Perspectives

Macron dicte une «Charte des principes» au Conseil français du culte musulman

La semaine dernière, le Conseil français du culte musulman (CFCM) a adopté une «Charte des principes» de l’Islam de France imposé par le gouvernement. La charte engage au respect par les acteurs du culte musulman des principes dictés par l’État, qui pointe les musulmans depuis la fin de 2019 comme animés d'une volonté «séparatiste».

Tout en prétendant hypocritement défendre l’égalité des droits, cette démarche vise à transformer de fait les musulmans en citoyens de seconde classe. Alors que l'organisation des cultes est censée déjà être fixée par la loi de 1905 sur la laïcité, le gouvernement Macron a voulu à travers sa charte leur imposer en plus un serment humiliant de fidélité à l’État. Rien de comparable n'est demandé aux autres religions.

Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin a révélé le fond de la campagne antimusulmane en déclarant au Figaro: «jusqu’ici, l’État s’intéressait à la radicalisation et au terrorisme. Maintenant, on va aussi s’attaquer au terreau du terrorisme, où se trouvent des gens qui créent un espace intellectuel et culturel pour faire sécession et imposer leurs valeurs».

Ainsi les forces de l’ordre cibleront désormais des personnes qui ne se seront rendues coupables d’aucun acte criminel. Elles pourront s’attaquer à des pensées sans faire plus que déclarer que celles-ci pourraient à l’avenir encourager le «séparatisme». Ce prétendu «terreau» terroriste est défini de manière si vague qu’il englobe les lieux de culte, les associations cultuelles et culturelles musulmanes, et leurs défenseurs. Être «séparatiste» ne signifie en fin de compte que d’avoir des pensées ou des habitudes que la police réprouve.

En créant ainsi un délit d’opinion et une présomption de culpabilité visant en premier chef les musulmans, l’État menace la démocratie et les droits non seulement des musulmans, mais de tous. Dans une telle situation, la défense des musulmans contre le gouvernement Macron est une tâche essentielle de la classe ouvrière. Ce n’est qu’en s’opposant aux tentatives de diviser les travailleurs sur des lignes confessionnelles et ethniques qu’il sera possible pour la classe ouvrière de s’unifier en lutte.

Qu’est-ce que la «Charte des principes» dicte aux musulmans?

La «Charte des principes» est entièrement pénétrée d’une tartufferie grotesque, qui présente l’État capitaliste en défenseur du principe d’égalité contre les musulmans, alors même qu’il tente de leur ôter des droits d’expression pourtant inaliénables. Car avec cette Charte, il s’agit bel et bien pour la police de dicter les opinions des musulmans et de leur interdire de s’exprimer politiquement.

La Charte déclare: «D’un point de vue religieux et éthique les musulmans, qu’ils soient nationaux ou résidents étrangers, sont liés à la France par un pacte. Celui-ci les engage à respecter la cohésion nationale, l’ordre public et les lois de la République.» Ces devoirs des musulmans envers l’État l’emportent, selon elle, sur leurs convictions: «Aucune conviction religieuse ne peut être invoquée pour se soustraire aux obligations des citoyens.»

Or, il est impossible de discuter de l’actualité sans mettre à mal la «cohésion nationale» voulue par Macron. En France comme à travers l’Europe, l’État impose à la fois une politique d’austérité qui crée des inégalités sociales grotesques et une politique d’immunité collective face au coronavirus, décriée par les scientifiques, qui a fait plus de 600.000 morts en Europe. Le mouvement des «gilets jaunes» et de nombreuses grèves à travers la France et l’Europe témoignent de la colère explosive dans la classe ouvrière que provoquent ces politiques.

Depuis que la dissolution stalinienne de l’Union soviétique en 1991 a éliminé le principal obstacle au recours à la force par les pays de l’OTAN, la France envahit régulièrement des pays musulmans parmi ses anciennes colonies. Les guerres en Côte d’Ivoire, en Afghanistan, en Libye, en Syrie, au Mali suscitent une large méfiance et une large opposition des travailleurs. Cette opposition est particulièrement vive parmi les travailleurs musulmans.

La «Charte de principes» leur interdit toute discussion politique dans les lieux de culte, en déclarant: «Nous refusons que les lieux de culte servent à diffuser des discours politiques ou importer des conflits qui ont lieu dans d’autres parties du monde. Nos mosquées et lieux de culte sont réservés à la prière et à la transmission des valeurs. Ils ne sont pas érigés pour la diffusion de discours nationalistes défendant des régimes étrangers et soutenant des politiques étrangères hostiles à la France, notre pays, et à nos compatriotes Français.»

Ce nouvel interdit ne vise manifestement pas les actions terroristes, qui étaient déjà punies par la loi avant que Macron ne dicte cette charte au CFCM. Il s’agit d’interdire des discussions politiques qui seraient critiques de la politique extérieure, ou intérieure de l’État français.

