Perspectives

Le «British Medical Journal» appelle la réponse à la pandémie un «meurtre social»

Jeudi, le BMJ (anciennement British Medical Journal) a publié un éditorial qui accuse les gouvernements du monde entier de «meurtre social» dans leur réponse collective à la pandémie.

Le BMJ est l’un des plus anciens et plus prestigieux périodiques médicaux du monde ; son histoire remonte à 1840. Son éditorial intitulé: «Covid-19: Meurtre social, ont-ils écrit – élus, non responsables et non repentis», est signé par le rédacteur en chef Kamran Abbasi. C’est une accusation dévastatrice des politiques mises en œuvre durant l’année passée, qui ont entraîné la mort de plus de deux millions de personnes.

«Meurtre», commence l’éditorial, «est un mot chargé d’émotion. En droit, il requiert une préméditation. La mort doit être considérée comme illégale. Comment le mot ‘meurtre’ pourrait-il s’appliquer à l’échec de la réaction à une pandémie?» Le BMJ poursuit en soutenant que le terme est tout à fait approprié:

Lorsque des politiciens et des experts disent qu’ils sont prêts à permettre des dizaines de milliers de décès prématurés au nom de l’immunité de la population ou dans l’espoir de soutenir l’économie, n’est-ce pas là une indifférence préméditée et irresponsable à l’égard de la vie humaine? Si l’ échec de la politique conduit à des confinements récurrents et mal-à-propos, qui est responsable des surmortalités non-covid qui en résultent? Lorsque les responsables politiques négligent délibérément les avis scientifiques, l’expérience internationale et historique, ainsi que leurs propres statistiques et modèles alarmants parce qu’agir va à l’encontre de leur stratégie politique, est-ce légal? L’inaction est-elle une action?

«Au minimum», écrit le BMJ, «le COVID-19 pourrait être classé comme du “meurtre social”», signalant l’utilisation de ce terme par le dirigeant socialiste Friedrich Engels pour «décrire le pouvoir politique et social détenu par l’élite dirigeante sur les classes ouvrières dans l’Angleterre du 19e siècle».

L’éditorial s’attaque aux justifications mensongères des politiciens capitalistes, qui «disent qu’ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient ou que la pandémie était un territoire inexploré; il n’y avait pas de modèle. Rien de tout cela n’est vrai. Ce sont des mensonges politiques égoïstes de la part des “incendiaires en chef” du monde entier».

La caractérisation par le BMJ de la réponse à la pandémie est tout à fait exacte. Dans le monde entier, les politiciens ont délibérément et sciemment handicapé les réponses des gouvernements à la pandémie, en prétendant souvent que l’infection massive de la population était souhaitable – une politique nommée «immunité collective».

«Ce n’est pas possible d’empêcher que tout le monde l’attrape, et ce n’est pas non plus souhaitable parce que vous voulez une certaine immunité dans la population», a déclaré Sir Patrick Vallance, le conseiller scientifique en chef du gouvernement de Boris Johnson au Royaume-Uni. En Suède, l’épidémiologiste Anders Tegnell a exigé que les écoles restent ouvertes pour continuer à propager la maladie, déclarant: «Une chose pourrait parler en faveur du maintien des écoles ouvertes afin d’atteindre l’immunité collective plus rapidement».

Aux États-Unis, le président Donald Trump a demandé à son gouvernement de «ralentir les tests», afin de dissimuler l’ampleur de la maladie à la population tout au long de l’année 2020. «Je voulais toujours minimiser», a déclaré Trump au journaliste Bob Woodward en mars.

Non seulement Trump, mais les membres des deux partis au Congrès ont été pleinement informés de la menace massive représentée par la pandémie de COVID-19. Mais ils ont refusé d’alerter le public, encourageant la population à voyager, à aller au restaurant et à envoyer leurs enfants à l’école.

La politique des gouvernements a été dictée par cette priorité absolue: aucune mesure ne pouvait être prise pour arrêter la propagation du virus qui ferait tort aux intérêts de l’oligarchie financière. Le slogan «le remède ne peut être pire que la maladie», formulé pour la première fois par le chroniqueur du New York Times, Thomas Friedman, signifiait en pratique que les mesures nécessaires pour arrêter le virus – comme l’arrêt de la production non essentielle, un revenu complet pour tous les travailleurs – étaient inacceptables pour la classe dirigeante.

Ces intérêts sociaux ont dicté non seulement le camouflage initial de la pandémie, mais aussi la réouverture prématurée des écoles et des lieux de travail. Cela a contribué à alimenter une résurgence massive qui a coûté la vie à des centaines de milliers de personnes depuis la levée au printemps des mesures partielles de confinement.

