Les médias prétendent à tort que les écoles sont sûres: ce que la science dit réellement

Première partie

La semaine dernière, un bombardement médiatique orchestré par la télévision et la presse écrite a assailli le public, affirmant qu’une étude des Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) américains justifiait le plan de réouverture des écoles du président Joe Biden dans le contexte de la pandémie de coronavirus.

La campagne a été lancée après la publication, le 26 janvier, d’un rapport de trois scientifiques des CDC dans le «JAMA Network Viewpoint» (le Journal de l’association médicale américaine) qui rassemblait plusieurs études d’observation sélectionnées, mais très limitées, menées aux États-Unis lors de la première réouverture des écoles à l’automne, affirmant que la transmission du coronavirus dans les écoles était un événement rare. Il s’agissait d’une période aux États-Unis où les taux de cas quotidiens avaient considérablement diminué et où les hospitalisations avaient atteint leur point le plus bas depuis des mois.

L’article d’opinion du JAMA ne cite pas d’études de prévalence ni de tests de dépistage à grande échelle des anticorps chez les élèves et les enseignants pour aborder la relation entre le milieu scolaire et la transmission dans la communauté, et les CDC n’ont pas mené une telle étude. Le commentaire a complètement ignoré les études plus récentes et plus pertinentes qui réfutent l’hypothèse de la sécurité des écoles, d’une manière qui ne peut être comprise que comme étant politiquement motivée.

Salle de classe de Pennsylvanie avec enseignement en personne [Source: Page Facebook du Conestoga Valley School District]

Les médias ont sauté sur cette affirmation selon laquelle les écoles sont des lieux sûrs pour les enfants pour s’en prendre aux enseignants qui résistent aux États et aux syndicats de l’éducation qui leur demandent d’accepter une réouverture immédiate. USA Today a écrit: «L’école en personne peut être sûre!» NPR a déclaré: «le CDC plaide en faveur de la réouverture des écoles».

Le Washington Post, qui mène la charge, a déclaré: «Le CDC constate une faible propagation du coronavirus dans les écoles.» Dans un éditorial, le journal, propriété du milliardaire Jeff Bezos, patron d’Amazon, a écrit: «Le danger du COVID-19 ne se situe pas dans la salle de classe, mais dans la communauté… Ceux qui réclament la réouverture des écoles ont beaucoup de preuves de leur côté que les classes en personne ne sont pas des courroies de transmission du coronavirus.»

C’est la Maison-Blanche elle-même qui a dû mettre un frein aux revendications les plus extravagantes. Un journaliste a posé la question suivante: «Il y a eu un certain nombre d’études, y compris la récente étude du CDC [l’étude du Wisconsin] qui a montré que les écoles sont parfaitement sûres pour les élèves qui y retournent et il y a eu des recommandations pour qu’ils y retournent. Cela ressemble donc à un conflit entre les enseignants, les syndicats et le monde scientifique. Quelle est la position de l’administration dans ce conflit?»

L’attachée de presse de la Maison-Blanche, Jen Psaki, a répondu avec prudence: «Le président Biden veut que les écoles ouvrent et restent ouvertes parce que c’est évidemment très perturbant pour les familles… Mais cela signifie qu’on doit s’assurer, comme vous l’avez dit, que chaque école est en mesure de disposer des équipements et des ressources nécessaires pour ouvrir en toute sécurité. Il ne s’agit pas seulement des écoles rurales ou des écoles privées, où c’est souvent là que les écoles rouvrent ou sont restées ouvertes. Cela représente plutôt un défi pour les écoles publiques qui n’ont pas le financement provenant des frais de scolarité ni de petites populations où il est plus facile de mettre en place les actions nécessaires pour garder les écoles ouvertes».

