Facebook bloque tous les contenus d’actualité en Australie

Dans une attaque extraordinaire contre les droits démocratiques et la liberté d’information en ligne, Facebook a bloqué jeudi le partage et la publication de tous les contenus d’actualité en Australie. L’interdiction pour un temps illimité empêche également les Australiens d’accéder aux actualités internationales sur la plateforme.

En raison de la part monopolistique de l’entreprise sur le marché des médias sociaux, Facebook a effectivement fermé une partie considérable de l’Internet australien, ce qui a des conséquences majeures non seulement sur les éditeurs, mais pratiquement toutes les facettes de la société civile et les 25 millions de citoyens et résidents du pays.

Cette photo du 23 octobre d’archive montre le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, témoignant devant une audience du comité des services financiers de la Chambre à Capitol Hill à Washington. (Photo AP)

Cette décision fait suite à l’adoption mercredi d’un code de négociation des médias d’information par la Chambre des représentants australienne. Avec le soutien bipartite du gouvernement de coalition libéral-national et du Parti travailliste, la législation devait être ratifiée par le Sénat, la chambre haute du parlement australien, et devenir loi.

Facebook et Google se sont farouchement opposés au code, qui les obligerait à détourner une partie de leurs revenus publicitaires vers les sociétés de presse australiennes. Le mois dernier, Google a menacé de bloquer l’accès à son moteur de recherche en Australie si le projet de loi était adopté. Depuis, il a annulé l’ultimatum et a entamé des pourparlers avec les entreprises de médias sur des arrangements de partage des revenus.

Avec la censure des actualités, Facebook déclare essentiellement qu’il ne se soumettra à aucune tentative des gouvernements nationaux de réglementer ses pratiques commerciales. L’interdiction vise à envoyer un avertissement menaçant à d’autres pays qui envisagent d’adopter des codes médiatiques similaires.

L’enjeu est plus que le conflit immédiat entre les conglomérats médiatiques australiens et les monopoles des médias sociaux sur la proportion respective des revenus publicitaires en ligne que leurs propriétaires milliardaires et leurs riches actionnaires contrôleront.

Facebook établit un précédent pour empêcher des populations entières d’accéder et de discuter de l’actualité et des questions politiques. Son interdiction d’information va de pair avec une escalade spectaculaire de la censure en ligne ces dernières années et un tournant des élites dirigeantes au niveau international vers des mesures autoritaires visant à réprimer l’opposition sociale et politique croissante.

La portée de la fermeture de Facebook a été décrite dans une déclaration publiée mercredi par William Easton, directeur général de la société pour l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Sous le titre orwellien «Modifications du partage et de l’affichage des informations sur Facebook en Australie», elle décrit une série de mesures qui pourraient être comparées à une déclaration de loi martiale en ligne.

La déclaration a annoncé que les éditeurs australiens «n’ont pas le droit de partager ou de publier du contenu sur des pages Facebook». Les organisations de médias internationales «peuvent continuer à publier des actualités sur Facebook, mais les liens et les publications ne peuvent pas être consultés ou partagés par le public australien».

Le peuple australien «ne peut pas voir ni partager du contenu d’actualité australienne ou internationale sur Facebook ou du contenu des pages d’actualité australiennes et internationales». En d’autres termes, ils sont soumis à un blocus total des informations. La mesure affecte la population mondiale, Facebook interdisant à tout le monde, où qu’il se trouve, de partager du contenu d’actualités australiennes.

Les gens ordinaires ont exprimé leur choc et leur indignation après avoir essayé de publier des informations jeudi et reçu un message les informant qu’ils ne pouvaient pas le faire. Les pages Facebook des principales publications ont été dépouillées de tout contenu, les enregistrements de milliers de publications et de fils de commentaires étant effacés du jour au lendemain.

Il y a déjà des indications que les mesures de Facebook constituent une attaque encore plus large contre les droits démocratiques que ce que l’entreprise a indiqué dans sa déclaration. La Confédération nationale des syndicats australiens, a annoncé jeudi matin que les liens de son site Web ne peuvent pas être partagés sur Facebook. Cela soulève le spectre d’une censure plus large des organisations politiques.

Le Bureau de météorologie (BOM), le service météorologique national, a également signalé que sa «page Facebook a été touchée par les changements plus larges de Facebook». Et ceci, un jour où il y a un «danger catastrophique» de feux de brousse en Australie occidentale et des avertissements de possibles inondations dans l’état du Queensland. Le BOM est l’un des principaux organismes d’alerte de la population sur les événements météorologiques dangereux, y compris ceux mettant les vies humaines en danger.

