Chute du gouvernement de coalition en Nouvelle-Calédonie:

Le gouvernement de coalition du territoire français du Pacifique dirigé par le président Thierry Santa est tombé après la démission de politiciens indépendantistes, invoquant des problèmes économiques persistants et des troubles liés à la vente d'actifs de nickel.

Cinq membres représentant les groupes indépendantistes – l’UC-FLNKS et l'Union nationale pour l'indépendance (UNI) – ont démissionné le 2 février. Les deux groupes sont membres du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), qui milite pour l'indépendance vis-à-vis de la France.

La coalition anti-indépendance conservatrice de Santa, L'Avenir en Confiance (LAC), dirige le gouvernement actuel depuis seulement 18 mois. La LAC a publié une déclaration accusant les séparatistes de «provoquer une crise politique» au milieu de la pandémie de COVID-19 et de la montée des tensions économiques et sociales.

La démission des membres du FLNKS sont survenues alors que le gouvernement débattait de son budget et de l'avenir de l'industrie du nickel dans le pays. Les îles détiennent près d'un quart des réserves mondiales de ce minerai stratégique ; l'industrie est durement touchée par l'effondrement du prix mondial à la suite de la crise financière mondiale.

Le Congrès de Nouvelle-Calédonie, composé de 54 membres, dispose de deux semaines pour choisir 11 nouveaux membres parmi les quatre principaux groupes parlementaires. Aux termes de l'Accord de Nouméa de 1998 entre l’État français et les partisans de l'indépendance, la Nouvelle-Calédonie est administrée par un gouvernement multipartite. Tout ministre qui démissionne doit être remplacé par un membre du même groupe parlementaire. Si aucun successeur n'est nommé, le gouvernement tombe et le Congrès doit choisir les nouveaux membres qui, à leur tour, élisent un nouveau président.

Dans leurs déclarations de démission, Louis Mapou (UNI) et Pierre Chanel Tein Tutugoro (UC-FLNKS) ont déclaré que tout au long de 2020, la Nouvelle-Calédonie avait «traversé une crise interne profonde». Ils ont cité les conditions sociales et économiques qui s'étaient «accumulées pendant de nombreuses années», l'incertitude sur les préparatifs du prochain référendum sur l'indépendance et la pandémie de COVID-19 qui a eu des «impacts significatifs» depuis mars dernier.

La rupture entre les factions pro-et anti-indépendance de l'élite dirigeante a brisé l'arrangement politique fragile établi sous le parlement actuel pour réprimer la colère croissante de la classe ouvrière.

Le FLNKS représente les intérêts d'une couche relativement privilégiée de Kanaks qui souhaite obtenir une plus grande part du gâteau économique et jouer un plus grand rôle politique. Sa déclaration annonçait que le gouvernement multipartite avait « éprouvé des difficultés à travailler en collégialité » et concluait: «…la dynamique institutionnelle est en panne, le consensus devient de moins en moins la règle. Les discussions entre les formations politiques calédoniennes et l’État [sur l’indépendance] sont interrompues ».

Santa a à son tour exprimé son inquiétude quant à la déstabilisation de l'économie et de la politique de la Nouvelle-Calédonie dans les semaines à venir et a condamné la «politique de la terre brûlée» du mouvement indépendantiste. En déclenchant une crise politique «en pleine période de gestion de la crise sanitaire, d’une possible crise budgétaire, ainsi que de tensions économiques et sociales fortes, les indépendantistes font peser un immense risque pour toute la Nouvelle-Calédonie», a-t-il déclaré.

La crise fait suite aux émeutes de protestation (article en anglais) de ces derniers mois à propos de la vente de l'usine de Goro Nickel, du géant minier brésilien Vale. Celle-ci menace les emplois de quelque 3000 travailleurs après des années de pertes financières et de conflits avec les communautés autochtones kanak à cause de la dégradation des terres.

Lors de manifestations à Nouméa les 8 et 9 novembre, des voitures ont été incendiées, des magasins vandalisés et des personnes blessées lors d'affrontements avec la police, qui a utilisé des gaz lacrymogènes. La police anti-émeute française a été déployée dans plusieurs zones tandis qu'une force d'élite a été envoyée à l'usine, qui a été endommagée et contrainte de fermer.

