Dans un accord de plaidoyer avec celui qui a tenté d’assassiner Trudeau

L’État canadien continue de dissimuler l’attaque d’extrême droite dirigée contre le premier ministre

Le procès du réserviste d’extrême droite des Forces armées canadiennes Corey Hurren – qui a été arrêté le 2 juillet dernier suite à une tentative d’assassinat du premier ministre Justin Trudeau – est utilisé pour dissimuler le contexte politique, l’objectif et la portée de l’attentat manqué. Des forces puissantes au sein de l’appareil d’État s’efforcent d’enterrer les détails de ce qui s’est passé pour ne pas atteindre le public, afin de poursuivre la campagne de propagande officielle visant à banaliser l’incident, en le présentant comme les actions non planifiées d’un individu désorienté.

Le premier ministre canadien Justin Trudeau (AP Photo/Evan Vucci)

Vendredi dernier, Hurren a plaidé coupable à huit chefs d’accusation, dont sept pour armes à feu et un pour avoir volontairement causé plus de 100.000 dollars de dommages matériels. Les charges étaient sensiblement différentes et moins lourdes que celles initialement retenues contre le réserviste militaire de 46 ans.

Lors de sa première comparution devant un tribunal en juillet dernier, Hurren, qui est un partisan déclaré de la conspiration violente et fasciste QAnon, a été accusé de 21 chefs d’accusation liés aux armes à feu et d’une accusation de menaces de mort ou de lésions corporelles à l’encontre de Trudeau.

L’abandon de cette dernière accusation est d’une grande importance. Il signifie que les procureurs n’auront pas à présenter au tribunal de preuves démontrant que Hurren avait l’intention de cibler Trudeau, même si ces preuves sont clairement entre les mains de la police et de l’accusation.

Les premiers reportages des médias sur la tentative d’assassinat indiquaient que Hurren avait en sa possession une lettre dans laquelle il dénonçait Trudeau pour avoir prétendument instauré une «dictature communiste» et menaçait de lui demander des comptes pour l’imposition par son gouvernement de mesures de confinement liées au coronavirus et de restrictions sur la possession d’armes à feu. Cette lettre n’a jamais été rendue publique et ne sera probablement pas présentée au tribunal en raison de l’accord de plaidoyer et de l’abandon de la seule accusation liant les actions de Hurren à une quelconque menace envers Trudeau.

Dans le soi-disant «exposé des faits» soumis au tribunal vendredi dernier dans le cadre de la reconnaissance de culpabilité de Hurren, l’extrémiste de droite est autorisé à affirmer, sans contestation, que bien qu’il ait foncé avec sa camionnette dans la grille de la propriété sur laquelle le premier ministre vivait temporairement et qu’il soit ensuite parti à sa recherche avec des armes dégainées, il n’a jamais eu l’intention de blesser qui que ce soit.

Hurren, poursuit-il, voulait simplement «arrêter» Trudeau, qu’il considérait comme «un communiste au-dessus des lois et corrompu», et montrer «combien tout le monde était en colère contre l’interdiction des armes à feu et les restrictions COVID-19».

Lorsque le juge présidant son procès lui a demandé quel était son plan, Hurren a répondu: «Je ne pense pas qu’il y en ait eu un».

Tout cela est une fraude transparente. Les actions de Hurren n’étaient pas le fruit du hasard. Alors qu’il était en service militaire actif, il a conduit son camion, chargé d’armes à feu, pendant deux jours pour atteindre Ottawa depuis le Manitoba. Un jour avant l’attaque de Hurren, un rassemblement d’extrémistes de droite et de fascistes sur la colline du Parlement a appelé à la réintroduction de la peine de mort, afin qu’elle puisse être appliquée à Trudeau, tandis que les manifestants portaient des pancartes représentant Trudeau debout sur une potence. On ne sait pas si Hurren a assisté à cet événement, mais ses appels à «l’arrestation» du premier ministre et ses accusations absurdes contre Trudeau en tant que «communiste» s’inscrivent parfaitement dans la propagande des manifestants d’extrême droite.