Elle a poursuivi en reconnaissant que l’étude du CDC, «qui, je le sais, a reçu beaucoup d’attention, était basée sur une sorte de zone plus rurale du Wisconsin. Je pense que ce qu’a dit le Dr Walensky [le nouveau directeur du CDC] – en fait il l’a dit sur CNN en soirée, hier – c’est que, pour les zones plus peuplées, où beaucoup plus de circulation piétonne a lieu, on doit mettre en place beaucoup de mesures afin de rendre les écoles plus sûres… le ministère de l’Éducation et le CDC vont devoir fournir des conseils basés sur des preuves».

La façon dont les médias ont mené la campagne de réouverture des écoles n’a été rien d’autre qu’un blitzkrieg de rhétorique, permettant à la Maison-Blanche de faire quelques pas en arrière et de prendre ses distances. Le CDC a fait de même. Le commentaire paru dans le JAMA est accompagné d’un avertissement qui indique que les résultats et les conclusions du rapport «sont ceux des auteurs [chercheurs du CDC] et ne représentent pas nécessairement la position officielle du CDC». Cela n’est pas mentionné par les médias, qui cherchent à utiliser l’autorité du CDC pour mener la campagne de réouverture des écoles.

Manifestement, la prudence de la Maison-Blanche est motivée par des considérations politiques. Le gouvernement Biden veut forcer les enseignants à retourner en classe, mais il reconnaît qu’une opposition massive de la base se développe et préfère laisser le sale boulot aux syndicats et aux responsables des écoles locales et publiques. Pendant ce temps, Biden continue à tenir un discours sur la réouverture «en toute sécurité», même si, dans les conditions d’une pandémie mondiale, cela est impossible.

Des études internationales récentes sur les enfants et le COVID-19

Il est important de juger de manière critique la science qui serait à l’origine du commentaire du publié dans le JAMA Viewpoint, et donc toute la campagne menée par le gouvernement Biden et les districts scolaires dirigés par les démocrates comme Chicago, Los Angeles et New York, pour rouvrir les écoles. Contrairement aux calomnies des médias, ce sont les enseignants qui ont la science de leur côté, pas les administrateurs des écoles ni les patrons capitalistes – ces derniers exigent la réouverture des écoles pour que les parents puissent retourner au travail et générer des profits.

Les centres européens de contrôle et de prévention des maladies (ECDC) ont au moins reconnu que les enfants de tous âges sont susceptibles de transmettre le SRAS-CoV-2 et peuvent le faire. Ils ont également déclaré que les fermetures d’écoles peuvent contribuer à réduire la transmission du SRAS-CoV-2, mais qu’elles sont insuffisantes en l’absence d’un effort de toute la société, un point que nous aborderons en détail plus loin. Ils ont admis qu’ils manquaient de données adéquates pour expliquer le rôle que les enfants et les écoles jouent dans la transmission communautaire. Cependant, on en sait plus depuis que le CEPCM a publié une déclaration en décembre.

Dans article publié dans le Wall Street Journal intitulé: «Les écoles d’Europe fermées à nouveau, car on s’inquiète qu’elles puissent propager le COVID-19», le quotidien rapportait: «Alors que les autorités américaines débattent de la question de savoir si l’on doit garder les écoles ouvertes, un consensus se dégage en Europe sur le fait que les enfants sont un facteur considérable dans la propagation du COVID-19 et de plus en plus de pays ferment des écoles pour la première fois depuis le printemps».

Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé mondiale de l’Université de Genève, a expliqué que lors de la deuxième vague en Europe, des données obtenues grâce aux enquêtes sur les anticorps menées dans différents pays ont permis de démontrer que le coronavirus infecte également les écoliers. Les écoles suisses sont ouvertes depuis l’été. Les tests d’anticorps ont montré que les enfants âgés de 6 à 18 ans étaient infectés tout autant que les jeunes adultes. Une enquête nationale en Autriche a révélé que les enfants de moins de 10 ans ont un taux d’infection similaire à celui des enfants plus âgés et que ces enfants étaient infectés aussi souvent que leurs enseignants.

