Nouvelle loi du gouvernement grec autorisant la police à opérer sur les campus universitaires

Le gouvernement grec de droite du parti Nouvelle Démocratie (ND) a adopté le 11 février son projet de loi autoritaire sur l’éducation malgré des protestations de grande envergure.

Le projet de loi établit une force de police spéciale sur les campus pour la surveillance des universités. La loi habilite cette police universitaire à «surveiller» les campus et pourra arrêter les personnes considérées comme fauteurs de troubles par les autorités. Elle sera responsable devant la police hellénique plutôt que devant les établissements d’enseignement qu’elle patrouille. La loi a aussi créé un «conseil de discipline» qui peut suspendre ou expulser des étudiants.

Des étudiants et des enseignants participent à un rassemblement contre les réformes de l’éducation à Athènes, le jeudi 28 janvier 2021. Des milliers de personnes ont manifesté dans la capitale grecque et à Thessalonique, la deuxième ville de Grèce, contre ces réformes, défiant l’interdiction publique d’une semaine des manifestations, imposée avec les mesures de lutte contre la pandémie. (AP Photo/Thanassis Stavrakis)

Le projet de loi annule la loi, mise en place en 1982, qui interdisait à la police d’entrer sur les campus universitaires. Celle-ci n’y était autorisée que si elle en avait reçu l’autorisation de l’administration de l’université. Cette loi, qui n’existait nulle part ailleurs en Europe, garantissait aux étudiants une protection contre les arrestations ou les brutalités de l’État.

Le nouveau projet de loi limite également la durée pendant laquelle les étudiants peuvent rester inscrits avant d’obtenir un diplôme. Plus de 77.000 étudiants ont été admis dans les universités publiques grecques l’année dernière, avec frais de scolarité pour les études de premier cycle. De nombreux étudiants seront ainsi obligés d’abandonner leurs études.

Le gouvernement a remporté le vote au parlement, qui comporte 300 sièges.166 députés ont voté pour et 132 contre. La loi a été adoptée avec le soutien des 10 députés du parti d’extrême droite Solution grecque, qui est devenu connu suite à l’interdiction du parti fasciste Aube dorée.

Le principal parti d’opposition, Syriza (Coalition de la gauche radicale) a voté contre, tout comme le Parti communiste de Grèce (KKE), le Mouvement pour le changement (KINAL) et MeRA25 (Front européen de désobéissance réaliste).

La loi de 1982 avait été mise en place en réponse au meurtre brutal par la junte militaire, soutenue par les États-Unis, d’au moins 23 étudiants et civils, dont un garçon de cinq ans lors du soulèvement de l’Université polytechnique d’Athènes – aujourd’hui Université technique nationale d’Athènes – le 17 novembre 1973. Les étudiants appelaient à la chute de la junte militaire dirigée par George Papadopoulos, qui avait pris le pouvoir en 1967. Ce jour-là, le troisième jour de protestation, les étudiants avaient lancé une grève sous le slogan «du pain, de l’éducation et de la liberté». La junte a broyé le mouvement de protestation ; les chars et les soldats ont pénétré dans l’université en écrasant le portail puis ont massacré les étudiants.

Des dizaines de milliers d’étudiants et de travailleurs de l’éducation ont protesté dans tout le pays pendant des semaines contre le nouveau projet de loi. Les protestations ont pris une ampleur considérable la semaine dernière avec des manifestations de milliers de personnes dans les plus grandes villes du pays.

Les manifestants ont exigé le retrait du projet de loi, l’interdiction de la police universitaire, la réouverture des facultés au semestre de printemps, l’interdiction de limiter les études ou de renvoyer les étudiants de l’université. Ils ont aussi demandé l’interdiction de toute loi disciplinaire, l’interdiction des restrictions d’accès aux universités publiques, l’égalisation des diplômes des universités privées avec ceux des autres universités, l’éducation publique et gratuite pour tous et l’arrêt des attaques contre les associations d’étudiants.

Des violences policières massives ont accueilli les protestations. Mercredi, la police d’Athènes et de Thessalonique, y compris les escouades MAT à moto, ont attaqué les étudiants avec des gaz lacrymogènes et des matraques. Des articles et des photos montrent que la police a attaqué les manifestants alors qu’ils étaient par terre. Alors qu’une marche d’étudiants près des Propylées touchait à sa fin, la police a poursuivi ses attaques, infligeant de graves blessures aux manifestants.

S’exprimant sur le site d’information sur l’éducation alfavita.gr, l’ancien doyen de l’école polytechnique d’Athènes, Nikos Markatos, a déclaré: «Nous avons vu des policiers se diriger à moto vers les manifestants. Ils battaient un enfant à la tête avec un extincteur. Mon fils est à l’hôpital de la Croix-Rouge avec une épaule cassée et il portera une attelle pendant trois semaines. Au total, quatre enfants ont été emmenés à l’hôpital de la Croix-Rouge à la suite des violences policières».

Press Project a rapporté que Markatos «a également porté une accusation effrayante» déclarant qu’«un officier de police avait cassé la mâchoire et défoncé les dents d’un étudiant qui se trouve actuellement en salle d’opération».

