Les défauts de paiement suscitent l’inquiétude des marchés financiers sur la dette chinoise

Une série de défauts de paiement au cours du mois dernier sur des prêts engagés par des entreprises dont on pensait qu'elles bénéficiaient pour leurs dettes d'un soutien de l'État a secoué les marchés financiers du capitalisme chinois et soulevé d'importantes questions pour les investisseurs internationaux.

Selon l'agence de notation Fitch Ratings, les entreprises publiques ont fait défaut sur un montant record de 6,1 milliards de dollars d'obligations entre janvier et octobre, un montant équivalant au total des deux années précédentes. Mais en novembre, les problèmes se sont considérablement aggravés, avec le défaut de paiement de trois grandes entreprises.

Le premier signe de problèmes plus profonds est apparu le mois dernier lorsque la société charbonnière publique Yongcheng Coal and Electricity Holding Group, située dans le centre de la Chine, a fait défaut sur une obligation d'une valeur de 152 millions de dollars.

Deux semaines plus tard, le groupe technologique d'État de premier plan Tsinghua Unigroup a déclaré qu'il ferait défaut sur une obligation nationale d'une valeur de 199 millions de dollars.

Pourtant, le pire était à venir. La semaine dernière, la société a annoncé qu'elle n’envisageait pas de payer les intérêts ou le capital sur 450 millions de dollars d'obligations. Cela entraînerait également des défauts en chaînes sur 2 milliards de dollars d'obligations supplémentaires arrivant à échéance entre 2021 et 2028.

Tsinghua Unigroup est un acteur majeur dans la campagne de la Chine pour parvenir à l'autosuffisance dans l’approvisionnement en semi-conducteurs. Elle est détenue majoritairement par l'Université Tsinghua, l'une des institutions universitaires les plus prestigieuses de Chine. La société a bénéficié du soutien du gouvernement et a lancé en 2015 une offre publique d'achat de 23 milliards de dollars sur le fabricant de puces américain Micron Technology.

Des gens regardent les semi-conducteurs exposés par le Tsinghua Unigroup à l' Expo internationale de haute technologie de Beijing en Chine, le samedi 19 septembre 2020 (source: AP Photo / Mark Schiefelbein

Le troisième défaut de paiement majeur d'une entreprise soutenue par l'État a été celui de Brilliance Auto Holdings, qui est lié au principal constructeur automobile allemand BMW. Elle n'a pas remboursé une dette intérieure due en novembre.

Ces défauts de paiement ont suscité des inquiétudes sur les marchés monétaires quant à quel point le gouvernement chinois et les autorités financières sont prêts à laisser les forces du marché suivre leur cours afin de remettre le système financier du pays sur des bases plus solides sans déclencher une crise générale.

À la suite du défaut de paiement de Tsinghua Unigroup, le vice-premier ministre chinois Liu He, chargé d'assainir le système financier, a averti les entreprises que Pékin adopterait une approche de "tolérance zéro" en matière de manquement dans les accords de financement ou les tentatives d'évasion de la dette.

Le Financial Times arapporté que l'attitude des autorités avait "ébranlé un marché chinois de la dette de près de 4 000 milliards de dollars, dont les entreprises publiques représenteraient plus de la moitié". Il a noté que dans la semaine suivant le défaut de paiement de Yongcheng Coal, au moins 20 entreprises chinoises ont suspendu leurs projets de nouvelles émissions de dette à hauteur de 2,4 milliards de dollars, citant "les récentes turbulences du marché".

Le secteur public de l'économie chinoise est une composante majeure du système financier. Les entreprises publiques représentent environ un tiers du produit intérieur brut (PIB) mais plus de la moitié des prêts bancaires en Chine et environ 90 pour cent des obligations d'entreprises. On les a considérées comme des investissements judicieux du à ce qu’on regardait comme des garanties implicites du gouvernement.

Dans des commentaires rapportés par CNN la semaine dernière, Logan Wright, directeur des études de marché chez Rhodium Group, remarquait que "la crédibilité des garanties gouvernementales a été le rempart le plus important contre la crise [financière] jusqu'à présent. Maintenant, nous voyons des signes que cette crédibilité s’érode."

Il semble que le gouvernement soit prêt à laisser s'effondrer au moins certaines entreprises précédemment soutenues. Cela entraîne cependant des risques majeurs.

Dans une note de recherche récente, Wright a écrit: "Bien que les autorités souhaitent une discipline de marché pour les entreprises plus risquées, elles ne peuvent pas savoir dans quelle mesure le risque de crédit pourrait provoquer une contagion plus large. Personne ne peut connaître clairement cette ligne, étant donné qu'il n'y a aucun précédent pour ce risque dans le système financier chinois."

Le ralentissement de l'économie chinoise dû au coronavirus – la croissance devrait avoisiner 2 pour cent cette année contre plus de 6 pour cent l'an dernier – est la cause immédiate des problèmes d'endettement. Mais la dette des grandes entreprises chinoises s'est accrue depuis l'expansion massive du crédit, lancée en réponse à la crise financière mondiale de 2008.

Dans un rapport récent, les analystes de la société financière japonaise Nomura ont déclaré qu'ils considéraient les récents défauts de paiement comme "inévitables", car le gouvernement avait soutenu les entreprises par des milliards de dollars en mesures de relance. Cependant, l'un des problèmes pour le gouvernement est que les mesures de relance ne génèrent pas les augmentations de PIB réalisées par le passé, de sorte que le fardeau de la dette sur l'économie augmente progressivement.

Dans un article sur la crise croissante de la dette, le Financial Times (FT) note qu'il y a dix ans, Yongcheng Coal était considérée comme l'une des principales sociétés énergétiques de Chine. Mais aujourd'hui, ses difficultés financières étaient considérées comme le signe avant-coureur de problèmes majeurs.

Selon un article du FT publié la semaine dernière, les défauts de paiement de Yongcheng Coal ont "ricoché à travers le système financier chinois" ; ses auteurs affirment que les entreprises liées à l'État rencontrent des difficultés à mobiliser des capitaux car l'hypothèse que le gouvernement les renflouerait toujours ne s'appliquait plus.

Le journal cite un analyste qui avertit que le défaut de paiement de Yongcheng pourrait être reproduit par n'importe quelle entreprise d'État qui n'a pas "les reins solides" et que "beaucoup d’autres défauts de paiements pourraient être déjà en route".

Les problèmes d'endettement ne se limitent pas aux grandes entreprises. Moody's Investor Services, qui répertorie la dette des collectivités locales en Chine, a publié un rapport plus tôt ce mois-ci établissant une "perspective négative" pour la dette des gouvernements locaux et régionaux pour l'année prochaine.

Un article paru la semaine dernière dans le South China Morning Post cite les commentaires de l'ancien vice-ministre des Finances Zhang Hongli qui déclare que les collectivités locales avaient "compté sur de nouveaux emprunts pour rembourser les anciennes dettes" dans environ 60 pour cent des cas au cours des 10 premiers mois de 2020.

C'est là un signe certain que les collectivités locales ne peuvent pas générer suffisamment de revenus pour couvrir le remboursement de la dette. Il y a eu des avertissements d’une possible augmentation significative dans l'année à venir des défauts de paiement sur les prêts levés par le biais de soi-disant véhicules de financement des collectivités locales.

(Article paru en anglais le 19 décembre 2020)

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