Perspectives

«Notre société est malade»: The Lancet condamne le capitalisme américain

Jeudi, la revue médicale britannique The Lancet a publié son rapport officiel, en préparation depuis trois ans, sur le bilan du gouvernement Trump en matière de soins de santé.

Le rapport se concentre, à juste titre, sur la pandémie de COVID-19. The Lancet estime que le gouvernement Trump est directement responsable de la mort de dizaines de milliers de personnes au cours de la pandémie, et que plus de 200.000 personnes seraient encore en vie si les États-Unis avaient un taux de mortalité COVID-19 similaire à celui des autres pays développés.

Des rectangles conçus pour prévenir la propagation du coronavirus en encourageant la distanciation sociale dans un campement de sans-abri autorisé par la ville, au Civic Center de San Francisco, le jeudi 21 mai 2020. (AP Photo/Noah Berger)

Mais dans rapport méticuleusement documenté, qui compte plus d’une douzaine d’auteurs distingués, The Lancet ne se contente pas de condamner Trump. La revue soutient que les près d’un demi-million de morts aux États-Unis suite à la COVID-19 devraient s’ajouter aux «Américains disparus» dont les décès sont attribuables à la montée des inégalités sociales au cours des quatre dernières décennies. Son rapport présente la pandémie et le gouvernement Trump comme le résultat de tendances plus profondes dans la société américaine.

«Une ploutocratie enhardie, sous couvert de déréglementation et d’austérité, a augmenté sa richesse et son pouvoir en re-réglementant les marchés à leur avantage et en ajustant les budgets gouvernementaux pour leur propre bénéfice», a écrit The Lancet. «Sous ce type de gouvernance, les entreprises et les familles riches reçoivent de généreux transferts gouvernementaux» tandis que «les possibilités d’emploi ont disparu».

The Lancet en arrive à cette conclusion: «La vérité troublante est que de nombreuses politiques du président Trump ne représentent pas une rupture radicale avec le passé. Elles ont simplement accéléré la tendance au retardement de l’espérance de vie, qui dure depuis des décennies et qui reflète des failles profondes et de longue date dans la politique économique, sanitaire et sociale des États-Unis. Ces défauts sont non seulement évidents dans la baisse de la longévité… mais aussi dans les écarts croissants de mortalité entre les classes sociales».

Les pertes massives de vies humaines lors de la pandémie COVID-19, concentrées dans la classe ouvrière américaine, ont accéléré le déclin de l’espérance de vie aux États-Unis et, plus important encore, la stratification de l’espérance de vie selon les classes sociales.

«Au moment de l’inauguration de Trump en janvier 2017, la santé de la population américaine était déjà sur une trajectoire descendante», écrit The Lancet. «L’espérance de vie moyenne aux États-Unis était passée de 78,9 ans à 78,7 ans entre 2014 et 2018. C’était une période qui comprenait la première baisse de longévité sur 3 ans depuis la Première Guerre mondiale et la pandémie de grippe de 1918».

Le rapport note que «depuis les années 1980, la disparité entre les classes sociales et économiques s’est accentuée avec la disparition des emplois manufacturiers bien rémunérés… Malgré un marché boursier en plein essor… de nombreuses personnes qui vivent aux États-Unis ont été contraintes d’accepter des emplois précaires, mal payés et offrant des prestations insuffisantes. Cette inégalité croissante des revenus a accentué les inégalités en matière de santé».

The Lancet offre une analyse historique de ce processus, dans lequel les deux partis du capitalisme américain ont joué un rôle prépondérant. «Face à la stagnation économique et à l’inflation croissante, le président Jimmy Carter (en fonction de 1977 à 1981) a fait pression pour réduire les déficits publics par la réduction des dépenses».

Le président démocrate Bill Clinton «a appliqué les aspects clés du programme néolibéral et pro-corporatif». Clinton a déréglementé «les banques et les entreprises de télécommunications en imposant des limites de temps et d’autres restrictions sur les prestations sociales et l’aide alimentaire». Sous Clinton, «les prix des actions ont augmenté rapidement», tandis que «les inégalités de revenus et de richesses se sont accrues».

Les programmes de soins de santé de Barack Obama «ont renforcé des décennies de réformes orientées vers le marché qui ont fait de la rentabilité la mesure fondamentale de la performance. Ces changements ont conduit à la marchandisation des soins et ont confié un contrôle de plus en plus important aux conglomérats détenus par les investisseurs».

