Le conflit politique acharné sur la sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne (UE) se poursuit.
Sur fond de catastrophe mortelle sans précédent en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les gouvernements du Royaume-Uni et de l'UE sont enfermés dans une lutte intraitable pour un avantage économique et politique.
Conformément au Droit, la Grande-Bretagne quitte l'UE le 1er janvier. Si aucun accord commercial post-Brexit n'est en place, le Royaume-Uni commencera à négocier selon les conditions de l'Organisation mondiale du commerce, impliquant des tarifs et des quotas.
Dimanche est passé le dernier d'une série de "derniers délais définitifs". Les dirigeants du Parlement européen avaient annoncé jeudi dernier qu'ils ne pourraient passer un accord sur le Brexit avant la nouvelle année que si "un accord était conclu avant minuit le dimanche 21".
Aucun accord n'a été trouvé et une source gouvernementale britannique a déclaré au Guardian : "Nous continuons à explorer toutes les voies vers un accord qui soit conforme aux principes fondamentaux que nous avons introduits dans les négociations." Les discussions entre les négociateurs des deux parties se sont poursuivies cette semaine.
Comme l'a déclaré un haut diplomate européen au Telegraph à lafin de la semaine dernière, "le 31 décembre est la seule échéance finale".
De nombreuses personnalités gouvernementales discutent maintenant de la possibilité que les États membres de l'UE "appliquent provisoirement" le 1er janvier un accord convenu dans les prochains jours, en attendant la ratification officielle par leurs parlements respectifs plus tard dans le mois. Cependant, plus les négociations durent, moins les gouvernements ont le temps de traduire, examiner et appliquer le texte d’un accord et plus il est probable que la Grande-Bretagne se retrouve dans une "impasse juridique" à partir du 1er janvier.
C'est une marque de l'extrême fragilité politique du capitalisme britannique et européen et de l'intensité des antagonismes inter-impérialistes, que la crise du Brexit ait pu en arriver là. La plupart des sources suggèrent que la plus grande discorde restante entre les négociateurs des deux parties concerne les droits de pêche dans les eaux britanniques. La valeur économique du poisson capturé dans les eaux britanniques est minime par rapport au PIB global: les navires britanniques capturent pour 850 millions d'euros de poisson dans les eaux britanniques et les navires de l'UE pour 650 millions d'euros.
Le président français Emmanuel Macron s'inquiète des retombées politiques de toute concession accordée au Royaume-Uni sur cette question. Il a une échéance électorale en 2022 et ses appels pour attirer les voix des partisans du parti fasciste Rassemblement national de Marine Le Pen sont de plus en plus droitiers. Les communautés côtières ayant des liens économiques étroits avec la pêche dans les eaux britanniques sont ici un terrain de bataille clé.
L'un des soucis majeurs des principales puissances de l'UE est que toute concession significative accordée à la Grande-Bretagne pourrait inspirer d'autres tentatives de départs d’une UE de plus en plus déchirée.
Pour Johnson, assurer la "souveraineté britannique" sur ses eaux est essentiel pour flatter l'aile ultra-droite nationaliste du Parti conservateur. Si les informations sur les négociations sont exactes, la Grande-Bretagne a été forcée d'accepter un mécanisme pour l'empêcher de saper la position de l'UE en matière de protection du travail, sociale et environnementale – la perspective directrice motivant la campagne du Brexit.
Un tel recul – rendu nécessaire par l'énorme déséquilibre de pouvoir entre l'UE et une Grande-Bretagne isolée et l'effondrement de la perspective du Brexit d’une alliance étroite avec une Amérique dirigée par Trump – menace de causer de sérieuses divisions au sein du parti conservateur. Les membres du Groupe de recherche européen des députés conservateurs de la base menacent de voter contre un "mauvais accord".
Johnson poursuit une politique de la corde raide sur un problème économique mineur pour maintenir l'unité du parti gouvernemental dans une période de crise sans précédent pour le capitalisme britannique. Dans la poursuite de cet objectif, il risque le désastre économique.
La commission parlementaire sur le Brexit a averti la semaine dernière que les entreprises britanniques n'étaient pas prêtes pour un Brexit sans accord. Le directeur adjoint de la Confédération de l'industrie britannique a déclaré au début du mois: "Préparation ne signifie pas protection en cas de raz-de-marée. Vous pouvez mettre en place les sacs de sable, et cela aide un peu, mais l'eau va encore passer."