En décembre, les taux de positivité chez les enfants étaient plus élevés que chez les adultes. Même le premier ministre britannique, Boris Johnson, a dû concéder: «Le problème est que les écoles peuvent néanmoins agir comme des vecteurs de transmission, provoquant la propagation du virus entre les ménages».

Le point de vue du JAMA, ignorant ces développements en Europe, a également choisi de ne pas aborder une importante étude du sud de l’Inde, publiée dans la revue Science le 6 novembre, qui a révélé que les enfants transmettaient le virus entre eux et les adultes. Les auteurs ont noté que les États indiens du Tamil Nadu et de l’Andhra Pradesh avaient mis en place un système rigoureux de recherche et de test des contacts. L’étude a indiqué que les événements de super-diffusion prédominaient, où environ 5 pour cent des individus infectés représentent 80 pour cent des cas secondaires.

Le Dr Ramanan Laxminarayan, membre du Centre pour la dynamique, l’économie et la politique des maladies à New Delhi, en Inde, a déclaré à NPR: «Ce que nous avons découvert dans notre étude, c’est que les enfants étaient en fait très importants. Ils étaient susceptibles d’être infectés, en particulier par les jeunes adultes âgés de 20 à 40 ans. Ils étaient susceptibles de transmettre la maladie entre eux… et ils vont également infecter des personnes de tous les groupes d’âge, y compris les personnes âgées. Beaucoup d’enfants sont des propagateurs silencieux en ce sens qu’ils ne manifestent pas la maladie avec des symptômes. Ils sont infectés autant que les autres, et ensuite, ils la transmettent à d’autres personnes».

Le JAMA Viewpoint ne cite qu’une seule épidémie de COVID-19 fréquemment mentionnée qui s’est produite en mai 2020 dans un lycée en Israël. Il est dit que de tels événements sont rares, et que l’événement de super-diffusion s’est produit parce que l’école a abandonné ses protocoles d’atténuation. Ils espèrent que le public acceptera leur affirmation selon laquelle les épidémies scolaires sont des événements rares et ne se produisent que lorsque les écoles ne respectent pas les règlements, ce qui permettrait aux États et aux districts de rejeter la responsabilité sur les enseignants et les élèves lorsque des épidémies se produisent.

L'étude du Wisconsin

Comme on l’a mentionné, la pièce maîtresse de l’article publié par le JAMA en faveur de l’ouverture des écoles est l’étude récemment publiée dans le Wisconsin par le CDC qui est saluée comme le modèle d’atténuation pour la réouverture future des écoles.

La période d’étude s’étend du 31 août au 29 novembre 2020. Dix-sept écoles de la maternelle à la 12e année dans les zones rurales du Wisconsin y ont participé. Un petit groupe de médecins et d’étudiants chercheurs en médecine a commencé la surveillance dans les écoles. Les districts ont reçu un financement de la Legacy Foundation of Central Wisconsin pour acheter des masques en tissu à trois couches pour tous les élèves. Les classes comptaient de 11 à 20 élèves. (Dans le Wisconsin, la taille moyenne des classes est d’environ 20 personnes.) On a invité les étudiants à toujours porter leur masque à l’intérieur et à se tenir à une distance de deux mètres les uns des autres.

L’incidence du COVID-19 parmi les élèves et le personnel par rapport à l’ensemble du comté était de 3.453 pour 100.000 contre 5.466 pour 100.000. Sur les 191 cas identifiés chez les élèves et les enseignants, seuls sept cas (3,7 pour cent) étaient liés à la propagation en milieu scolaire.

À première vue, les conclusions semblent valables. Cependant, des biais troublants existent qui sont intégrés et négligés dans une telle étude, où la surveillance par les chercheurs et l’examen politique du district scolaire sont considérables, ce qui rend difficile la généralisation à des situations réelles. Est-ce que chaque district scolaire sera surveillé et disposera des meilleurs masques en tissu; et est-ce que des rapports hebdomadaires seront envoyés au CDC et aux services de santé publique pour assurer que la surveillance des activités des élèves a été faite adéquatement?

