Pour un mouvement indépendant de la classe ouvrière contre la privatisation du port de Colombo! Non à la campagne anti-indienne! Pour un programme socialiste!

Le gouvernement sri-lankais a annoncé lundi qu'il «développera» le terminal à conteneurs de l'Est (ECT) du port de Colombo sous l'Autorité portuaire, renonçant à un accord antérieur avec l'Inde et le Japon pour exploiter le terminal en tant que coentreprise. Le gouvernement, dans une tentative d'apaiser l'Inde, a proposé de développer le terminal ouest du port en tant qu'installation privée.

Le cabinet du président Gotabhaya Rajapakse a pris la décision en réponse à l'agitation des syndicats portuaires, qui se sont alignés sur les extrémistes cinghalais-bouddhistes, pour exiger que le terminal ne soit pas vendu à l'Inde. La virulente campagne anti-indienne des syndicats a été lancée pour diviser l'opposition des travailleurs à la privatisation et les opposer à leurs frères et sœurs de classe en Inde.

Les travailleurs portuaires à Colombo manifestent contre la privatisation en août 2020. La pancarte montre l’Inde en train de manger le Sri Lanka (Photo: WSWS Media)

À la suite de l'annonce du gouvernement, Shyamal Sumanaratne, chef du syndicat l'Union progressiste du commerce, de l'industrie et des services, a déclaré avoir «remporté la revendication de ne pas céder le terminal à l'Inde». Le syndicat de Sumanaratne est dirigé par le parti Sri Lanka Podujana Peramuna (SLPP) au pouvoir.

Malgré la fausse déclaration de Sumanaratne, la classe ouvrière n’a rien obtenu. Le programme de privatisation du gouvernement se poursuivra au port et dans le reste du pays, détruisant les emplois, les salaires et augmentant la charge de travail.

Rajapakse, qui avait auparavant imposé la loi sur les services essentiels pour forcer les employés du port à continuer de travailler au milieu de la pandémie mortelle, a renouvelé cette mesure répressive vendredi dernier avec le soutien des syndicats. La législation draconienne avait été imposée auparavant pour «rouvrir l'économie» et réprimer toute grève des travailleurs portuaires.

La lutte contre la privatisation du port de Colombo met fortement en évidence les problèmes géopolitiques auxquels la classe ouvrière est confrontée au Sri Lanka, en Asie du Sud et au niveau international.

Le gouvernement indien est déterminé à prendre pied dans le port de Colombo dans le cadre de sa volonté de saper l'influence de la Chine au Sri Lanka. Le Premier ministre Narendra Modi a accentué la transformation de l'Inde en un État de première ligne dans l'escalade des préparatifs de guerre dirigés par les États-Unis contre la Chine.

New Delhi prévoyait de confier la gestion d'ECT au conglomérat indien Adani, non seulement en raison de l'avantage économique de cette installation navale en eau profonde, mais principalement en raison des calculs géostratégiques susmentionnés. Le terminal est situé à côté du terminal à conteneurs international de Colombo (CICT), désormais propriété de la Chine, qui a été privatisé en 2013.

Les syndicats portuaires ont intensifié leur agitation contre la privatisation en réponse au fait que l'Inde insiste pour que l'accord ECT, signé en mai 2019, soit mis en œuvre. Au début du mois dernier, le ministre indien des Affaires extérieures, S. Jaishankar, s'est rendu au Sri Lanka à cette fin. Rajapakse a accepté (article en anglais) la demande de Jaishankar.

Outre le Syndicat progressiste du commerce, de l’industrie et des services contrôlé par le SLPP, d’autres organisations se sont jointes à la campagne, notamment le Syndicat des employés des ports du Parti de la liberté du Sri Lanka, le Syndicat général des travailleurs du port du parti Janatha Vimukthi Peramuna et plusieurs autres syndicats.

Parmi les autres formations impliquées dans le soi-disant «mouvement national de défense du ECT» figuraient la Fédération Jathika Bikshu (moines bouddhistes) et des éléments extrémistes similaires. Le Front de la liberté nationale et Pivithuru Hela Urumaya, alliés racialistes de la coalition gouvernementale au pouvoir, ont soutenu la campagne, tout comme le Parti socialiste Frontline (FSP) de la pseudo-gauche. Ce dernier a pris le train en marche sans vergogne, louant la campagne anti-indienne comme un «mouvement de masse» pour défendre le port.

Lundi dernier, après que les syndicats ont appelé à la grève de zèle et menacé de déclencher une grève, le gouvernement a fait marche arrière et a annoncé qu'il se retirait de l'accord ECT.

Le gouvernement sri-lankais craignait d'abord que l'opposition des travailleurs portuaires, malgré le caractère chauvin de la campagne syndicale, n'encourage d'autres sections de la classe ouvrière à entrer en lutte. La colère monte parmi les travailleurs face à la vive attaque du gouvernement contre les droits sociaux et à sa réponse criminellement dangereuse au COVID-19.

Deuxièmement, le président Rajapakse craint que «l'opposition» de ces éléments nationalistes de droite – les forces mêmes qu'il a mobilisées lors des récentes élections – ne mette à mal son régime.

Comme l'a déclaré un ministre de premier rang du SLPP à l' Indian Express, l'agitation suscitée par la privatisation du port constituait «une menace pour sa position [du président] alors que les nationalistes agressifs et les groupes de la société civile soutenaient les travailleurs portuaires. Le président devenait impopulaire ».

Une fois de plus, les syndicats ont démontré qu’ils ne sont rien d’autre que des instruments de l’État capitaliste et des forces d’extrême droite, opérant comme une force de police politique contre la classe ouvrière et approuvant toutes les décisions de Rajapakse orientées vers des formes de régimes dictatoriaux.