Vale a signé un accord de vente contraignant avec un consortium international impliquant Prony Resources et la société financière suisse Trafigura. Cependant, les dirigeants kanak et les partis indépendantistes, soutenus par les syndicats, ont cherché à canaliser la colère croissante en faveur d’une offre par la société locale Sofinor, affirmant que la propriété majoritaire de la mine devrait appartenir aux Néo-Calédoniens. Sofinor est le bras financier de la Province du Nord pro-indépendance.

La discorde sur la vente de Goro a éclaté parallèlement au référendum (article en anglais) sur l’indépendance de l'année dernière, le deuxième de trois plébiscites prévus. En octobre, le territoire a voté à une majorité de 53,3 à 46,7 pour cent en faveur du maintien de son statut de territoire français. Le soutien à l'indépendance semble toutefois se développer et un troisième et dernier référendum est prévu dans deux ans.

Ces évènements sont exacerbés par les conflits sociaux et de classes. Les mineurs, les travailleurs de la transformation, les chauffeurs de camion, les travailleurs des aéroports et d'autres ont mené des luttes ces dernières années pour défendre les emplois et les conditions de travail ; les mettant en conflit avec l'ensemble de la classe dirigeante.

Ces luttes ont été invariablement trahies par les syndicats, laissant de nombreux travailleurs en colère et frustrés. Nouméa demeure une capitale polarisée, où de nombreux travailleurs faiblement rémunérés vivent dans des logements insalubres. Les Kanaks, qui représentent 44 pour cent des 270 000 habitants du territoire, sont socialement privés de leurs droits. Beaucoup vivent encore dans des conditions de subsistance primitives dans des villages ruraux.

La crise larvée a été exacerbée par la pandémie du COVID-19. L'archipel isolé n'a enregistré que 47 cas de virus et aucun décès. Cependant, il fait face à une crise budgétaire sans précédent en raison de l'impact de la fermeture des frontières sur l'économie, dépendante du tourisme.

En novembre, le gouvernement a été contraint d'étendre les restrictions de voyage à l'intérieur et à l'extérieur du territoire jusqu'à la fin juillet 2021, en raison de l'aggravation de la pandémie mondiale. Alors que l’économie subit une pression énorme, le vote sur le budget 2021 a été repoussé à mars, décision contestée par les partis indépendantistes et citée comme une des raisons de leur démission.

L'impasse budgétaire fait suite à un différend en septembre dernier concernant un prêt de 224 millions d’euros de l'Agence française de développement (AFD) pour faire face à l'impact de la pandémie. Le prêt a été accepté par Santa car le système de sécurité sociale du territoire connaissait de graves problèmes. Le parti anti-indépendance ‘Calédonie ensemble’ a accusé Santa d'abandonner la «souveraineté» de la Nouvelle-Calédonie en matière fiscale, sanitaire et sociale.

Calédonie ensemble a averti que pour rembourser la dette sur 25 ans, le gouvernement devrait prélever 137 millions d’euros d'impôts supplémentaires d'ici 2021, ce qui, selon eux, tuerait l'économie et augmenterait la fracture sociale. Le budget 2020, d'un montant total de 982,6 millions d’euros, soit le double de l'année précédente (418 millions d’euros) n'a été finalement approuvé qu'après avoir été augmenté pour couvrir les coûts de gestion des crises sanitaires, ainsi que le prêt de l’AFD.

Les tensions politiques s'intensifient depuis un certain temps. Bien qu’ils soient du même camp sur la question de l'indépendance, Calédonie ensemble et les partis anti-indépendance, se faisant appeler ‘loyalistes’, sont en désaccord depuis l'année dernière. Lors des élections de 2019, Calédonie ensemble, autrefois dominant, a subi un revers électoral sévère, réduisant sa présence à seul ministre parmi les 11 membres composant le gouvernement collégial.

Le petit parti Éveil Océanien (EO), avec trois sièges au Congrès et un ministre dans le gouvernement sortant, pourrait détenir la clé de tout prochain regroupement parlementaire. L'OE bénéficie du soutien des communautés wallisienne, futunienne et tahitienne, qui ont historiquement soutenu les partis anti-indépendance. Cependant, l'année dernière, les députés de l'OE ont officiellement rejoint le groupe parlementaire de l’UC-FLNKS. Les dirigeants d'EO ont eu des discussions avec le FLNKS durant le week-end pour déterminer leurs prochaines démarches.

(Article paru en anglais le 8 février 2021)

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