Chambre 2806: L'Affaire DSK – Déterrement de l'affaire d'agression sexuelle discréditée contre l'homme politique français Dominique Strauss-Kahn

Chambre 2806: L'Affaire DSK, réalisé par Jalil Lespert, est un docu-série Netflix en quatre épisodes reprenant le scandale de mai 2011 impliquant Dominique Strauss-Kahn, alors directeur général du Fonds monétaire international (FMI), peut-être l'institution financière mondiale la plus puissante, et un candidat potentiel à la présidence française.

Strauss-Kahn, une figure de proue du Parti socialiste français, a été arrêté à New York le 14 mai 2011 après que Nafissatou Diallo, immigrante guinéenne et femme de ménage de l'hôtel exclusif Manhattan Sofitel, l'ait accusé d'agression sexuelle et de tentative de viol. Strauss-Kahn a par la suite été contraint de démissionner de son poste au FMI et n'est pas devenu candidat en 2012 à la nomination présidentielle du Parti socialiste, l'un des deux principaux partis bourgeois en France.

Le procureur du district du comté de New York, Cyrus Vence Jr., fit sortir Strauss-Kahn d'un avion, soumis au dégradant «défilé de l'accusé», entre autres humiliations, l’accusa et le fit incarcérer à Rikers Island. S'il avait été reconnu coupable, l'homme politique français aurait purgé un maximum de 74 ans de prison.

Chambre 2806: L'Affaire DSK (Dominique Strauss Kahn en état d'arrestation)

Dès le départ, le WSWS a soulevé des questions troublantes sur l'affaire, dont on savait peu de choses, à l'exception des extraits salaces communiqués par les médias, y compris le New York Times, avec «son penchant pour le journalisme à sensation». Dans sa position de classe, ses privilèges et sa vision sociale, nous avons écrit: «Strauss-Kahn représente tout ce à quoi le World Socialist Web Site s'oppose. Mais c'est aussi un être humain qui a droit aux droits démocratiques.»

Nous avons souligné que «le viol est un crime exécrable et quiconque est reconnu coupable de cette infraction doit répondre de ses actes. Cependant, il est un fait, honteux et indéniable, que les allégations d'inconduite sexuelle ont été utilisées sans relâche, et pas seulement aux États-Unis, pour détruire des individus ciblés. Le cas du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, vient immédiatement à l'esprit.»

Le WSWS a insisté sur la présomption d'innocence et d'autres principes démocratiques. Prophétiquement, étant donné ce qui allait se passer dans la campagne #MeToo en 2017 et au-delà, nous avons également noté: «Ceux de la gauche politique qui croient bêtement que le sort de Strauss-Kahn est une question d'indifférence – ou devrait même être accueilli comme une juste punition pour sa richesse personnelle et ses péchés politiques – ne comprennent rien de l’importance des droits démocratiques.»

L'affaire Strauss-Kahn a commencé à prendre l'eau fin juin 2011 lorsque les procureurs ont été contraints de prendre note des différentes contradictions dans les déclarations de Diallo et des nombreux mensonges qu'elle leur avait exprimés. En août, ignominieusement, le parquet fut obligé de demander que les charges contre Strauss-Kahn soient abandonnées au motif, selon les termes de son mémoire de 25 pages, que Diallo avait «constamment, et parfois inexplicablement, menti dans sa description de faits de grande ou de moindre importance» et d’après le fait que les preuves matérielles ne montraient aucun signe de violence.

Chambre 2806: L'Affaire DSK

Parmi les mensonges «fatals» de Diallo figurait une allégation concernant un viol collectif par des soldats dans son pays d'origine – «le plus significatif» à cet égard, a expliqué le procureur, était «sa capacité à raconter cette fiction comme un fait avec une conviction totale». Elle avait également fourni aux procureurs trois récits différents de son comportement après l'agression présumée. En outre, Diallo avait «omis de divulguer une série de dépôts bancaires en espèces – totalisant près de 60.000 dollars – qui avaient été versés sur son compte courant par d'autres personnes dans quatre États différents». Son fiancé, en fait, avait été reconnu coupable en Arizona de conspiration en vue de posséder de la marijuana en vue de la vente, après avoir payé 36.500 $ à des policiers en civil pour une grande quantité de drogue.