Malgré cela, l'une des limites importantes de l'étude est que les écoles n'ont pas effectué de dépistage des infections chez les membres du personnel et les élèves pour inclure le test PCR, ce qui empêche d'estimer la prévalence de la propagation asymptomatique. Aucune étude sérologique n'a été menée pour évaluer un lien quelconque entre les écoles et la transmission communautaire croissante que connaît l'État. Immédiatement, en conjonction avec la date de début de l'étude, la moyenne sur sept jours des infections par COVID-19 dans l'État est passée de 696 cas par jour à un pic de 6563 cas par jour le 18 novembre.

L'étude de Montréal

Une étude plus convaincante réalisée à Montréal fournit une évaluation plus granulaire du rôle des enfants dans la propagation communautaire du coronavirus COVID-19.

Les auteurs de l’étude, la Dre Simona Bignami de l’Université de Montréal et le Dr John F. Sandberg de l’Université George Washington, ont écrit: «Comme la rentrée scolaire de l’automne 2020 a coïncidé avec le début de la deuxième vague dans de nombreux pays européens et au Canada, le débat est devenu particulièrement vif. Quel a été le rôle de la transmission du COVID-19 chez les enfants d’âge scolaire dans l’incidence globale de l’infection à l’automne 2020? La réponse à cette question a une pertinence politique immédiate pour décider si, quand et comment rouvrir les écoles à mesure que la pandémie se développe et que la couverture vaccinale reste faible».

Ils notent qu’avant l’ouverture des écoles, les autorités de santé publique de Montréal avaient documenté 7,5 cas pour 100.000 habitants vers la mi-août. Le 5 janvier 2021, l’incidence des infections avait grimpé à 282,7 cas pour 100.000 habitants, avec une augmentation concomitante des hospitalisations et des décès. Le gouvernement québécois a néanmoins décidé de rouvrir les écoles le 11 janvier affirmant, comme ses homologues américains, que les adultes sont responsables de la propagation du virus dans la communauté, car les cas de COVID-19 étaient plus nombreux chez les adultes que chez les enfants. Ils ont également déclaré avec insistance que les écoles touchées n’avaient signalé que quelques cas isolés.

Pour répondre à cette question cruciale, Bignami et Sandberg se sont tournés vers la «compilation sans précédent de données publiées par la Direction régionale de la santé de Montréal», qui suit les cas hebdomadaires dans 26 arrondissements de 339 écoles de Montréal. Leurs conclusions ont montré que les enfants représentent une part importante de tous les cas de COVID-19 confirmés. Les régions où l’incidence du COVID-19 chez les enfants est la plus élevée sont celles qui comptent des ménages à faible revenu et où la proportion d’enfants de moins de 18 ans est plus élevée dans chaque ménage.

Une observation cruciale était que les infections chez les enfants de 10 à 19 ans précédaient l’augmentation des cas chez les adultes de 30 à 49 ans. Cela signifie que les enfants infectés infectaient leurs parents, et non l’inverse. De même, en novembre, les enfants de moins de 10 ans ont connu une accélération des nouveaux cas au même rythme que les autres groupes d’âge. Cela signifie qu’une fois que la propagation communautaire devient importante, même les jeunes enfants n’y échappent pas. Les chercheurs ont conclu que «la transmission du COVID chez les enfants d’âge scolaire ne semble pas être la conséquence, mais plutôt un déterminant important du niveau général d’infection dans les communautés environnantes».

Dans une interview accordée au site Internet Global News Canada, Oliver Drouin, l’un des coauteurs de l’étude, qui dirige également COVID Écoles Québec, a fait une observation révélatrice: «Lorsqu’il y a un cas à l’école, il peut y avoir un, deux, trois autres cas à la maison qu’on ne compte pas comme des cas scolaires. Mais, bien entendu, ces cas sont comptés comme des cas à la maison».

À suivre

(Article paru en anglais le 1er février 2021)

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