Cette perspective effrayante a été rendue très concrète par le dernier développement de la pandémie de coronavirus en Europe. L'explosion d'une nouvelle souche encore plus infectieuse du virus en Grande-Bretagne s'est soldée par des interdictions de voyage pour les passagers en provenance du Royaume-Uni de la part d’un grand nombre de pays, dont la plupart des pays d'Europe de l'Ouest et du Nord. Dimanche soir, la France a interdit aux camions britanniques d'entrer dans le pays pendant 48 heures, avec un préavis de seulement quelques heures, sans en informer le premier ministre britannique.
Les ports britanniques – qui craquent déjà sous le poids des réserves stockées pour le Brexit et des restrictions dues au coronavirus, les files de camions atteignant plus de huit kilomètres – ont été plongés dans le chaos. Rod McKenzie, directeur des politiques à l'Association des transporteurs a mis en garde contre un “effet dévastateur sur les chaînes d'approvisionnement". Il a ajouté: "Il s’agit vraiment de tout: des pièces d'usine, des légumes frais et surgelés et de toutes les livraisons de Noël."
Les effets se répercutent sur toute l'économie britannique. Lundi matin, l'indice boursier du FTSE 100 a chuté de 3 pour cent, éliminant 50 milliards de livres sterling de la valeur des titres d'entreprises et la livre a chuté de manière significative par rapport au dollar et à l'euro. Il a clôturé en baisse de 1,7 pour cent. Une récession à double creux avait déjà été prévue pour le Royaume-Uni par la Banque d'Angleterre la semaine dernière.
Les coûts de cette crise seront portés par la classe ouvrière à travers un nouvel effondrement désastreux de son niveau de vie, annonçant une période de lutte de classe acharnée.
En 2019, le gouvernement fut contraint de publier sa prévision pour un Brexit sans accord, partiellement divulgué l'année précédente, portant le nom de code "Opération Yellowhammer". Le document mettait en garde contre un blocage du transport de marchandises, une perturbation à long terme des réseaux d'approvisionnement affectant les médicaments et une augmentation des prix des denrées alimentaires et de l'énergie. Il prédisait une "montée du désordre public et des tensions sociales".
Cet été, un document (article en anglais) du cabinet du premier ministre a été divulgué, qui a mis en garde contre les effets combinés d'un Brexit sans accord avec l'UE et d'une deuxième vague de la pandémie, plus des inondations et la grippe saisonnière, ce qui provoquerait une crise économique systémique ayant un impact majeur sur les revenus disponibles, le chômage, l'activité commerciale, le commerce international et la stabilité du marché". Le document mettait en garde contre les hausses de prix et les pénuries, et contre un "impact significatif sur les groupes économiques faibles" et des troubles civils.
Ces scénarios se réalisent maintenant. La seule réponse du gouvernement Johnson est une répression brutale.
L'opération Yellowhammer a pris forme sur fond de plans de déploiement de dizaines de milliers de soldats et de policiers anti-émeute en cas de Brexit sans accord, et de l'utilisation des mesures d’État policier énoncées dans la loi de 2004 sur les urgences civiles de Tony Blair. Une législation d'urgence sur les coronavirus a été adoptée plus tôt cette année avec l' annonce que des dizaines de milliers soldats seraient mis en pré-alerte.
Le Brexit et la pandémie de coronavirus ont confirmé la faillite totale de toutes les perspectives politiques nationalistes. La campagne de Johnson sur le Brexit, pourvu d'une couverture de "gauche" par diverses formations de la pseudo-gauche – comme le Socialist Workers Party et le Socialist Party – qui affirmaient qu'un Royaume-Uni indépendant connaîtrait une renaissance du réformisme, a préparé le terrain pour la croissance de l'extrême droite et pour un assaut brutal de la classe ouvrière. L'UE n'est en rien un contrepoids progressiste, elle cherche uniquement à promouvoir les intérêts nationaux réactionnaires de ses propres États membres les plus puissants.
La Grande-Bretagne et les puissances de l'UE ont refusé de prendre les mesures nécessaires pour contenir et éradiquer le virus COVID-19 afin de protéger les profits de leurs oligarques super-riches et par crainte de perdre du terrain dans la concurrence économique les uns avec les autres et avec les États-Unis et la Chine.
Une réponse à la crise sociale et sanitaire à laquelle sont confrontés des millions de personnes ne peut être trouvée qu'en s'opposant à la politique nationaliste et pro-capitaliste de la classe dirigeante et de toutes ses agences et en luttant pour un mouvement internationaliste et socialiste de la classe ouvrière européenne et internationale. Le Parti de l'égalité socialiste (Royaume-Uni) et ses partis frères d’Europe continentale appellent les travailleurs à s'engager dans la lutte pour les États socialistes unis d'Europe.
(Article paru en anglais le 22 décembre 2020)