Ce but est assumé dans la «Charte». Les ingérences répétées de l’État dans la vie privée des musulmans, en jetant des interdits contre le voile à l’école ou dans l’espace public, ont créé une atmosphère hystérique et islamophobe. Des actes irrationnels comme le renvoi de lycéennes musulmanes pour avoir porté des jupes trop longues et le passage à tabac par la police de maris de femmes voilées ont nourri un sentiment parmi les travailleurs musulmans qu’un racisme d’État les cible.

La «Charte des principes» interdit donc toute évocation du racisme d’État. Les actes islamophobes, assène-t-elle, «sont l’œuvre d’une minorité extrémiste qui ne saurait être confondue ni avec l’État ni avec le peuple français. Dès lors, les dénonciations d’un prétendu racisme d’État, comme toutes les postures victimaires, relèvent de la diffamation.»

La «Charte» ajoute que les officiants islamiques vont rappeler aux fidèles «que certaines pratiques culturelles prétendues musulmanes ne relèvent pas de l’Islam». Cette formule vague et incohérente impose au CFCM de défendre des interdits tels que la loi contre le port du voile dans les écoles qui suscitent le mécontentement des musulmans.

Ceci dévoile très clairement le contenu politique réactionnaire et, dans l’analyse finale discriminatoire de la «charte». L’État français crée pour les musulmans un statut spécial de minorité pour qui toute critique collective de l’État est interdite. En effet, traiter l’évocation par les musulmans de racisme d’État de «diffamation» équivaut à criminaliser toute discussion de questions confessionnelles qui serait informée par l’histoire d’Europe et de France.

L’impérialisme français a une longue et sanglante tradition de racisme d’État plus ou moins ouvertement assumé. Entre la conquête de l’Algérie dans les années 1830 et la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il a imposé un Code de l’indigénat discriminatoire aux musulmans dans les colonies françaises. L’abolition de ce Code en 1946 n’est intervenue qu’après un soulèvement ouvrier contre le régime collaborationniste de Vichy, qui avaient mené une politique de déportation des Juifs vers les camps de la mort en Europe.

Dans le contexte actuel, ces faits ne sont pas que des références historiques. Les organisations néofascistes partisanes de «l’Algérie française», qui font l’apologie de la collaboration nazie jouent désormais un rôle majeur dans la vie politique française. Leurs défenseurs, tels le polémiste d’extrême-droite Eric Zemmour, condamné pour incitation à la haine raciale, disposent de vastes réseaux dans les médias et dans les milieux patronaux.

Cette tentative de jeter une omerta sur l’histoire du 20e siècle afin d’effectuer une mise au pas de la communauté musulmane intervient dans un cadre international critique. La pandémie a non seulement provoqué la plus grave crise économique depuis les années 1930, mais aussi discrédité la classe dirigeante. Criminalisée par sa politique d’immunité collective qui a fait à l’échelle mondiale des millions de morts évitables, et terrifiée par la colère ouvrière, l’aristocratie financière vire vers une dictature d’extrême-droite.

Le coup d’État tenté par Trump avec des forces néonazies contre le Capitole à Washington le 6 janvier, a révélé la pourriture fasciste qui gangrène le cœur de l’impérialisme mondial. Les répliques de ce séisme politique commencent à peine à s’étendre à travers l’Europe où, bien avant la tentative de coup d’État de Trump, les partis néofascistes étaient encouragés par des fractions considérables de la classe dirigeante.

Il est impossible d’évaluer la «Charte» en dehors de ce contexte international. En Allemagne, l’extrême-droite siège à nouveau au parlement, et des professeurs d’extrême-droite traitent Hitler de «pas cruel» avec la protection des social-démocrates et des chrétiens-démocrates de la Grande Coalition au pouvoir. En Espagne, des officiers qui revendiquent leur fascisme ont réagi aux grèves contre la politique d’immunité collective en déclarant qu’il faudrait fusiller «26 millions» de personnes.

Une politique fascisante sous couvert de défense de la République

La particularité de l’offensive contre les droits démocratiques en France est qu’elle est menée hypocritement au nom d’une défense de la République.

La «Charte des principes» est adoptée dans le cadre d’un projet de loi contre le séparatisme islamiste, renommé «projet de loi confortant le respect des principes de la République», examiné en commission à l'Assemblée depuis le lundi 18 janvier. Toute la classe politique est alignée, depuis la fin de 2019, sur le slogan que la lutte prioritaire à mener par l’État est celle contre le «séparatisme islamiste».

Un pacte a été conclu entre les principaux partis parlementaires lors d’une commission d'enquête sénatoriale multipartite pilotée par Les Républicains (LR), Radicalisation islamiste: faire face et lutter ensemble. La commission était composée de représentants de l'ensemble des groupes politiques au Sénat, y compris le Parti communiste français (PCF) stalinien.

