Les tensions entre l’UE et les États-Unis s'intensifient après le récent accord commercial Chine-UE

L'accord commercial conclu par les responsables de l'Union européenne (UE) avec le président chinois Xi Jinping le 30 décembre a considérablement intensifié les tensions entre l’UE et les États-Unis. L'accord a été conclu alors que Joe Biden s'apprête à prendre ses fonctions à Washington, appelant à construire un "bloc de démocraties" pour affronter la Russie et la Chine. Après l'accord UE-Chine il est clair cependant que des forces puissantes de la bourgeoisie européenne, dont la foi en l'Alliance Atlantique avec l'Amérique a été minée durant la présidence de Trump, ont l'intention de poursuivre une politique en conflit avec Washington.

La politique catastrophique "d'immunité collective" de Washington face à la pandémie de COVID-19, la débâcle des élections présidentielles américaines et le refus de Trump de reconnaître sa défaite, mettent en branle des conflits internationaux explosifs, y compris au sein de l'OTAN.

Le président chinois, Xi Jinping, à droite, la chancelière allemande Angela Merkel, au centre, le président français Emmanuel Macron, au fond à gauche, et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, au premier plan à gauche, au palais présidentiel de l’Élysée à Paris, mardi 26 mars 2019. (AP Photo/Francois Mori)

L'UE et Pékin discutaient de cet accord depuis 2012 et, écrit la Neue Zürcher Zeitung suisse, "à l'automne, il semblait improbable en raison de nombreux différends". Mais après les élections américaines de novembre, il est apparu le 18 décembre que l'UE avait pris "une décision politique de principe" pour trouver un accord. De toute évidence, cela a été bouclé en seulement deux semaines grâce à une forte implication personnelle de la chancelière allemande Angela Merkel, assistée par son ancienne secrétaire à la Défense, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et par le président français Emmanuel Macron.

Les responsables du nouveau gouvernement Biden ont protesté et ont cherché à mobiliser leurs partisans en Europe pour bloquer l'accord. Le 22 décembre, le conseiller américain par intérim à la Sécurité nationale Jake Sullivan a tweeté: "Le gouvernement Biden-Harris souhaiterait des consultations rapides avec nos partenaires européens sur nos préoccupations communes concernant les pratiques économiques de la Chine."

L'influence américaine dans l'UE étant minée par la rupture de Londres avec l'UE, il revenait au régime d'extrême droite polonais de critiquer l'accord. Le ministre polonais des Affaires étrangères, Zbigniew Rau, a déclaré que l'UE devait consulter Washington: "L'Europe devrait rechercher un accord global d'investissement équitable et mutuellement avantageux avec la Chine. Nous avons besoin de plus de consultations et de transparence pour convaincre nos alliés transatlantiques."

Les responsables de l'UE ont cependant ignoré ces objections, approuvant l'accord juste avant la conclusion de la présidence allemande de l'UE, à la fin de 2020. La France étant désormais à la présidence tournante de l'UE, ses détails doivent être finalisés d'ici 2022.

L'accord est une tentative des grandes entreprises européennes d'augmenter leur part des profits tirés de la classe ouvrière chinoise et internationale aux dépens des rivaux américains et de la bureaucratie stalinienne chinoise même. Il permet aux industries européennes de l'automobile, des transports, des matériels médicaux, de l'énergie et de la finance un accès sans précédent aux marchés chinois. Cela limite également la capacité des entreprises publiques chinoises à concurrencer les entreprises européennes. La Chine s'est engagée à ratifier les conventions fondamentales de l'OIT sur le travail forcé – apparemment en réponse aux allégations concernant le Xinjiang.

Les responsables américains ont fulminé contre l'accord selon le Financial Times . "Le tweet de Jake était très, très prudent dans le texte mais le message était indubitable. … Jake a dit en substance 'hé, pas si vite', et ce n’est pas ce qui se passe, a déclaré un ancien responsable du gouvernement Obama. "Dans tous les cas, c'est un revers."

Les responsables de l'UE sont farouchement divisés sur l'accord. Alors que le commissaire européen au Commerce, Valdis Dombrovskis, l'a qualifié de "résultat le plus ambitieux que la Chine ait jamais accepté avec un pays tiers", plusieurs responsables européens l'ont dénoncé. Le président de la délégation du Parlement européen sur la Chine, Reinhard Bütikofer – un responsable du Parti vert et ex-maoïste – a qualifié l'accord avec Pékin d '"erreur stratégique". Il a tweeté: "Devrions-nous vraiment aider Xi Jinping, à faire un doigt d'honneur à Joe Biden?»

Le parlementaire français de l'UE Raphaël Glucksmann, fils du "nouveau philosophe" maoïste post-1968 André Glucksmann, a également dénoncé l'accord. Faisant écho aux critiques du porte-parole du Conseil de sécurité nationale américain John Ullyot, comme quoi ses mesures sur le Xinjiang "ne sont pas accompagnées de mécanismes d'application et de vérification solides", Glucksmann a déclaré: "Aucun témoin extérieur ne peut pénétrer dans les usines qui exploitent des esclaves ouïghours. Donc, c'est juste des mots."

Les éclats de voix de Glucksmann sont de la propagande réactionnaire. Son indignation morale est toujours en proportion directe avec la taille des profits que les puissances de l'OTAN visent à extraire de la région concernée – que ce soit le Caucase, la Syrie et maintenant la Chine. Ses dénonciations des camps de prisonniers du Xinjiang, tirées directement des ‘points à discuter’ de la CIA, sont d'autant plus vides qu'elles s' accommodent fort bien des camps de prisonniers de masse que l'UE est en train de construire à travers la Méditerranée et les Balkans.