Facebook a répondu en affirmant que certaines pages, comme celles du BOM, ont été involontairement prises dans le filet de l’interdiction, l’équivalent numérique de dommages collatéraux.

Dans tous les cas, les mesures ont le caractère d’une attaque nihiliste contre la société, et en particulier la classe ouvrière, menée par une société qui ne laissera rien empiéter sur son bilan financier.

Selon les chiffres de décembre dernier, plus de 50 pour cent de la population australienne reçoit ses nouvelles des médias sociaux, principalement via Facebook. Les travailleurs, qui sont soumis à une immense pression financière, économique et de temps, consultent fréquemment Facebook pour voir les derniers développements lorsqu’ils sont en mesure de faire une pause de quelques minutes. Au milieu d’une pandémie mondiale et des grands bouleversements sociaux, économiques et politiques qui y sont associés, des millions de personnes sont coupées de leur principal moyen d’accéder aux informations.

Le gouvernement fédéral et les conglomérats médiatiques ont exprimé leur «choc» et leur «indignation» face à cette interdiction. Mais ils ne sont pas préoccupés par l’assaut que cela représente sur les droits des gens ordinaires.

Le code de négociation des médias a toujours eu pour objectif d’augmenter les bénéfices des plus grandes entreprises de médias et de renforcer leur domination sur le marché. Le code est basé sur la prémisse douteuse que les entreprises de médias sociaux devraient fournir des sommes considérables aux conglomérats de médias, pour le privilège d’indexer leur contenu dans les résultats de recherche et de laisser leurs utilisateurs publier des liens vers des articles.

Le code stipule explicitement que seules les «entreprises de presse enregistrées» acceptées par les autorités fédérales et dont les revenus sont supérieurs à 150.000 dollars par an sont couvertes. Les principaux bénéficiaires seront probablement News Corp, l’empire médiatique de Rupert Murdoch, ainsi que Seven West Media et Nine Entertainment Corporation.

En plus d’extorquer des centaines de millions, voire des milliards de dollars, aux entreprises de médias sociaux, l’objectif des conglomérats médiatiques est de consolider leur position de sources semi-officielles d’informations.

Lundi, Seven West a annoncé qu’il avait signé un contrat de 30 millions de dollars par an pour que son contenu soit présenté dans «News Showcase» de Google, et News Corp a emboîté le pas jeudi. «News Showcase» est une nouvelle fonctionnalité qui dirigera les utilisateurs vers des sources d’information «fiables» et «de haute qualité», c’est-à-dire principalement celles appartenant à des sociétés pesant des milliards de dollars qui ont des liens étroits avec l’establishment politique.

Cela va à l’encontre de la popularité croissante des sites de médias alternatifs et indépendants, dont le lectorat a augmenté grâce à l’expansion d’Internet et à l’hostilité généralisée au rôle des entreprises de médias en tant que «gardiens» qui promeuvent sans critique les affirmations des gouvernements, des agences de renseignement et des grandes entreprises.

Les partisans du projet de loi, au sein du gouvernement et des entreprises de médias, l’ont explicitement présenté comme un moyen de marginaliser les «fausses nouvelles», un terme fourre-tout pour toute information qui n’est pas conforme à la propagande du gouvernement et de l’État.

Cela va de pair avec une forte escalade de la censure en ligne au cours des dernières années. En 2017, Google a effectivement mis le World Socialist Web Site sur la liste noire d’une série de résultats de recherche, tout en détournant le trafic d’autres médias de gauche et progressistes vers des publications de la grande entreprise. Facebook a entrepris des mesures similaires visant à réduire la diffusion de sites d’information alternatifs. Ceci comprenait une attaque contre des pages des organisations socialistes et des profils personnels de leurs principaux membres le mois dernier.

L’interdiction des actualités sur Facebook démontre l’ampleur de la menace posée par la censure en ligne. La réponse des grands médias en cherchant à devenir les partenaires officiels des sociétés de médias sociaux, en écartant davantage les publications alternatives, démontre que cet objectif est soutenu par l’ensemble de l’establishment politique et médiatique.

La lutte contre ces attaques nécessite un mouvement politique de la classe ouvrière, visant à transformer les monopoles des médias sociaux en services publics collectifs contrôlés démocratiquement par les travailleurs.

(Article paru en anglais le 18 février 2021)

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