«Le déclin de la longévité aux États-Unis entre 2014 et 2017 et la hausse minime de la longévité en 2018 ont attiré une attention médiatique considérable. Toutefois, en se concentrant sur ces tendances récentes, on risque de ne pas voir à quel point les États-Unis sont à la traîne par rapport à d’autres pays à revenu élevé et depuis combien de temps ces écarts entre nations sont en train de se creuser. En 1980, l’espérance de vie aux États-Unis était en moyenne celle des pays à revenu élevé; en 1995, elle était inférieure de 2,2 ans à la moyenne des autres pays du G7, et en 2018, l’écart s’est creusé pour atteindre 3,4 ans».

Le rapport arrive à une conclusion choquante sur le nombre d’Américains qui sont morts prématurément en raison de l’inégalité sociale croissante aux États-Unis. «L’ampleur de la différence peut également être quantifiée comme le nombre d’Américains disparus, c’est-à-dire le nombre de résidents américains qui seraient encore en vie si le taux de mortalité par tranche d’âge aux États-Unis était resté égal à la moyenne des six autres nations du G7. Selon cette mesure, rien qu’en 2018, 461.000 Américains ont disparu, un chiffre annuel qui augmente depuis 1980».

«Le retard de l’espérance de vie aux États-Unis a coïncidé avec des écarts croissants de mortalité chez les adultes en fonction du revenu et de l’éducation. Ces inégalités de mortalité reflètent l’accroissement des inégalités économiques, les revenus réels étant en hausse pour le décile le plus riche de la population (et en forte hausse pour les très riches), mais stagnants pour les 50 pour cent les plus pauvres. En 2014, l’espérance de vie du 1 pour cent des hommes les plus riches était de 15 ans supérieurs de celle du 1 pour cent des hommes les plus pauvres».

«Entre 2000 et 2014, l’espérance de vie des adultes a augmenté de plus de 2 ans pour les personnes qui se situent dans la moitié supérieure de la distribution des revenus, alors que la moitié inférieure de la distribution des revenus n’a connu que peu ou pas d’amélioration».

The Lancet tire cette conclusion: «Le gouvernement Trump représente l’aboutissement de plus de trois décennies de politiques néolibérales qui visaient à privatiser de nombreux services publics et à déréglementer les entreprises pour maximiser les profits».

«L’élection de Trump a été rendue possible par les échecs de ses prédécesseurs. Une dérive de quatre décennies vers les politiques néolibérales a renforcé les prérogatives des entreprises… Les riches sont devenus beaucoup plus riches alors que leurs impôts ont été réduits de moitié. Les revenus des travailleurs ont stagné, les programmes d’aide sociale ont diminué, la population carcérale a fortement augmenté et des millions de personnes ont été privées de soins de santé alors même que les paiements du gouvernement enrichissaient les investisseurs de l’industrie médicale».

«Les souffrances et les bouleversements infligés par la COVID-19 ont démasqué la fragilité de l’ordre social et médical américain», note le rapport.

«La santé des Américains se détériorait alors même que notre économie était en plein essor», déclare la Dr Steffie Woolhandler, l’une des coprésidentes du comité. «Ce découplage sans précédent de la santé par rapport à la richesse nationale signale que notre société est malade. Alors que les riches ont prospéré, la plupart des Américains ont perdu du terrain, tant sur le plan économique que médical».

Dans ses conclusions politiques, le rapport vise à convaincre le nouveau gouvernement Biden de procéder à une rupture fondamentale avec les politiques de ses prédécesseurs. Mais le bilan même présenté dans le rapport, qui explique comment les démocrates ont mené pendant des décennies une campagne de redistribution des richesses vers le haut, montre clairement que cela est impossible. Après tout, Biden a été vice-président sous Obama et a contribué à l’organisation du sauvetage des banques en 2008.

Le rapport de The Lancet, tel un médecin compétent, énumère de manière experte les symptômes de la maladie sociale américaine. Mais si la société américaine est malade, comme le souligne la Dr Steffie Woolhandler, le médicament approprié n’est pas le gouvernement Biden, pas plus qu’il ne l’était sous les gouvernements Clinton ou Obama. La maladie qu’ils ont identifiée est en phase terminale. La solution réside dans un mouvement politique fondamentalement nouveau et différent – un mouvement basé sur la lutte de la classe ouvrière pour le socialisme.

(Article paru en anglais le 12 février 2021)

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