«Si nous ne la croyons pas au-delà de tout doute raisonnable, nous ne pouvons pas demander à un jury de le faire», a souligné de manière accablante le mémoire des procureurs.

Alors pourquoi, neuf ans plus tard, y a-t-il une relance de ce dossier discrédité et sans fondement? De toute évidence, cela a quelque chose à voir avec la campagne #MeToo, la politique contemporaine et un nouveau virage vers la droite de la classe moyenne aisée qui promeut la chasse aux sorcières sexuelle.

«L'Affaire DSK [Dominique Strauss-Kahn], ou plutôt les affaires DSK, ont eu un impact international et allait bien au-delà d'une question d’actualité. Ils touchent à plusieurs enjeux de société, thèmes qui restent d'actualité aujourd'hui. C'est une sorte de #MeToo en avance, avec des témoignages de femmes, exceptionnelles pour l'époque, pionnières», se vante le producteur de Chambre 2806: L'Affaire DSK, Philippe Levasseur.

S'appuyant sur les souvenirs vraisemblablement flous des téléspectateurs concernant les faits sordides de l'affaire et l'atmosphère actuelle dans laquelle les questions raciales et de genre sont partout dans les médias, Chambre 2806 est explicite dans sa tentative de réhabiliter Diallo. Elle apparaît à plusieurs reprises devant la caméra et les cinéastes font de leur mieux pour la dépeindre comme une victime, une pauvre immigrante noire vivant dans le Bronx, la proie d'un puissant homme blanc dans un hôtel haut de gamme de Manhattan.

«Cependant, il n'était pas gagné d'avance que Nafissatou Diallo parlerait», débite Levasseur. «Évidemment, nous avons essayé par tous les moyens de la convaincre du bien-fondé de notre demande, mais cela a pris du temps.» Quoi qu'il en soit, Diallo n'est pas le moins du monde réticente devant la caméra. À plusieurs reprises, elle s'exclame en larmes: «Je ne veux pas parler.» Mais elle s'accroche hardiment: «Plus je parle, mieux je me sens[…] Ça me soulage, même si ça ne disparaît jamais vraiment".

«Un moment très spécial qui était presque improvisé», déclare la réalisatrice Lespert dans une interview, décrivant Diallo comme «quelqu'un de très discret et impressionné, qui aspire plutôt à l'anonymat, mais qui sentait qu'elle avait besoin de parler, d'aider les autres». Permettez-nous de rester sceptiques.

Le cinéaste présente un certain nombre de commentatrices, en premier plan Raphaëlle Bacqué, reporter au quotidien français Le Monde, pour souligner que Strauss-Kahn est un coureur de jupons peu recommandable. Bien que cela soit sans aucun doute vrai, ce n'est pas une infraction pénale. Ce qui est caché, c'est que Strauss-Kahn n'a pas été condamné – ni jamais inculpé! – d'aucun crime à l'égard de Diallo.

Encore une fois, il faut rappeler au lecteur que le procureur n'eut pas d'autre choix que de demander le rejet des accusations en août 2011. Dans son mémoire, le procureur du district de New York se plaignait que «les récits variables de Diallo rendent également difficile de déterminer ce qui s'est produit dans le laps de temps crucial [...] et nous ne sommes pas certains que la plaignante dirait la vérité si elle était appelée comme témoin au procès».

Dans Chambre 2806, quelques policiers de la ville de New York et des agents de sécurité Sofitel donnent leur avis peu convaincant en appui à Diallo.

Dans un souci d’«équité», plusieurs collègues de droite de Strauss-Kahn du Parti socialiste, tels que l'ancien ministre de la Culture Jack Lang et l'ancienne ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Inclusion économique Elisabeth Guigou, sont amenés à le défendre, en certains cas à contrecœur.

Le documentaire revient à un moment donné en 2008, lorsque Strauss-Kahn, à la tête du FMI, a été la cible d'une enquête pour népotisme dans le contexte de relations intimes avec une subordonnée, Piroska Nagy. Également mise en évidence dans la docu-série est Tristane Banon, qui en juillet 2011, apparemment motivée par l'affaire Diallo, a déposé une plainte pour tentative de viol contre Strauss-Kahn pour un incident qui remontait à février 2003. Cependant, Chambre 2806: L'Affaire DSKomet de mentionner que selon le magazine Newsweek de l'époque, la mère de Banon, Anne Mansouret, qui a exhorté sa fille à poursuivre cette affaire, «est une politicienne ambitieuse à part entière qui est souvent identifiée aux rivaux de Strauss-Kahn au sein du Parti socialiste français».