Lorsque la police a arrêté Hurren sur le terrain de Rideau Hall, la résidence temporaire de Trudeau, il était en possession de cinq armes à feu: un revolver Hi-Standard à autorisation restreinte, un pistolet à répétition International Arms interdit, un fusil Norinco S12 interdit, un fusil de chasse Mossberg de Lakefield, un fusil de chasse Grizzly Arms et un chargeur de grande capacité interdit. Onze autres armes à feu ont été trouvées au domicile de Hurren.

De nouvelles informations fournies dans un reportage de la CBC sur le procès de Hurren soulignent que ses intentions étaient tout sauf pacifiques lorsqu’il est arrivé sur le terrain de Rideau Hall. Citant l’exposé conjoint des faits, la CBC a écrit: «Après avoir foncé dans la grille, Hurren a été observé sur une vidéo de surveillance le matin du 2 juillet, s’armant d’un certain nombre d’armes à feu avant de partir à pied.

«Un officier s’est approché de lui près de la serre et a demandé à Hurren de poser son arme sur le sol. Hurren a refusé et a déclaré qu’il ne déposerait pas son arme, selon la déclaration.

L’officier a persisté mais Hurren a dit: «Je ne peux pas faire ça».

«Finalement, un autre officier l’a rejoint et a remarqué que Hurren avait un fusil de chasse dans la main droite, pointé vers le sol et un second fusil de chasse porté sur le dos. Un long fusil était posé sur le sol, a dit la déclaration.»

Cela souligne le fait que le dossier de la Couronne contre Hurren est une parodie. Bien qu’il ait directement menacé Trudeau et qu’il ait été découvert armé jusqu’aux dents dans l’enceinte de Rideau Hall, l’accusation a choisi d’exclure totalement du procès toute considération des plans de Hurren visant à tuer, blesser ou encore «arrêter» le premier ministre.

Même si l’on accepte l’affirmation de Hurren selon laquelle il visait à «arrêter» Trudeau et non à le tuer, le fait qu’il le recherchait avec des armes dans l’enceinte de la résidence temporaire du premier ministre démontre qu’il anticipait à tout le moins un affrontement potentiellement violent avec le service de sécurité de Trudeau. De façon scandaleuse, tout cela est balayé sous le tapis lors du procès de Hurren, qui se terminera rapidement lorsqu’il sera condamné dans moins de deux semaines.

Les derniers développements dans l’affaire Hurren soulignent l’urgence de la demande du Parti de l’égalité socialiste, soulevée pour la première fois dans une déclaration le mois dernier, pour que toutes les enquêtes internes sur la tentative d’assassinat soient rendues publiques. Cette étape est essentielle pour mettre au jour les motivations politiques de l’attaque préméditée de Hurren et pour révéler les éventuels complices ou au moins les partisans qu’il aurait pu avoir à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’armée. Deux enquêtes internes ont été menées il y a longtemps par la Gendarmerie royale du Canada, mais les responsables ont insisté sur le fait qu’elles ne sont «pas destinées à être rendues publiques».

Le récit officiel de Hurren comme étant un individu désorienté, accablé par la pandémie et n’ayant aucune intention de nuire à qui que ce soit concorde parfaitement avec la volonté de l’élite au pouvoir d’empêcher tout examen sérieux du rôle des réseaux d’extrême droite et des extrémistes de droite au sein de l’appareil militaire et étatique. Une telle enquête permettrait sans aucun doute de découvrir un soutien important aux opinions d’extrême droite, y compris celles exprimées par Hurren et les manifestants sur la Colline du Parlement le 1er juillet.

Ces dernières années, des éléments d’extrême droite ont été démasqués à plusieurs reprises au sein de l’armée canadienne:

  • Le 1er juillet 2017, quatre militaires canadiens en service, tous membres des Proud Boys, ont interrompu une cérémonie autochtone à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Bien que l’armée ait enquêté sur l’incident, aucune charge ou rétrogradation n’a été imposée aux personnes impliquées.
  • En janvier 2020, Patrick Matthews, un ancien ingénieur de combat canadien qui avait déserté son poste quelques mois auparavant, a été détenu par le FBI en tant que membre de l’organisation terroriste néonazie The Base. Matthews a été brièvement détenu par la GRC en août 2019, après qu’un journaliste l’ait dénoncé comme recruteur dans Base, mais il a été autorisé à s’enfuir aux États-Unis. Il a été arrêté en janvier 2020 pour son implication dans le complot de Base visant à lancer une violente attaque contre l’Assemblée législative de l’État de Virginie.
  • En juillet 2020, il a été révélé qu’un marin néonazi a été autorisé à rejoindre la Marine royale canadienne malgré son implication dans des groupes violents de suprématie blanche et ses efforts pour vendre des armes de qualité militaire à des organisations d’extrême droite.
  • En août 2020, un reportage de la CBC a révélé que deux réservistes militaires, membres de la même unité que Hurren, avaient été identifiés par la police du contre-espionnage quatre ans plus tôt comme des partisans de groupes d’extrême droite, dont les Soldats d’Odin et les Three Percenters. L’un d’eux a décrit Trudeau comme un «sale traître» et continue à servir en tant que réserviste à ce jour.
  • Au début du mois de décembre 2020, un officier subalterne en uniforme a pris la parole lors d’un rassemblement anti-masques dans le centre-ville de Toronto, en violation flagrante de l’obligation qu’a l’armée de s’abstenir de toute activité politique.

Personne au sein de l’establishment politique ne souhaite révéler la véritable étendue de l’infiltration et du soutien de l’extrême droite au sein des forces armées et d’autres institutions de l’État. Alors que tous les partis parlementaires se sont unis derrière une motion inspirée par le Nouveau Parti démocratique demandant que les Proud Boys soient désignés comme «groupe terroriste» à la fin du mois dernier, le caractère cynique de cette manœuvre est illustré par le fait qu’aucun politicien n’a soulevé de sérieuses préoccupations ni même exigé que soient exposés tous les faits entourant la première tentative d’assassinat d’un chef de gouvernement canadien par un extrémiste de droite des temps modernes.

Les raisons de cette demande sont claires. L’élite au pouvoir au Canada, tout comme l’aile de la classe dirigeante américaine qui soutient le Parti démocrate, réagit à la tentative de coup d’État fasciste de Trump du 6 janvier en minimisant la menace posée par l’extrême droite et en tendant une main de «réconciliation» aux forces politiques mêmes qui sont responsables de sa promotion. Aux États-Unis, cela se traduit par les appels incessants de Biden et des démocrates à «l’unité» avec leurs «collègues» républicains, tandis qu’au Canada, le NPD et les libéraux se sont joints aux conservateurs, un parti ayant de nombreux liens avec l’extrême droite, pour publier une condamnation hypocrite des «Proud Boys».

La tentative des autorités de minimiser et de banaliser les actions de Hurren reflète la crainte qu’un compte rendu complet de ce qui s’est passé, ainsi que de son contexte et de sa signification plus larges, ne discrédite de manière désastreuse l’armée canadienne, qui serait démasquée comme un foyer d’activités d’extrême droite. Cela irait à l’encontre de la volonté unanime de la classe dirigeante d’augmenter considérablement les dépenses militaires et de mener à bien le plus grand programme de réarmement depuis la Seconde Guerre mondiale. Cela perturberait également la propagande idéologique utilisée par l’élite dirigeante canadienne pour justifier les interventions militaires dans le monde entier: à savoir les affirmations selon lesquelles ses militaires se battent pour la «démocratie» et les «droits de l’homme».

Plus fondamentalement encore, l’élite dirigeante du Canada veut garder secrète toute l’étendue des activités d’extrême droite et fascistes parce qu’elle souhaite laisser ouverte la possibilité d’utiliser ces forces politiques réactionnaires pour réprimer l’opposition de la classe ouvrière. Dans le contexte d’une escalade sans précédent des inégalités sociales, de la propagation du chômage, de la faim et de la pauvreté en pleine pandémie, et de la réponse catastrophique du gouvernement à la COVID-19, les classes dirigeantes au Canada et dans le monde se tournent de plus en plus vers des formes de gouvernement autoritaires pour maintenir leur emprise sur le pouvoir.

(Article paru en anglais le 10 février 2021)

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