La police anti-émeute a projeté le journaliste Yiannis Liakos au sol. «Le reste des journalistes était la cible de l’hostilité de la police alors qu’en même temps des policiers tentaient d’empêcher les photojournalistes de prendre des photos des personnes arrêtées. Leur objectif était d’empêcher l’enregistrement des scènes de violence dont étaient victimes même des personnes allongées à terre».

À Athènes, la police a procédé à 52 arrestations mercredi et à 24 inculpations jeudi matin. Des dizaines d’étudiants ont organisé un rassemblement de solidarité devant les tribunaux pour soutenir les détenus. Une sélection de vidéos parues sur les médias sociaux peut être consultée sur le site web du Projet Presse ici.

Au cours de la répression policière, on a agressé la députée du MeRA25 et vice-présidente du Parlement, Sofia Sakorafa, devant la Direction générale de la police de l’Attique. Sakorafa faisait partie d’une délégation de députés du MeRA25 et de centaines d’autres personnes qui protestaient contre les arrestations massives et la détention de ceux se trouvant à l’intérieur.

En présentant le projet de loi, le Premier ministre ND Kyriakos Mitsotakis a calomnié les étudiants, présentant les universités comme des foyers de criminalité et de violence. «Nulle part au monde nous ne voyons des images… de bâtiments historiques vandalisés, d’équipements pillés», a-t-il déclaré. Mitsotakis a affirmé que sur les campus, les enseignants étaient battus, les femmes violées et qu’on y faisait du trafic de drogue.

Lorsqu’il était au pouvoir, SYRIZA a pratiqué une austérité pire que celle de ND et des gouvernements sociaux-démocrates qui l’ont précédé. SYRIZA a imposé cette austérité par le biais de la violence d’État. Il a contribué à faire de la Grèce la force frontalière de l’UE pour empêcher des immigrants et des demandeurs d’asile désespérés de fuir les zones de guerre.

Au Parlement, Alexis Tsipras, le leader de SYRIZA, a voté contre le projet de loi sur l’éducation, mais a soutenu les affirmations de Mitsotakis que les universités étaient des foyers de criminalité. Il a fait valoir que le gouvernement avait déjà suffisamment de forces répressives pour sévir contre les campus. Il a posé la question: alors, pourquoi en fallait-il davantage? «Si le gouvernement croit que les universités sont effectivement des centres de criminalité et d’anarchie, alors il suffit d’envoyer autant de policiers que nécessaire et autant de fois qu’il est nécessaire pour les débarrasser de l’anarchie».

Il a demandé: «Pourquoi [la police] n’a-t-elle pas résolu le problème? Et pourquoi la création d’unités de police au sein des universités résoudrait le problème?»

Fofi Gennimata, le leader du Mouvement pour le changement – qui comprend les restes du PASOK social-démocrate, éreinté dans les dernières élections par les électeurs pour avoir imposé l’austérité – a demandé à la place de l’organisation actuelle que des entreprises privées gardent les universités.

Les mesures qui permettent le retour de la police sur les campus font partie d’une série de mesures dictatoriales promulguées par le gouvernement ND, arrivé au pouvoir en 2019.

Sous prétexte de la pandémie, le chef de la police grecque, Michalis Karamalakis, a monté à la fin de l’an dernier une vaste opération de police composée de 5.000 policiers et de véhicules blindés ; il a interdit tout rassemblement public de quatre personnes ou plus entre le 15 et le 18 novembre, la période où beaucoup commémorent l’écrasement des manifestations étudiantes par la junte.

Le mois dernier, le gouvernement a présenté un projet de loi draconien stipulant que les journalistes seraient forcés de se tenir dans un 'endroit spécifique' pendant les manifestations. Toutes les associations de journalistes s'opposent à cette mesure.

En juillet dernier, ND a adopté, avec le soutien du Mouvement pour le changement et le parti Solution grecque, une loi draconienne qui limite le droit de manifester. Les organisateurs de manifestations doivent désormais notifier à l’avance tout rassemblement public prévu «à la police locale ou à l’autorité portuaire compétente». La police ou les autorités ont le pouvoir d’imposer des restrictions et même de refuser la permission de manifester pour des raisons de sécurité publique ou bien s’il « existe une menace sérieuse de perturbation de la vie socio-économique d’une zone particulière».

À partir de 2008, la Grèce a servi de test pour imposer une austérité sauvage dans toute l’Europe, à la demande de l’Union européenne, du Fonds monétaire international et des institutions financières mondiales. La Grèce est de nouveau au premier plan alors que la classe dirigeante s’apprête à intensifier ses attaques contre les conditions de vie de la classe ouvrière, qui doivent être imposées par des moyens dictatoriaux.

Le gouvernement ND a aussi fait adopter des mesures anti-grève, notamment l’obligation pour les organisations qui appellent à la grève d’introduire le vote électronique. Il a pris cette mesure après que le ministre du Travail, Yiannis Vroutsis, a annoncé en octobre dernier un nouveau projet de loi du Travail, visant à une «journée de travail flexible de huit heures». Ce projet vise à donner aux employeurs le pouvoir d’augmenter la journée de travail de huit heures à dix heures sans payer d’heures supplémentaires.

(Article paru d’abord en anglais le 13 février 2021)

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