[image] Elle Gunmawansa, un tristement célèbre moine bouddhiste raciste avec des bureaucrates syndicaux. Le dirigeant syndical du SLPP, Shyamal Sumanaratne, est assis deuxième en partant de la gauche au premier rang. – https://www.wsws.org/asset/8290711f-4f15-46b8-88ce-d254b881d590?rendition=image1280' https://www.wsws.org/asset/8290711f-4f15-46b8-88ce-d254b881d590?rendition=image1280 [/image]

Au cours de leur agitation anti-indienne, les syndicats ont écrit au président Rajapakse pour lui demander de céder le terminal ouest à la société indienne, au lieu de l'ECT, et s'engager à développer l'ECT comme un «bien national» rentable. En d'autres termes, collaborer avec la direction pour assurer la destruction d'emplois, les conditions de travail et l'augmentation de la productivité de l'installation.

En bref, les syndicats n'ont pas d'opposition fondamentale au programme pro-patronal du gouvernement et veulent renforcer leur implication dans la répression des grèves et des revendications des travailleurs.

Les travailleurs portuaires se sont constamment battus contre la privatisation du port, pour finalement voir leur lutte sabotée et trahie par le syndicat.

En 1999, les travailleurs portuaires on fait grève pour s’opposer à la privatisation des terminaux du South Asia Gateway (SAGT). La lutte fut trahie par les syndicats. En 2013, les syndicats portuaires approuvèrent la privatisation de CICT.

Lorsque le gouvernement de Sirisena-Wickremisinghe signa un accord en mai 2019 pour remettre l’ECT à l'Inde, le SLPP, alors dans l’opposition parlementaire et jouissant du soutien des syndicats portuaires, dénonça l'accord comme une capitulation à l'Inde. C'était un élément clé de la campagne électorale présidentielle de Rajapakse en novembre 2019.

L'opposition des travailleurs portuaires à la privatisation éclata une fois de plus, juste une semaine avant la campagne électorale de l'année dernière, et vit environ 10.000 travailleurs faire grève le 31 juillet pendant trois jours. Les syndicats attisèrent le chauvinisme anti-indien et firent venir des groupes bouddhistes afin de dérouter l'opposition ouvrière.

Les employés du port ont été durement touchés par les précédentes privatisations des installations portuaires. Au fil des ans, environ 10.000 emplois permanents ont été détruits par des investisseurs privés et des campagnes de réduction des coûts par la direction des autorités portuaires. Les emplois permanents ont été supprimés et remplacés par des travailleurs intérimaires travaillant dans des conditions extrêmement précaires avec peu d'avantages sociaux ou de droits à des pensions de retraite.

Mercredi, le haut-commissaire indien Gopal Baglay a rencontré le président et le premier ministre sri-lankais pour exprimer le mécontentement de New Delhi face à la décision unilatérale du gouvernement de rompre son accord ECT. L'Inde, soutenue par les États-Unis, ne prendra pas cette question à la légère ni ne permettra au Sri Lanka, ou à tout autre pays de la région, de saper ses préparatifs géostratégiques contre la Chine.

Le FSP a joué un sale rôle en soutenant la campagne anti-indienne du syndicat et en côtoyant joyeusement les groupes chauvins réactionnaires et la bureaucratie syndicale.

Après la décision gouvernementale de lundi, le dirigeant du FSP Pubudu Jayagoda a déclaré aux médias: «Le gouvernement s'est agenouillé devant le pouvoir de masse. Le slogan que nous avons avancé a gagné.» Jayagoda a déclaré, fou de joie, que son parti continuerait à construire «de tels mouvements de masse».

Pour le FSP, le «pouvoir de masse» consiste en l'unité avec la bureaucratie et les extrémistes cinghalais-bouddhistes, et non avec la classe ouvrière, les jeunes pauvres et opprimés. En avril de l'année dernière, le FSP a écrit au Premier ministre Mahinda Rajapakse pour lui proposer d'aider le gouvernement à répondre à la pandémie «malgré des divergences».

La classe ouvrière ne peut avancer qu'en rejetant ces tendances opportunistes et en mobilisant indépendamment sa force politique et sociale contre toutes les attaques du gouvernement Rajapakse. Les travailleurs doivent créer leurs propres comités d'action, libres de toute bureaucratie syndicale, pour exercer leur pouvoir indépendant.

Les travailleurs doivent rejeter le poison du nationalisme et du patriotisme, y compris le chauvinisme anti-indien, qui est utilisé pour diviser et affaiblir la classe ouvrière. Ils doivent s'unir au-delà des frontières ethniques et avec leurs frères et sœurs de classe en Inde et dans le monde.

Sur fond d'opposition sociale grandissante et de divisions politiques croissantes, le président Rajapakse intensifiera son attaque contre les droits démocratiques et s'orientera vers un régime dictatorial.

La seule manière d'avancer dans la lutte pour défendre tous les droits sociaux et vaincre la privatisation est celle de la nationalisation des grandes banques, grandes entreprises et plantations sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière et la répudiation des dettes extérieures. La classe ouvrière doit lutter pour un gouvernement ouvrier et paysan, rassemblant les pauvres des campagnes et les autres masses opprimées pour mettre en œuvre ce programme. Cela fait partie de la lutte pour le socialisme international et est inséparable de la construction d'un mouvement international contre la guerre impérialiste. Nous encourageons vivement les travailleurs et les jeunes à rejoindre le Socialist Equality Party (Parti de l’égalité socialiste) et à le construire en tant que parti de masse pour faire avancer cette lutte.

(Article paru en anglais le 5 février 2021)

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