Portugal: forte hausse du vote fasciste à l’élection présidentielle, remportée par les conservateurs

L'élection présidentielle de dimanche au Portugal a vu la victoire du président sortant de droite Marcelo Rebelo de Sousa et une montée en flèche des votes pour le parti fascisant Chega (Assez).

L'élection a eu lieu alors que les décès dus au coronavirus continuent d'exploser au Portugal. Le nombre de morts a plus que doublé depuis le début de l'année. Il a atteint le record de 275 dimanche, portant le bilan total des morts à 10 194 dans un pays de seulement 10,2 millions d'habitants.

Marcelo Rebelo de Sousa (Wikimedia Commons/Agência Lusa)

La peur du virus et l'absence de vote postal ou électronique sont en partie responsables du faible taux de participation record : 39,5 pour cent. Cependant, le taux de participation a diminué régulièrement au cours des décennies – de 84,4 pour cent, après le renversement de la dictature fasciste d'Antonio Salazar lors de la révolution des œillets de 1974, à 51,3 pour cent en 2016 – à mesure que la désaffection grandissait vis-à-vis de l'establishment politique. Aux élections législatives de 2019 seuls 48,6 pour cent des électeurs se sont déplacés.

Cette année, de Sousa, le candidat du Parti social-démocrate conservateur (PSD), a remporté un second mandat avec 60,7 pour cent des voix. Il a reçu le soutien officieux du Premier ministre du Parti socialiste social-démocrate (PS) António Costa et d'autres dirigeants du PS. Un responsable du PS, Carlos César, a félicité Rebelo de Sousa de sa réélection, affirmant que c'était une «bonne nouvelle» pour le PS car cela permettait la continuation étroite de la «coopération institutionnelle» entre le gouvernement et le président.

La principale préoccupation du PS et de ses alliés de la pseudo-gauche était d'étouffer la colère croissante contre les inégalités sociales et la pandémie dans la classe ouvrière et de bloquer un tournant à gauche. Le PS, œuvrant désespérément pour soutenir de Sousa, n'a pas présenté de candidat à lui. Ana Gomes, une maoïste devenue membre PS du Parlement européen, qui s'est présentée en tant qu'indépendante, n'a obtenu que 13 pour cent des voix.

Les autres partis alliés au PS ont enregistré des scores très bas. Le candidat du Parti communiste portugais stalinien (PCP), João Ferreira, a obtenu 4,3 pour cent, et le vote de Marisa Matias, du pseudo-de gauche Bloc de gauche (BE), s'est effondré à 4 pour cent, contre 10,1 pour cent en 2016. Ces deux partis ont travaillé pendant des années dans un coalition de fait avec le PS.

Chega, un parti créé en 2019, a obtenu 11,9 pour cent des voix, une forte augmentation de son soutien. En octobre 2019, lorsque son chef André Ventura fut le premier candidat fasciste depuis la révolution de 1974 à être élu, son score avait été de 1,3 pour cent. Ce mois-ci, Marine le Pen, leader du parti d'extrême droite Rassemblement national en France, était l'invitée d'honneur de la campagne électorale de Ventura.

Le soir de l'élection, Ventura a qualifié l'élection d’«historique», ajoutant qu'il avait écrasé «l'extrême gauche au Portugal», signifiant le PCP et le BE. Il a affirmé que Chega avait «réussi à briser le blocus habituel au Portugal pour créer une force anti-système écrasante».

Comme d'autres démagogues fascistes, Ventura condamne violemment le socialisme, «l'establishment politique corrompu» et les couches les plus opprimées de la société pour la crise économique et sociale. Il attaque les «tsiganes» et les travailleurs roms contraints de compter sur l'aide sociale, déclarant que «le socialisme et la corruption tuent notre nation». Il veut abolir la Constitution post-dictature, qui sur le papier appelle à «une société socialiste» et à l'abolition de l'impérialisme, du colonialisme et de «toutes les autres formes d'agression».