Une femme pontifie que le mouvement #MeToo n'aurait pas existé sans Diallo et Banon. Une autre personne interrogée a déclaré que «rien ne surpasse la question de la race».

Insérée dans la série est l'affaire de juillet 2013 dans laquelle les procureurs français annoncèrent que Strauss-Kahn devait être jugé pour des allégations de «proxénétisme aggravé» à l'hôtel Carlton à Lille. Une prostituée raconte ses mésaventures avec Strauss-Kahn, qui fut acquitté des accusations en juin 2015.

Les avocats américains de Strauss-Kahn, Ben Brafman et William Taylor, sont interviewés. Leur déclaration du 24 juillet 2011 n'est pas citée, dans laquelle ils déclaraient: «Mme Diallo est la première accusatrice de l'histoire à mener une campagne médiatique pour persuader un procureur d'inculper une personne à qui elle réclame de l'argent […] Ses avocats savent que sa demande d’argent subit un coup fatal lorsque les accusations criminelles sont rejetées, comme elles doivent l’être». Ils ont conclu: «Il est temps que ce cirque ignoble s'arrête.»

Robert Mooney, ancien policier et enquêteur du procureur, qui a enquêté sur les allégations contre Dominique Strauss-Kahn, passe à l'écran quelques instants. Après avoir longuement interrogé Nafissatou Diallo, il en a déduit que l'affaire était «une autre occasion pour elle d'extorquer de l'argent. Je dirais qu'elle était une escroc.»

Edward Jay Epstein est un autre intervenant qui fait une brève apparition dans la minisérie. Le journaliste d'investigation de longue date a écrit un long article dans le numéro de décembre 2011 du New York Review of Books, mettant en lumière l'arrestation de Strauss-Kahn. Il a établi un calendrier qui soulignait la précipitation du ministère public à inculper Strauss-Kahn avant que les preuves ne puissent être examinées et prises en considération objectivement.

Epstein a laissé entendre que ceux qui dirigeaient Diallo et orchestraient le scandale étaient liés au gouvernement du président français Nicolas Sarkozy. Son travail révélateur est minimisé dans Chambre 2806.

Le WSWS a écrit en septembre 2011: «De plus, alors que Strauss-Kahn est un homme politique français bourgeois conventionnel, pleinement engagé dans la défense du capitalisme, ses politiques n'étaient pas nécessairement en harmonie avec celles menées par le gouvernement Obama ou Wall Street. Sa disculpation intervient plus d'un mois après qu’il a été remplacé à la tête du FMI par une autre politicienne française, Christine Lagarde, plus alignée sur la politique du président français de droite Sarkozy et saluée par Washington. Une fois de plus, l'indignation manipulée pour des allégations d'inconduite sexuelle a contribué à obscurcir un processus par lequel des changements importants peuvent être apportés dans une grande institution, avec un impact potentiel sur un grand nombre de personnes.»

Aucun des faits ou des questions sur l'affaire Strauss-Kahn ne perturbe nos médias d'aujourd'hui, obsédés par le genre et l’identité raciale. Un critique de Forbes, le magazine économique destiné aux riches, par exemple, a observé récemment que si «ce qui s'est réellement passé ce jour-là dans la suite présidentielle de l'hôtel Sofitel» ne sera jamais connu, Chambre 2806: L'Affaire DSK «montre comment le système judiciaire, et la société dans son ensemble, ont traité une femme noire qui a accusé un homme blanc riche et puissant de l'avoir agressée sexuellement. Comme le montre le documentaire, elle n'a même pas eu droit à un procès, mais elle a été purement et simplement rejetée et discréditée comme étant peu fiable.»

Jalil Lespert et le producteur de la série aimeraient également réécrire cette «affaire fascinante», «apporter de nouveaux témoignages» et «tirer les faits au clair», comme «une histoire de libération de la voix des femmes». Que le spectateur s'en méfie.

(Article paru en anglais le 19 décembre 2020)

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