Dans son passage le plus accablant, le BMJ conclut: «Le “meurtre social” des populations est plus qu’une relique d’un âge révolu. Il est bien réel aujourd’hui, exposé et amplifié par le covid-19. On ne peut ni l’ignorer ni l’escamoter par des trucs rhétoriques. Il faut que les politiciens rendent des comptes par des moyens juridiques et électoraux, voire par tous les moyens constitutionnels nationaux et internationaux nécessaires».

Quelles conclusions découlent de l’évaluation sobre fournie par le BMJ? Le journal plaide avec force pour que des comptes soient rendus, mais comment obtenir qu’ils le soient? L’éditorial appelle le public à «démettre par le vote les dirigeants élus et les gouvernements qui évitent de rendre des comptes et restent impénitents», ajoutant que «les États-Unis ont montré qu’un jugement politique est possible».

Une allusion à l’élection politique américaine de 2020 où les électeurs ont massivement rejeté Donald Trump, le principal défenseur de «l’immunité collective» dans le monde. L’élection a donné au Parti démocrate non seulement la Maison-Blanche, mais aussi le contrôle des deux chambres du Congrès.

Mais deux semaines après son investiture, Biden a clairement indiqué que son gouvernement continuerait la politique de son prédécesseur. Depuis l’investiture, le Michigan, l’Illinois et New York ont tous levé les restrictions sur les repas en intérieur et les écoles se précipitent pour rouvrir dans tous les États où elles restent en distanciel. La clé de voûte de cette politique est la campagne pour forcer les 23.000 enseignants de Chicago à retourner dans les écoles, supportée par toutes les sections de l’establishment politique.

La tentative de millions de gens de rejeter par les urnes la politique de «meurtre social» a été un échec. Quant aux tribunaux, auxquels le BMJ fait également appel, ils ont à mainte reprise annulé les mesures les plus rudimentaires pour contenir la pandémie. Autrement dit, aucune des institutions de l’État capitaliste n’est en mesure de changer une politique face à la pandémie qui a ses racines dans les intérêts sociaux les plus fondamentaux de la classe capitaliste.

Tout comme la politique d’«immunité collective» ou, comme le dit le BMJ, de «meurtre social», sont ancrées dans les intérêts de classe de l’élite financière, l’opposition à cette politique doit représenter les intérêts d’une autre force sociale, la classe ouvrière.

Comme le note le BMJ, Engels a utilisé le terme «meurtre social» dans son chef-d’œuvre de 1845, «La situation de la classe laborieuse en Angleterre», l’un des premiers travaux de Marx et Engels dans la formulation de la théorie du socialisme scientifique. Engels écrit:

« Mais lorsque la société met des centaines de prolétaires dans une situation telle qu'ils sont nécessairement exposés à une mort prématurée et anormale, à une mort aussi violente que la mort par l'épée ou par balle; lorsqu'elle ôte à des milliers d'êtres les moyens d'existence indispensables, leur imposant d'autres conditions de vie, telles qu'il leur est impossible de subsister, lorsqu'elle les contraint par le bras puissant de la loi, à demeurer dans cette situation jusqu'à ce que mort s'ensuive, ce qui en est la conséquence inévitable; lorsqu'elle sait, lorsqu'elle ne sait que trop, que ces milliers d'êtres seront victimes de ces conditions d'existence, et que cependant elle les laisse subsister, alors c'est bien un meurtre, tout pareil à celui commis par un individu, si ce n'est qu'il est ici plus dissimulé, plus perfide, un meurtre contre lequel personne ne peut se défendre, qui ne ressemble pas à un meurtre, parce qu'on ne voit pas le meurtrier, parce que le meurtrier c'est tout le monde et per­sonne, parce que la mort de la victime semble naturelle, et que c'est pécher moins par action que par omission. Mais ce n'en est pas moins un meurtre ».

Trois ans plus tard, Marx et Engels publiaient le Manifeste communiste, qui formule la réponse définitive aux actes de «meurtre social» de la classe dirigeante : «Le mouvement prolétarien est le mouvement conscient et indépendant de l’immense majorité, au profit de l’immense majorité». Le but de ce mouvement, écrivent-ils, doit être le renversement des rapports de propriété capitaliste et l’expropriation de la classe dominante par la révolution socialiste.

Ce qui était vrai à l’époque l’est plus encore aujourd’hui. Les intérêts de toute la société – exprimés dans la revendication de mesures d’urgence pour contenir la pandémie par les confinements, avec compensation économique complète – ne sont représentés nulle part si ce n’est dans le mouvement de la classe ouvrière.

Les intérêts sociaux de la classe ouvrière et les intérêts de la société humaine dans son ensemble s’expriment dans la lutte mondiale pour le socialisme. Ce mouvement ne se contentera pas de prendre les mesures nécessaires pour sauver des vies humaines et maîtriser enfin la pandémie, il veillera à ce que les politiciens et les dirigeants patronaux coupables de meurtre social soient traduits en justice.

(Article paru d’abord en anglais le 8 février 2021)

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