En revanche, alors que Pékin cherche des alliés contre Washington, la presse d’État chinoise a émis l'espoir que l'accord baisserait progressivement les tensions, limiterait les menaces américaines contre la Chine et assurerait un avenir pacifique au capitalisme mondial.

Le Global Times aécrit: "La raison pour laquelle de nombreux médias occidentaux surveillent de près l'accord est le moment choisi, ou nous pouvons dire ce qui concerne son influence sur les relations sino-américaines au cours de la prochaine période.[ …] Si la Chine et l'UE concluent des accords de libre-échange, cela signifierait une connectivité bien plus étroite entre l'Europe et l'Asie. Ainsi, en termes d’économie, cela consolidera les fondements de la mondialisation. Une fois la base de la mondialisation sauvegardée, les mesures favorisant l’actuelle confrontation et une nouvelle guerre froide perdront leur motivation".

En fait, la pandémie est un événement déclencheur qui a intensifié massivement les conflits internationaux et de classe insolubles du capitalisme mondial. Le poids économique croissant de l'Asie et de la Chine ne peut pas être intégré dans ce système dépassé, dont la faillite a été révélée par l'incapacité des pays les plus riches d'Europe et d'Amérique du Nord à contenir le COVID-19 – qui ont ensuite répandu une propagande de guerre mensongère tenant la Chine responsable des décès dus à la maladie. La seule force qui peut éviter un conflit catastrophique est la mobilisation révolutionnaire de la classe ouvrière internationale.

Loin de stabiliser la politique mondiale, l'accord Chine-UE enflamme des conflits entre l'impérialisme américain et européen, ayant leurs racines dans l’histoire et qui ont éclaté lors de deux guerres mondiales au XXe siècle. La dissolution stalinienne de l'Union soviétique en 1991 a fatalement sapé l'OTAN en la privant de son ennemi commun. Les conflits inter-impérialistes de partage du butin dans les guerres néocoloniales des décennies suivantes, au Moyen-Orient et en Afrique, ont maintenant atteint un paroxysme.

En 2015, les pays de l'UE, résistant à l'opposition des États-Unis, se sont engagés au projet de la Chine d’une Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (AIIB) pour financer les projets d'infrastructure massive de Pékin de la Nouvelle route de la soie. Cette décision témoignait de l'effondrement de l'influence économique et géopolitique américaine, qui se poursuit aujourd'hui.

Depuis que Merkel réagit à l'élection de Trump en 2016 et à ses menaces de boycott des exportations de voitures allemandes en déclarant, en 2017, que les Européens "doivent se battre pour leur propre avenir eux-mêmes", les tensions ne cessent de monter au sein de l'OTAN. Les puissances de l'UE s'irritent des sanctions que Washington tente d'utiliser pour les exclure de l'Iran, de la Russie et maintenant de la Chine, en menaçant ces pays de guerre commerciale ou de conflit militaire pur et simple. Maintenant, alors même qu'elle laisse le COVID-19 ravager la classe ouvrière, l'UE détourne des milliards d'euros pour se réarmer et préparer une politique étrangère plus indépendante.

L'Europe "n'entend pas se laisser pas entraîner dans un conflit dur avec la Chine", a écrit Le Monde àpropos du dernier accord, ajoutant : "La chancelière savait que l’opportunité était unique : la présidence allemande [de l'UE], d’un côté, lui offrait l’impulsion et l’autorité nécessaires ; la transition du pouvoir à Washington, de l’autre, lui donnait des marges de manœuvre susceptibles de se réduire à l’installation au pouvoir de Joe Biden, le 20 janvier 2021. Tout cela dans une année où la pandémie de Covid-19 a accru la perception en Allemagne de l’urgence de renforcer la « souveraineté » européenne, notamment sur les plans sanitaire et technologique, dans le contexte du face-à-face Pékin-Washington."

Dans un article de Foreign Policy, Noah Barkin – un membre du groupe de réflexion du German Marshall Fund des États-Unis – a mis en garde contre les implications de l'accord UE-Chine. "Il est difficile de ne pas le considérer comme un cadeau géopolitique à Pékin et un affront au nouveau gouvernement Biden qui s'est engagé à réparer les relations transatlantiques et à travailler plus étroitement avec l'Europe sur les défis stratégiques posés par la Chine", écrit-il.

De manière significative, Barkin ajoute que Berlin avait conclu à partir de la crise électorale américaine de 2020 qu'il devait se prémunir contre un effondrement de l'OTAN en développant des liens stratégiques avec les puissances que Washington cible pour la guerre et le changement de régime.

Il écrit: "Trump a bien perdu contre Biden en novembre. Mais le chiffre qui a vraiment retenti à Berlin, me dit-on, n'était pas les 306 votes électoraux qui ont indiqué Biden gagnant, mais les 74,2 millions de voix que Trump a reçus. Trump est peut-être bientôt parti, mais ses partisans sont là pour la durée. Ce n'est qu'une question de temps avant que quelqu'un d'autre ne reprenne son cri de guerre primaire. Dans ce contexte, la seule voie responsable, selon Merkel, est de se couvrir."

Ceux qui affirment qu'une "couverture" UE-Chine contre une désintégration de l'OTAN empêchera des guerres catastrophiques et des pertes en vies humaines sont toutefois fortement contredits par l'expérience historique. La lutte contre la guerre, comme la lutte pour mettre fin à la pandémie de COVID-19, incombe à la classe ouvrière internationale.

(Article paru en anglais le 5 janvier 2020)

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