La pandémie et la crise politique liée au déconfinement a accéléré cette campagne. Il y a eu la fermeture de dizaines de mosquées ou d'établissements d'enseignement musulman, et la dissolution pour des motifs politiques de l'association humanitaire Barakacity et du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), une association de défense des droits de l'homme. Ces associations reconnues menaient leurs activités dans un cadre tout à fait légal.

Sous couverture de défense de la République, Macron vise à casser la loi de 1905 sur la laïcité. Cette loi avait été adoptée sous l’influence du mouvement socialiste après l’Affaire Dreyfus, et la défaite des forces antisémites dans l’Armée et l’Église qui avaient tenté d’emprisonner le capitaine juif Alfred Dreyfus sur la base de mensonges. Avec la loi de 1905, l’ensemble du cadre qui, hormis l’Occupation, a régi la liberté de conscience les relations entre l’État et les religions depuis plus d'un siècle est menacé.

Macron a imposé au CFCM la rédaction de documents fondamentaux en quelques semaines, avec un contenu largement dicté par le pouvoir. Il veut un calendrier contraignant et accéléré pour créer ensuite le Conseil national des imams (CNI), destiné à «certifier» ou «labelliser» les officiants, qui devront s'engager vis-à-vis de la charte.

Pour tenter de trouver un point de comparaison, les éditorialistes ont remonté au début du XIXe siècle, et la création par Napoléon Ier d’une représentation officielle du judaïsme français, après la Révolution française de 1789.

Sous l'Empire, de 1806 à 1808, Napoléon a réorganisé le judaïsme dans le prolongement de l’Acte d’émancipation du 27 septembre 1791 de l’Assemblée constituante qui accordait aux Juifs l'accès à la citoyenneté française. Les réformes de Napoléon Ier ont abouti à la création du Consistoire central israélite de France pour organiser et légaliser le culte judaïque.

En réalité, la comparaison entre l'œuvre de Napoléon et celle de Macron est accablante pour Macron. Malgré son autoritarisme et ses préjugés à l'égard des juifs, Napoléon a permis l'organisation du culte et l'intégration des populations juives. En cela, il poursuivait la trajectoire, impulsée par la Révolution, de destruction des vestiges des ségrégations issues du féodalisme.

En comparaison, on ne peut que constater la malfaisance des mesures concoctées par l'autocrate élyséen, qui visent à légitimer les mesures d'exclusion et de harcèlement policier qui vont croissantes à l'encontre des musulmans.

L'action de Macron trouve ses antécédents non pas dans les principes établis par la Révolution française, mais chez les opposants de cette Révolution. Avant de saluer le vote néofasciste le soir de son élection, il avait déjà critiqué l’exécution de Louis XVI et déclaré qu’il manque à la France un roi. Son gouvernement a tenté de faire ré-éditer les œuvres du dirigeant de l’Action française, le monarchiste antisémite et vichyste Charles Maurras, et il a traité Pétain de «grand soldat» alors qu’il lançait les forces de l’ordre contre les «gilets jaunes».

Ce n’est pas une coïncidence qu’en 2019 le gouvernement a épaulé à la campagne médiatique contre J’Accuse, le film de Roman Polanski sur l’Affaire Dreyfus. Il transpire l'influence des antidreyfusards, du racisme maurassien, et de Maurras qui a traité la défaite française, l’arrivée au pouvoir de Pétain et la collaboration nazie en 1940 de «divine surprise».

La campagne antimusulmane de l’État français est allée de pair non seulement avec la politique d’immunité collective et de guerre impérialiste, mais avec un violent assaut contre la classe ouvrière et ses droits essentiels, dont ceux de grève et de manifestation.

La loi «anti-séparatiste» est accompagnée d’une «loi de sécurité globale» qui interdirait la diffusion d’images de la police. Comme l’a révélé le passage à tabac par la police à Paris d’un pacifique producteur de musique, Georges Zecler, ceci permettrait à la police d’attaquer n’importe qui et, en prétendant que c’était lui que l’avait attaquée, de le mettre en prison. L’ONU et même le rapporteur des droits de l’État français ont averti que ce texte législatif porte atteinte aux droits de l’homme. Il vise à consolider un État policier fascisant dirigé contre la classe ouvrière.

Un sursaut politique est nécessaire. L’histoire du 20e siècle et le génocide fasciste des Juifs en Europe constituent un avertissement à jamais du prix horrible que paie la classe ouvrière si elle permet à des forces d’extrême-droite d’inciter les haines raciales et confessionnelles. Il est nécessaire d’unifier la classe ouvrière internationalement, indépendamment des appareils syndicaux, en une lutte contre la politique d’immunité collective et la dérive fasciste de la bourgeoisie, et pour le transfert du pouvoir à la classe ouvrière sur une perspective socialiste.

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