Le sentiment fasciste monte auprès de la classe dirigeante. Après que Ventura a rencontré l'année dernière des hommes d'affaires portugais pour discuter de son programme ‘loi et ordre’ et pro-business, João Maria Bravo, propriétaire du groupe Sodarca, un fournisseur important d’armes aux forces armées portugaises, a déclaré aux journalistes: «Depuis 1974, le pays a dégringolé, et c'est déjà le gouvernement le plus cher de tous les temps. André est le seul à mettre le doigt sur la plaie et à parler de ce que nous voulons entendre. Il fait des propositions honnêtes, entend remettre de l'ordre dans le pays, lutter contre l'impunité et faire prospérer l'économie. »

Il a ajouté: «Comme vous pouvez l'imaginer, j'ai d'excellents contacts au sein de la police et des forces militaires, et je vous garantis qu'il a beaucoup de soutien. Il n'y a plus de partisans déclarés dans ces milieux pour le moment car ils ne peuvent pas se manifester. »

La montée en puissance d'un candidat fasciste au Portugal, quelques semaines seulement après que l'ancien président américain Donald Trump ait tenté un coup d'État fasciste sur le Capitole à Washington, est un avertissement aux travailleurs du monde entier. La réponse de la bourgeoisie à la colère croissante de la classe ouvrière contre la politique meurtrière d’«immunité collective» face au COVID-19 et le degré toxique d’inégalité sociale, est de se tourner vers le fascisme. Des partis comme Chega au Portugal et Vox en Espagne – dans des pays où les régimes fascistes ne sont tombés que dans les années 1970 et sont encore bien présents dans les mémoires – sont ressuscités au milieu d'une crise insoluble et internationale du capitalisme.

Les forces principalement responsables de la montée du Chega sont les partis anti-ouvriers de la pseudo-gauche que Ventura a faussement qualifié «d'extrême gauche».

En 2015, le BE avec le PCP et le Parti vert (PEV) ont soutenu le nouveau gouvernement PS minoritaire pro-austérité et pro-Union européenne (UE) de Costa. Ils ont sauvé le PS, discrédité pour avoir imposé l'austérité lorsqu’il était au pouvoir de 2005 à 2011 et risquait de se désintégrer comme son parti frère en Grèce, le PASOK.

Le BE a apporté son soutien avec enthousiasme à Costa simplement « à la condition qu'il renonce à certaines des politiques plus néolibérales de son programme ». Toute sa rhétorique pré-électorale sur la répudiation de la dette du Portugal et sa rupture avec l'Union européenne fut abandonnée. Le pacte avec le PS devint la voie par laquelle la base petite-bourgeoise de BE a été complètement intégrée dans le mécanisme d'austérité de l'UE. Cela créa un désastre social pour la classe ouvrière.

Après des années d'un gouvernement PS soutenu par BE, le Portugal est l'un des pays les plus socialement inégalitaires de l'UE. Un travailleur sur cinq au Portugal perçoit le salaire minimum mensuel de 635 €, le plus bas d'Europe occidentale. Le salaire mensuel médian au Portugal est inférieur à 900 € par mois, contre plus de 2 000 € pour l'ensemble de l'UE. Dans le même temps, les super-riches sont devenus plus riches encore. Selon Statista.com, «D'ici 2022, on estime que le nombre de personnes au Portugal avec une fortune personnelle de plus de cinq millions de dollars américains atteindra 5 650, une augmentation attendue de près de 1 100 par rapport à 2017.»

L'année dernière, au milieu de la catastrophe provoquée par la pandémie, le BE a admis que les gouvernements PS qu'il avait soutenu avait poursuivi « une stratégie de transfert de ressources vers le secteur privé ». Aujourd'hui, le système de santé publique du Portugal est au bord de l'effondrement, les hôpitaux manquant cruellement de lits de soins intensifs. «Nous traitons déjà des patients au-delà de notre capacité effective [ ...] et nous ne sommes pas le seul hôpital où cela se produit», a déclaré Daniel Ferro, directeur du plus grand hôpital de Lisbonne, Santa Maria.

Lorsque les travailleurs se sont mobilisés contre le gouvernement PS, la pseudo-gauche y était violemment hostile. Lorsque les travailleurs portugais ont fait grève et que les manifestations des «gilets jaunes» se sont propagées au Portugal après celles de la France, le chef du BE, Francisco Louçã, les a dénoncées comme fascistes: « C'est une opération d'extrême droite. Ils utilisent les réseaux sociaux pour susciter une politisation agressive en termes d'extrême droite. » En 2019, BE et les syndicats portugais ont isolé une grève des camionneurs à l'échelle nationale alors même que le gouvernement PS mobilisait l'armée pour forcer les chauffeurs à reprendre le travail

La montée en puissance de Chega, alors que la classe capitaliste en Europe et dans le monde poursuit une politique meurtrière et fascisante d '«immunité collective», est un avertissement extrêmement grave. Il est urgent de construire un mouvement politiquement indépendant dans la classe ouvrière, de lutter contre la politique d'«immunité collective» et pour un socialisme basé sur une critique marxiste-internationaliste des groupes de la pseudo-gauche. Cela signifie lutter pour construire une section portugaise du Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article paru en anglais le 26 janvier 2021)

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