlementaire aux élections fédérales de 2011, le gouvernement Harper a mis fin à l'enquête, avec à peine un soupçon de protestation de l'opposition.
En juin 2016, un groupe d'officiers de la police militaire a rendu public des accusations selon lesquelles des officiers de haut rang de la police militaire avaient ordonné de maltraiter des détenus afghans innocents – «maris, pères, fermiers» – et que les FAC avaient systématiquement couvert leurs actions. Précédemment, en novembre 2015, la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire du Canada (CPPM) avait lancé une enquête sur leurs allégations, mais les hauts gradés de la police militaire ont refusé de coopérer à l'enquête, notamment en refusant à la CPPM l'accès à des documents et enregistrements essentiels. Justin Trudeau et son gouvernement libéral ont répondu en rejetant les demandes d'enquête publique. Dirigeant les efforts du gouvernement pour couvrir les crimes de guerre des FAC, le ministre de la Défense Harjit Sajjan, qui avait lui-même servi comme officier de renseignement des FAC en Afghanistan, a déclaré: «Tout au long des opérations militaires en Afghanistan, le gouvernement du Canada a veillé à ce que les personnes détenues par les Forces armées canadiennes soient traitées avec humanité et soient transférées ou libérées conformément à nos obligations en vertu du droit international.»
À cette époque, le NPD s'est joint aux appels en faveur d'une enquête publique sur la question des détenus. Mais il a soutenu le rôle du Canada dans l'invasion et l'occupation de l'Afghanistan, notamment en acceptant, dans le cadre de son accord de coalition de 2008 avec les libéraux, de servir dans un gouvernement qui s'était engagé à y faire la guerre jusqu'en 2011. De plus, tout comme ses opposants ostensibles libéraux et conservateurs, le NPD soutient la participation continue du Canada aux offensives militaires stratégiques américaines dans le monde entier.
La criminalité de l'impérialisme canadien
Le dernier déni de l'armée canadienne de son implication dans les crimes de guerre, qui n'a pas été contesté au sein de l'establishment politique, souligne que toute l'élite politique soutient les guerres impérialistes prédatrices et n'a aucun engagement envers les droits démocratiques fondamentaux.
L'ancien ministre canadien de la défense David Collenette a récemment déclaré au Guardian que les crimes de guerre commis par le régiment aéroporté canadien alors qu'il était stationné en Somalie en 1992-93, y compris la torture et le meurtre de l'adolescent somalien Shidane Arone, «ont révélé un problème systémique avec l'institution d'où provenaient les individus.»
Depuis lors, les élites dirigeantes du Canada et des autres grandes puissances impérialistes ont entrepris un virage prononcé vers le militarisme, ont largement étendu le pouvoir et la portée de l'appareil de sécurité nationale, ont criminalisé l'opposition sociale et ont saccagé les droits démocratiques.
L'implication de l'armée et du gouvernement canadiens dans les crimes de guerre n'est pas une aberration d'une politique étrangère par ailleurs humanitaire. Il s'agit plutôt d'une conséquence inévitable du caractère néocolonial et impérialiste des guerres que le Canada a menées en Afghanistan, qu'il continue de mener au Moyen-Orient et pour lesquelles il se prépare avec une augmentation de plus de 70% des dépenses militaires en dix ans.
L'invasion de l'Afghanistan menée par les États-Unis a été la première volée de la «guerre contre le terrorisme» – une guerre justifiée par des mensonges qui, pendant les quinze prochaines années ou plus, allait servir de prétexte à Washington pour mener une série interminable de guerres, visant à compenser son déclin économique mondial, qui ont tué 12 millions de personnes et en ont déplacé 59 millions.
L'élite dirigeante du Canada n'a pas tardé à adopter la «guerre contre le terrorisme». Elle l'a fait dans le triple but de promouvoir ses propres intérêts mondiaux prédateurs, de renforcer son alliance avec Washington dans des conditions où le rôle du Canada en tant que principal partenaire économique des États-Unis était sapé par la Chine et le Mexique, et de justifier l'augmentation des pouvoirs répressifs de l'État. L'establishment militaire et politique a également accueilli la guerre en Afghanistan comme une occasion de se débarrasser une fois pour toutes du mythe nationaliste libéral du Canada en tant que «gardien de la paix»: un mythe qui a servi à renforcer le soutien populaire à l'État canadien, mais qui est devenu un obstacle à la poursuite de la politique étrangère plus agressive exigée par le capital canadien.
Depuis sa participation à l'invasion de l'Afghanistan en octobre 2001, le Canada est engagé dans une guerre presque perpétuelle en alliance avec Washington. Cela comprend le rôle de premier plan joué par les forces armées canadiennes pendant dix ans dans la guerre anti-insurrectionnelle en Afghanistan, sa participation au renversement du président élu d'Haïti en 2004 et à la guerre de «changement de régime» en Libye en 2011, ainsi que ses opérations, en cours depuis 2014, en Irak et en Syrie. Le Canada est également profondément intégré dans les offensives militaires stratégiques américaines contre la Russie et la Chine.
Dans le même temps, les droits démocratiques fondamentaux, y compris le droit de garder le silence et la présomption d'innocence, ont été grossièrement sapés, tandis que l'appareil de sécurité nationale s'est vu attribuer des pouvoirs extraordinaires de surveillance et d'intimidation avec le soutien de toute l'élite au pouvoir.
Le Canada est devenu le deuxième exportateur d'armes au Moyen-Orient, où des véhicules blindés de fabrication canadienne ont été utilisés par le régime saoudien despotique pour réprimer violemment les protestations nationales et alimenter sa guerre avec le Yémen. En octobre, la nouvelle a été annoncée que des entrepreneurs canadiens du secteur de la défense fabriquaient des composants pour les drones turcs utilisés dans le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan dans la région du Haut-Karabakh.
Alors que la pandémie s'accélère et que la crise économique et la misère sociale s'aggravent, en raison des politiques meurtrières du gouvernement en matière de retour au travail et à l'école et de sauvetage de l'élite financière, la classe dirigeante craint la révolte sociale. En conséquence, elle se tourne de plus en plus vers des formes de gouvernement autoritaires.
Dans ces conditions, l'armée apparaît comme une force de plus en plus importante et répressive dans la société canadienne. En août, un document ayant fait l'objet d'une fuite a révélé que l'armée a réagi à la pandémie en lançant des opérations d'information basées sur les méthodes que les FAC avaient développées pendant la guerre en Afghanistan. Les propositions, retirées par la suite, demandaient aux soldats de diffuser la propagande approuvée par le gouvernement sur les médias sociaux et de créer à la hâte des stations de radio dans le but de «former» l'opinion publique. L'ordre demandait également d'«exploiter l'information», c'est-à-dire la surveillance de masse, pour détecter les signes éventuels de troubles civils.
Dans ce contexte, il ne faut pas s'étonner qu'aucune figure importante de la politique canadienne, quel que soit son parti, n'ait contesté l'affirmation scandaleuse et manifestement fausse de l'armée canadienne selon laquelle son personnel n'était pas impliqué dans des crimes de guerre en Afghanistan, ni exigé une enquête sur les actions des forces spéciales canadiennes sur place. En tant que défenseurs loyaux de l'impérialisme canadien et de l'État capitaliste, l'establishment politique, des conservateurs de droite aux néo-démocrates et aux verts nominalement «de gauche», n'a aucun intérêt à faire la lumière sur les atrocités et les crimes de guerre de l'armée canadienne.
(Article paru en anglais le 11 décembre 2020)